Intervention de Jacqueline Gourault

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 février 2022 à 8h30
Audition de Mme Jacqueline Gourault candidate proposée par le président de la république aux fonctions de membre du conseil constitutionnel

Photo de Jacqueline GouraultJacqueline Gourault, candidate proposée par le Président de la République pour siéger au Conseil constitutionnel :

Monsieur Kanner, vous proposez qu'un ministre ne puisse être nommé au Conseil constitutionnel avant un certain laps de temps. Tout d'abord, ce n'est pas la première fois qu'un ministre en exercice est nommé : il y a eu de telles nominations sous toutes les majorités - y compris par le général de Gaulle.

Je pense que l'indépendance est garantie par ce qu'a évoqué Philippe Bas, à savoir un renouvellement par tiers tous les trois ans, qui permet de refléter le turn-over des majorités, et une nomination pour neuf ans : le juge constitutionnel ne dépend plus, durant neuf ans, d'aucune instance politique. Il est inamovible : s'il quitte le Conseil constitutionnel, c'est pour des raisons qui lui sont propres.

Monsieur Sueur, je dois dire que je m'attendais à ce que vous m'interrogiez sur les ordonnances, compte tenu du texte qui a été voté au Sénat. Le Conseil constitutionnel a décidé récemment que, faute de ratification dans le temps imparti par la loi d'habilitation, l'ordonnance, qui n'était que réglementaire, devient législative. Je suis aujourd'hui devant vous pour défendre ma candidature au Conseil constitutionnel, non pour commenter ce qu'il a décidé.

En ce qui concerne les cavaliers, il est vrai qu'il y a eu une évolution. Autrefois, c'est le Gouvernement et lui seul qui déclarait, après avoir été saisi, qu'un amendement était un cavalier. Depuis la réforme de 2008, tout amendement est recevable dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte. Cette décision, qui est une petite révolution, est venue formaliser l'article 45 de la Constitution dans sa version actuelle. Alors que le législateur voulait l'assouplir, le Conseil constitutionnel s'est appuyé sur cet article pour valider le droit de considérer que des amendements étaient des cavaliers.

Cela dit, je veux insister sur l'évolution qu'a marquée la création du contrôle a priori des recevabilités par les commissions permanentes des deux chambres parlementaires. Ce contrôle n'existait pas avant 2014. Cela n'a pas été une exigence du Conseil constitutionnel : c'est le Sénat et l'Assemblée nationale qui ont décidé, devant l'inflation du nombre d'amendements, de reprendre au sein de leurs règlements respectifs les règles constitutionnelles en la matière, et de déclarer irrecevables, avant la discussion, les amendements n'y répondant pas - chacun sait que le règlement des assemblées est soumis au Conseil constitutionnel.

D'ailleurs, j'ai toujours entendu les députés dire que le Sénat avait été novateur en rédigeant son vade-mecum, qui permet, lors de la discussion en commission, d'avoir un référentiel pour apprécier si un amendement est ou non recevable au titre de l'article 45 de la Constitution. Il me semble que l'article 45 permet un certain équilibre entre le rôle des assemblées et celui du Conseil constitutionnel.

Monsieur Leconte, la primauté du droit européen fait actuellement débat, compte tenu d'un certain nombre d'événements qui se sont passés en Europe, comme la remise en cause du principe même des traités de l'Union européenne par la Pologne, ou encore le jugement, contraire à l'avis de la Cour européenne, qui a été rendu il y a deux ans par la Cour de Karlsruhe sur une question préjudicielle - il n'a d'ailleurs pas été suivi par le gouvernement allemand.

Pour ma part, j'ai des idées assez claires : l'Europe a d'abord été construite avec une volonté de paix, pour développer la démocratie et l'État de droit dans les États membres, les traités traduisant la volonté de ses derniers d'adhérer à ces principes. En tant qu'ancienne professeure d'histoire-géographie, je suis consciente de l'importance de se rappeler les circonstances historiques.

Je suis donc convaincue que le droit européen doit être respecté - il est d'ailleurs transposé dans notre droit national - et qu'il devient notre droit à tous.

Cela n'empêche pas de considérer le principe d'identité constitutionnelle, sur lequel j'ai été interrogée lors de mon audition devant l'Assemblée nationale.

S'il existe des valeurs partagées, reconnues à la fois par le droit constitutionnel français et au niveau européen, il peut y avoir un certain nombre de points en discussion. Assez récemment, le Conseil constitutionnel a reconnu l'interdiction de transférer des pouvoirs de police administrative à des personnes privées comme une spécificité française. On peut penser à d'autres sujets, par exemple à la laïcité, qui est une identité tout à fait particulière de notre Constitution et qui représente, chez nous, quelque chose qui n'a pas de signification dans d'autres pays, même si le niveau européen reconnaît la liberté de conscience et la liberté de religion. Je crois donc que l'identité constitutionnelle est très importante.

Pour conclure sur ce point, je crois que le dialogue des juges est essentiel dans la recherche de la convergence entre le droit national et le droit européen. Je rappelle que ce sont les deux ordres de juridictions, c'est-à-dire le Conseil d'État et la Cour de cassation, qui sont chargés du respect des mesures conventionnelles dans notre pays.

Sur le référendum, la Constitution est assez claire : c'est avec l'article 89 que l'on touche à la Constitution. Le droit de référendum de l'article 11 concerne les organisations publiques, l'économie, des valeurs sociales etc. Chacun sait que le général de Gaulle a utilisé l'article 11 en 1962, ce qui lui a permis de modifier la Constitution pour y inscrire l'élection du Président de la République au suffrage universel, et en 1969, sans succès cette fois.

Bien évidemment, j'ignore, si le cas se présentait aujourd'hui, quelle serait la décision du Conseil constitutionnel, mais je sais que la décision « Hauchemaille » du Conseil permet un contrôle renforcé des textes portés par la question référendaire. C'est donc un outil supplémentaire pour faire respecter les principes de la Constitution et les différences entre l'article 11 et l'article 89.

Madame de La Gontrie, le déport est bien évidemment prévu dans le règlement du Conseil constitutionnel. Dans quels cas jugerai-je que je dois me déporter ? Certains cas sont absolument évidents. Par ailleurs, il y a, au Conseil constitutionnel, une collégialité, un président, des services juridiques, qui peuvent aider ses membres à trancher la question d'un déport. C'est une question de conscience, mais c'est aussi une question de légalité.

Vous m'avez interrogée sur le mariage pour tous. Quand je serai au Conseil constitutionnel, je ferai respecter la Constitution, peu importe mon opinion personnelle.

Monsieur Bas, je vous remercie pour vos mots. L'équilibre des pouvoirs est très important et le respect du Parlement est absolument fondamental. D'ailleurs, le pouvoir d'appréciation appartient au Parlement, non au Conseil constitutionnel, dont le rôle est de vérifier que la loi est conforme aux grands principes constitutionnels.

Il me semble que j'ai répondu à vos questions sur le référendum.

Monsieur Kerrouche, je considère que les ordres juridictionnels, tels qu'ils existent aujourd'hui en France, fonctionnent et sont très équilibrés.

J'ai regardé comment les choses fonctionnaient dans les autres pays de l'Union européenne. Je puis vous dire qu'il y a aussi des nominations politiques à la Cour de Karlsruhe ! C'est un mythe de penser que cela n'existe pas : les partis politiques ne sont pas absents du processus de nomination.

Je pense que le Conseil constitutionnel ne doit pas devenir une Cour suprême comme aux États-Unis. Le Conseil d'État, la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel sont des « institutions faîtières », mais le Conseil constitutionnel ne chapeaute pas les deux ordres. Il est complémentaire. C'est un équilibre de nos institutions.

En tout état de cause, c'est avec cet état d'esprit que j'entrerai au Conseil constitutionnel, si vous me le permettez.

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