Intervention de François Séners

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 février 2022 à 8h30
Audition de M. François Séners candidat proposé par le président du sénat pour siéger au conseil constitutionnel

François Séners, candidat proposé par le Président du Sénat pour siéger au Conseil constitutionnel :

Si les caractéristiques d'un cavalier sont réunies, la censure doit être prononcée.

Quant à la question de savoir si le « deux poids, deux mesures » entre les deux assemblées serait un motif de censure constitutionnelle, je préfère réserver ma réponse. Si j'avais l'honneur de siéger au Conseil constitutionnel, cette question appellerait une délibération collégiale.

Les 227 censures et réserves d'interprétation sur 900 QPC déposées sont nombreuses, effectivement. Il faut cependant assumer les conséquences de la réforme de 2008, qui s'explique par le fait que nous venons de vivre une forme de décennie de déstockage des dispositions contestables. Le résultat, certes, peut paraître préoccupant : un quart des QPC a abouti à une censure ou à une réserve d'interprétation.

L'instrument de la QPC n'ouvre pas le même champ de jurisprudence que le contrôle de constitutionnalité a priori. Seuls les droits et libertés garantis par la Constitution peuvent faire l'objet d'une QPC, ce qui laisse au législateur un nombre considérable de dispositions qui ne peuvent faire l'objet d'un tel contrôle.

Madame de la Gontrie, la décision sur la fraternité fait partie des jurisprudences audacieuses. Un mot n'a pas forcément valeur de droit positif. Si j'écris « liberté », je peux composer un magnifique poème, mais je ne pose pas une règle de droit. Si j'écris que la liberté permet de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, j'énonce une règle normative. Concernant la fraternité, le mot apparaît trois fois dans la Constitution : dans la devise de la République, ainsi que dans des dispositions portant sur l'outre-mer, dans lesquelles la fraternité est qualifiée d'« idéal ». Cela en fait-il pour autant un principe à valeur constitutionnelle ? C'est ce qu'a décidé le Conseil constitutionnel. Je n'y suis en rien opposé par principe. Cependant, la question ne faisait pas consensus, et il n'était pas illégitime que le Conseil constitutionnel renvoie la question au constituant. Voilà, madame de la Gontrie, ce que j'entendais par « retenue » ; en reconnaissant ce principe, n'oublions pas que le Conseil a censuré des dispositions législatives. Idéalement, une telle innovation doit être prévisible. De plus, une telle décision me semble relever davantage de la légitimité du constituant.

Concernant le droit européen, je n'ignore pas toute la force de notre adhésion au droit européen et la nécessité de la cohérence d'ensemble de l'ordre juridique de l'Union. Le Conseil constitutionnel joue un rôle majeur en la matière, car la transposition des directives fait l'objet d'un contrôle de constitutionnalité pour les lois de transposition, ce qui constitue une rupture avec la jurisprudence dite « IVG », dans laquelle le Conseil avait renvoyé aux juridictions de droit commun le soin d'exercer ce contrôle. Aujourd'hui, le Conseil se saisit du droit de l'Union pour les lois de transposition. La combinaison de notre droit interne et du droit de l'Union est effectivement un sujet majeur.

Je ne verrai, à titre personnel, que des avantages à la parité dans la composition du Conseil constitutionnel. Comme pour la parité dans les collectivités locales, il faudrait en passer par une révision de la Constitution ; c'est au constituant de se saisir du sujet.

Concernant les règles de déport, cela relève d'abord de la police interne d'un collège. Ces règles me semblent essentielles à la crédibilité de l'institution. Dans le règlement spécifique à la procédure de QPC, des règles de déport existent, ainsi que des règles de récusation, qui restent perfectibles. En revanche, il n'y a pas de règles de déport pour l'examen a priori des lois. Le président Fabius souhaite émettre des règles en ce sens. J'y suis favorable.

Les procédures électorales ont, en effet, beaucoup évolué. Nous partions, certes, de loin. La possibilité d'entendre les parlementaires constitue un progrès considérable en matière de contradictoire, mais je reconnais que nous pouvons encore progresser.

Monsieur Bas, le Conseil constitutionnel peut améliorer l'équilibre des pouvoirs institutionnels tout d'abord en veillant au respect strict des règles procédurales. Le vote d'une loi organique, dans le contexte de la crise sanitaire, n'a pas respecté les délais d'adoption : nous aurions pu nous attendre à un feu rouge du Conseil constitutionnel, ce ne fut pas le cas.

J'en viens à la question des amendements du Sénat : le Conseil constitutionnel, en 2015, contre la lecture de l'Assemblée nationale, a imposé la capacité pour celle-ci de reprendre en nouvelle lecture des amendements du Sénat, ce qui me semble une intervention tout à fait légitime.

Concernant les modalités de révision de la Constitution, j'appréhende aujourd'hui la question comme un juge qui se laisse guider par la conformité aux textes. Contrairement à l'article 11, l'article 89 est un article dédié à la révision de la Constitution. Pour un juriste normalement formé par ses maîtres, la règle spéciale déroge à une règle générale. Il n'est donc, en l'espèce, pas facile de retenir une règle générale, qui porte sur des dispositions beaucoup plus larges.

Monsieur Bonnecarrère, dans le dialogue des juges, le mot clef est bien le « dialogue ». Le seul fait de se parler et de se rencontrer permet de réduire les difficultés. À la troisième chambre de la section du contentieux au Conseil d'État, compétente en matière fiscale, nous avions pris l'habitude, une fois par an, de rencontrer l'ensemble des juges du contentieux fiscal du Conseil d'État et les fiscalistes du ministère des finances, simplement pour débattre ensemble des problèmes de fond et de difficultés d'interprétation de la jurisprudence. De ce dialogue, qui n'entachait en rien l'indépendance des juges et de l'administration, naissait toujours une meilleure compréhension des enjeux. La même logique devrait prévaloir entre le Parlement et le Conseil constitutionnel. Initier un processus d'abord informel serait sans doute la meilleure solution ; il serait pragmatique de se rencontrer, par exemple, une fois par an, pour échanger autour d'un programme de travail préétabli. Le processus pourrait ensuite se structurer. Cette orientation est éminemment souhaitable.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

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