Mesdames, messieurs les sénateurs, c'est avec une certaine émotion que je reviens aujourd'hui au Sénat, où j'ai siégé pendant tant d'années, à vos côtés, au sein de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, sous les présidences de Jean-Jacques Hyest, Jean-Pierre Sueur et Philippe Bas.
Je mesure l'immense honneur que représente pour moi la proposition du Président de la République de me nommer au Conseil constitutionnel. Si votre commission et celle de l'Assemblée nationale l'approuvent, je rejoindrai deux anciens sénateurs, François Pillet et Jacques Mézard, ce qui est, je crois, une belle reconnaissance pour notre Haute Assemblée.
Je dois reconnaître que je ne m'attendais pas à cette proposition de nomination. Je l'ai accueillie avec la plus grande solennité, avec détermination, mais aussi avec humilité, car mes origines, mon parcours, dont vous avez, monsieur le président, rappelé les grands jalons, ne m'y prédestinaient pas particulièrement. J'ai grandi à Montoire-sur-le-Loir, au coeur du Vendômois, dans un milieu rural et agricole. Je suis un pur produit de l'école républicaine. Mon parcours a été celui de millions de Français : école communale, collège, lycée, université. J'ai ensuite choisi l'enseignement, et j'ai été fière d'exercer pendant vingt-cinq ans cette fonction, que je considère comme l'une des plus belles, mais aussi des plus exigeantes.
En 1989, je suis élue maire de La Chaussée-Saint-Victor, près de Blois, une commune de 4 500 habitants située au bord de la Loire, à une époque où, je dois le dire, peu de femmes accédaient à des responsabilités politiques. J'ai exercé pendant vingt-cinq ans ce beau mandat. Il a construit la femme politique que je suis. J'en ai gardé le goût de la proximité et du pragmatisme. J'ai aussi pu mesurer les difficultés concrètes qui se posent chaque jour à nos élus locaux et à leurs administrés.
En parallèle, j'ai également pu exercer à tous les autres échelons des collectivités locales, puisque j'ai été conseillère régionale, conseillère départementale et présidente d'une communauté d'agglomération. Ces mandats locaux m'ont conduite assez naturellement dans la chambre des territoires qu'est le Sénat, où j'ai siégé durant quinze ans. J'ai pris part, à vos côtés, à la fabrique de la loi. J'ai été durant toutes ces années et je reste aujourd'hui une fidèle défenseure du Parlement, en particulier du bicamérisme, dont j'ai toujours considéré qu'il était un socle essentiel à l'exercice de la démocratie de notre République.
C'est avec ces convictions que, en 2017, j'ai rejoint le Gouvernement. Nous avons eu, durant ces cinq années, de nombreuses occasions de travailler ensemble, en particulier, ces derniers mois, avec la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS), qui a été promulguée hier, mais aussi avec la loi organique d'application de l'article 72 de la Constitution ou la loi relative aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace, sur lesquelles nous avons oeuvré pour trouver des marges de manoeuvre concrètes dans le cadre du principe constitutionnel d'égalité. Ces lois ont été des illustrations du principe de différenciation, que j'appelais de mes voeux. Elles démontrent qu'il est possible de reconnaître la diversité de nos territoires, qui est une immense richesse, tout en garantissant l'unité de la République. Je pourrais aussi, bien sûr, évoquer le projet de révision constitutionnelle qui prévoyait les adaptations nécessaires à une meilleure organisation des pouvoirs locaux, mais qui n'a pas pu aboutir, comme vous le savez.
En somme, j'ai pratiqué « de l'intérieur » toutes les institutions politiques qui forment notre République aux plans local comme national, à l'exception de l'Assemblée nationale, mais, comme je l'ai dit à vos collègues députés ce matin, ce n'est pas faute d'y avoir passé du temps ces cinq dernières années.
Mon approche et ma méthode, vous les connaissez : c'est le dialogue et la recherche in fine du juste équilibre. C'est ce qui a guidé mon action tout au long de ma vie politique, en particulier ces derniers mois, dans le cadre du projet de loi 3DS, où nous avons su trouver ensemble des solutions à des questions difficiles. Cette culture de l'écoute et du débat correspond d'ailleurs pleinement, je crois, au fonctionnement collégial du Conseil constitutionnel.
J'ai aussi beaucoup traversé la France. Je me suis confrontée au terrain en tant que ministre, comme parlementaire et comme élue locale.
Ces expériences m'ont donné une appréciation concrète et humaine des enjeux qui traversent la société. Elles m'ont aussi donné du recul sur le cadre normatif qui régit notre République et qui garantit l'équilibre de nos pouvoirs.
Le recul est, je crois, une qualité importante d'un juge constitutionnel, qui doit en permanence arbitrer et concilier les principes constitutionnels, entre égalité et droits de propriété, liberté individuelle et intérêt général, libre administration et équilibre des comptes publics. Arbitrer et concilier, c'est d'ailleurs aussi ce que font beaucoup d'élus, les maires en particulier, pour trouver le bon équilibre entre des aspirations en apparence contradictoires.
Si vous approuvez ma nomination, je m'engagerai de manière résolue à défendre notre bloc de constitutionnalité, qui est au sommet de la hiérarchie des normes : notre Constitution de 1958, adoptée par référendum par le peuple français, sous l'impulsion du général de Gaulle, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui inspire le monde depuis plus de deux cents ans, le préambule de 1946 et ses conquêtes sociales issues du programme du Conseil national de la Résistance, la Charte de l'environnement, qui a posé, dès 2005, des principes d'une grande actualité.
Ce bloc de constitutionnalité, c'est notre bien commun, c'est le cadre à partir duquel nous faisons société. Il porte la marque de notre histoire et de nos combats collectifs, mais il est aussi profondément moderne et vivant. C'est peut-être cela qui fait la longévité de notre régime constitutionnel, qui deviendra, l'année prochaine, le plus long que notre pays ait connu.
Le Conseil constitutionnel est une institution qui s'inscrit dans son temps, comme en témoigne le succès de la procédure des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), introduite dans notre droit à l'initiative du président Nicolas Sarkozy.
C'est une institution dans la cité, à l'image, d'ailleurs, des audiences hors les murs lancées par le président Laurent Fabius.
C'est une institution de l'urgence parfois, comme elle n'a notamment montré durant la crise terroriste ou la crise sanitaire que nous connaissons depuis deux ans, mais c'est aussi une institution du temps long, qui sait faire preuve de constance et de stabilité.
Son rôle est non pas d'être une troisième chambre, comme on peut parfois l'entendre, mais bien de rester un garant vigilant de l'équilibre des pouvoirs, des libertés individuelles et collectives, de l'égalité des droits, en créant du consensus autour de ce qui nous rassemble, nos valeurs constitutionnelles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai acquis tout au long de ma vie une connaissance concrète des institutions de la République, du pouvoir législatif, du pouvoir exécutif, de l'organisation des élections, du rôle des partis, de la décentralisation, de la manière dont s'élabore la norme et dont elle s'applique concrètement dans le quotidien des élus et de nos concitoyens.
Je suis prête à franchir une nouvelle étape et à mettre ces quarante années d'expérience et de responsabilité publique au service de la défense des institutions de notre pays. Je suis prête aussi à abandonner l'arène politique et le débat public. Je serai au Conseil constitutionnel non pour défendre un programme, mais pour exercer ma mission de juge constitutionnel, en toute indépendance et de manière impartiale, pour défendre avec détermination la République et sa Constitution.