Mes chers collègues, ce quinquennat se caractérise par la longévité de son ministre de l'éducation nationale. En effet, Jean-Michel Blanquer est le ministre de l'éducation nationale qui est resté le plus longtemps à ce poste sous la Vème République. Ce record a permis une continuité de l'action de son ministère de mai 2017 jusqu'à aujourd'hui. Ce quinquennat a également été riche de mesures en matière éducative. Aussi, il est important d'en dresser un bilan. Avec Max Brisson et Annick Billon, nous avons choisi six mesures emblématiques du quinquennat : le lien entre école et société, l'abaissement de l'âge d'instruction à trois ans, le développement de l'école inclusive, la priorité donnée au primaire à travers les politiques de limitation des effectifs de la grande section au CE1, la réforme du lycée, enfin l'attractivité du métier d'enseignant.
Nous avons eu l'occasion, lors de l'examen des textes correspondant à ces mesures, même si une partie d'entre elles ont échappé au cadre législatif, d'exprimer par nos prises de paroles et nos votes, nos positionnements politiques, souvent divergents, sur leur fond et sur la vision de l'école qu'elles traduisent.
L'exercice auquel nous nous prêtons aujourd'hui est différent : il s'agit d'évaluer l'impact de ces mesures, au regard des objectifs initiaux qui étaient les leurs, ainsi que leurs répercussions concrètes sur le terrain pour les membres de la communauté éducative, en première ligne de leur application, mais également pour les autres acteurs concernés : les élèves, les collectivités locales, ....
La première thématique analysée concerne l'école et la société. Jean-Michel Blanquer voulait renforcer le respect de la société envers les enseignants et l'institution scolaire, ainsi que bâtir une école de la confiance. C'est d'ailleurs le titre de la grande loi scolaire du quinquennat, qui a ensuite été déclinée sous forme de « slogans » dans toutes les publications du ministère de l'éducation nationale.
Vous vous souvenez sans doute des débats riches que nous avons eus sur l'article 1er de ce projet de loi. Je ne vais pas y revenir.
Que constate-t-on aujourd'hui ? La relation entre les Français et l'école reste dégradée. Le sondage réalisé pour le Sénat par l'institut CSA à l'occasion de l'Agora de l'éducation montre des doutes élevés des Français dans la capacité de l'institution scolaire à accomplir ses principales missions. Quelques chiffres pour illustrer mes propos : seuls 44 % des Français - et 38 % des enseignants - estiment que l'institution scolaire est efficace dans la transmission des savoirs fondamentaux, et 33 % des Français - 23 % des enseignants - estiment qu'elle est capable de résorber les inégalités sociales et territoriales.
Cette volonté de renforcement du respect et de la confiance dans l'institution scolaire ne s'est pas non plus traduite du point de vue des enseignants. Ils continuent à se sentir mal aimés par la société.
La dernière enquête Talis de l'OCDE souligne ce mal-être : seuls 4 % des professeurs des écoles considèrent que leur métier est valorisé par la société.
À de nombreuses reprises le ministre a affirmé que la logique du « pas de vague » n'est plus celle de l'éducation nationale. Or, ces affirmations ont du mal à se traduire par des actions concrètes sur le terrain. L'une de nos propositions porte sur ce sujet.
En matière de relation entre les personnels de l'éducation nationale et leur ministre, il sera plus juste de parler de défiance. Alors que le ministre n'a eu de cesse d'affirmer sa confiance envers l'école et les enseignants, force est de constater la multiplication des injonctions ministérielles. Je pense aux vadémécums, aux guides, ou encore aux « foires aux questions », injonctions d'un nouveau genre. Ce sont autant de circulaires déguisées qui réduisent l'autonomie des chefs d'établissement, la collégialité de l'équipe pédagogique et brident la liberté pédagogique des enseignants. Il est urgent de leur faire confiance ! Ce sont eux qui connaissent le mieux leurs élèves, leurs difficultés et leurs besoins. Un témoignage qui nous a été donné au cours de la table ronde des syndicats enseignants illustre mes propos : « on a toujours eu des collègues grognons vis-à-vis du ministre. Mais ils démarraient pour un projet, ils étaient enthousiastes pour l'école. Or, là on les sent épuisés ».
J'en viens maintenant à notre deuxième mesure analysée : l'abaissement de l'âge d'instruction à trois ans.
L'article 11 de la loi pour une école de la confiance a abaissé l'âge d'instruction obligatoire à 3 ans. La France fait désormais partie des pays qui positionnent l'instruction obligatoire le plus tôt dans la vie - à titre de comparaison, elle est fixée à 5 ans au Royaume-Uni, 6 ans en Allemagne et en Espagne.
S'agit-il pourtant d'une révolution, comparable aux grandes lois scolaires qu'a connues notre pays depuis Jules Ferry ? Au final, cette mesure est largement symbolique : en 2018, la quasi-totalité des enfants de 3 à 6 ans étaient déjà scolarisés. La loi n'a fait que suivre un mouvement ancien de notre société.
Deux territoires étaient plus particulièrement concernés par cet abaissement de l'âge d'instruction obligatoire : Mayotte et la Guyane. Le ministre avait d'ailleurs insisté en séance sur l'égalité des élèves, « où qu'ils se trouvent sur le territoire, en hexagone comme en outre-mer ». Le taux de scolarisation en maternelle est inférieur dans ces deux territoires de plus de 20 points à la moyenne nationale. Nous avons interrogé les services du ministère sur les progrès réalisés depuis le vote de la loi.
Les services se sont fixé comme objectif la scolarisation de tous les enfants en âge d'aller en maternelle en 2025, soit plus de six ans après l'entrée en vigueur de la loi.
Je tiens à le rappeler : la loi ne prévoyait pas une entrée en vigueur différée de la mesure pour ces deux territoires. Pour les six générations d'élèves concernés, ce sont des temps précieux d'apprentissage perdus. Actuellement 2 800 enfants en Guyane et 6 200 enfants à Mayotte en âge d'être scolarisés en maternelle ne peuvent pas l'être.
À l'occasion du débat sur le projet de loi, nous avions alerté, de manière transpartisane, sur les conséquences de cette loi pour les jardins d'enfants. Il est regrettable d'avoir mis en difficulté un réseau historique qui fonctionnait bien.
Le ministre avait promis un accompagnement des jardins d'enfant. Sur le terrain, on constate que celui-ci fait défaut. Les services déconcentrés de l'éducation nationale ne semblent parfois même pas au courant de cette promesse ministérielle.
L'inspection générale de l'éducation nationale a récemment proposé trois scénarii d'évolution pour les jardins d'enfants : la transformation en école publique pour les jardins d'enfants publics, la transformation en école privée hors contrat, le recentrage de leurs activités sur l'accueil des enfants avant 3 ans et l'accueil périscolaire des enfants plus âgés.
Au final, ces pistes d'évolution sont très difficiles à mettre en place et s'apparentent davantage à des fausses solutions.
Dernier point que je souhaite évoquer avant de laisser la parole à Annick Billon : l'accompagnement des personnels du fait de cet abaissement de l'âge d'instruction. Nous avons constaté que peu de choses avaient été faites : trop peu de plans de formations départementales ou académiques proposent des modules spécifiques, dédiés aux enseignants de maternelle. De même, il existe très peu de formations sur l'accueil en maternelle des élèves à besoins particuliers. D'ailleurs, d'après un rapport de l'inspection générale de l'éducation nationale, l'inclusion scolaire pour les élèves de 3 à 6 ans est difficile à mettre en oeuvre. Le ministère a certes rédigé deux guides pour accompagner les enseignants. Mais plutôt que rédiger ce type de document très vertical, nous pensons qu'il vaudrait mieux un investissement massif sur la formation initiale et continue des enseignants de maternelle.
Nous avons également pris connaissance d'initiatives très intéressantes de la part de DASEN. Je pense en particulier à ceux de l'Ain, de la Loire-Atlantique et du Morbihan : éviter l'affectation d'enseignants peu expérimentés dans les classes de petite section. La gestion de ces classes nécessite une maîtrise professionnelle particulière. D'ailleurs, un nombre significatif de renouvellement de stages avant la titularisation concerne des jeunes enseignants exerçant en petite section. Nous proposons ainsi d'éviter l'affectation d'enseignants peu expérimentés en petite section.