Intervention de Max Brisson

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 23 février 2022 à 9h00
Bilan des mesures éducatives du quinquennat — Présentation du rapport d'information

Photo de Max BrissonMax Brisson, rapporteur :

Nous avons certes des divergences, mais nos débats au sein de cette commission nous permettent de dessiner des traits communs sur l'avenir de notre école. Avec les rapporteurs, nous avons trouvé des arbitrages au-delà de notre conception du système éducatif, et avec des points de convergence. Nous avons travaillé avec le souci de dresser un bilan - qui peut être parfois sévère, mais toujours objectif - sur ce qui était souhaité par le ministre, ce qui a été réalisé, et les difficultés qu'il a pu rencontrer. Nous sommes dans l'exercice du contrôle parlementaire de l'action du Gouvernement.

En ce qui concerne la réforme du lycée, nous sommes au milieu du gué. Personne ne peut le contester. Je rappelle les objectifs : d'une part, la bonne articulation et fluidité entre le lycée et l'enseignement supérieur, notamment la licence, et donc la capacité du lycée à faire émerger des parcours plus personnalisés pour mieux préparer les élèves aux études supérieures afin d'éviter le décrochage dans l'enseignement supérieur. D'autre part, il y avait également la volonté de mettre fin à un fonctionnement en silo, avec la hiérarchie des filières qui s'était imposée et la prééminence de la voie S. Désormais, le choix et les résultats des lycéens dans les spécialités doivent être devenus déterminants dans la poursuite des études. Deux ans après l'entrée en vigueur de la réforme, que constate-on ? Il y a une grande diversité dans le choix réalisé par les élèves. Le ministère a recensé pour 2019 426 triplettes, choisies au moins par un élève. Pour retrouver 80 % des élèves de première, il faut associer 15 triplettes. Incontestablement les séries ont disparu. C'est à mettre à l'actif de cette réforme.

Mais on constate également une baisse historique du nombre des élèves qui suivent un enseignement de mathématiques. Auparavant 90 % des élèves de terminale suivaient un enseignement de mathématiques. Ils ne sont plus que 59 %. Or, de nombreux débouchés nécessitent les mathématiques. Aussi, nous recommandons que tous les élèves de première et de terminale suivent un enseignement de mathématiques, qui pourrait prendre la forme de mathématiques appliquées.

Cette réforme a également été révélatrice de choix genrés. Cette réalité se manifestait auparavant en classes préparatoires scientifiques. Désormais elle est revenue au lycée. On peut le constater sans polémique, le déplorer, et souhaiter que des correctifs soient apportés. Il y a un important travail à poursuivre en matière de lutte contre les stéréotypes associés à certains enseignements et certaines professions.

On peut également dire que cette politique publique a été mise en oeuvre de manière précipitée avec des conséquences en termes d'accompagnement. Je pense à l'orientation. La réforme aurait dû s'accompagner d'un effort particulier de conseil et d'orientation, pour permettre à chaque élève un choix éclairé. L'orientation devrait ainsi être la clé de voute de la réforme. Or elle en est le parent pauvre. Le ministre avait prévu 54 heures annuelles d'orientation au lycée. Mais elles ne sont pas inscrites dans l'emploi du temps des élèves. Elles sont souvent des heures d'ajustement pour finir les programmes. Par ailleurs, on constate un manque d'information des professeurs principaux et des référents. Le rapport de la cour des comptes de février 2020 sur la réforme de l'orientation et pour la réussite des étudiants soulignait que 85 % des professeurs principaux n'avaient jamais reçu de formation spécifique pour ces missions de conseil et d'orientation.

Par ailleurs, on peut comprendre que les professeurs principaux soient désarçonnés : l'enseignement supérieur n'a pas défini les attendus par rapport aux enseignements de spécialité.

La question de l'orientation est directement liée à celle de la dotation horaire globale (DHG) : les établissements décident de l'utilisation de la DHG pour des heures d'orientation, les dédoublements de classe, les actions de soutien aux élèves. Un proviseur de lycée nous l'a dit : « une fois les heures de spécialités et les options posées, il ne me reste quasiment plus de dotation globale horaire pour faire de l'orientation ». Au final, certains lycées le font car il y a une culture de l'orientation. D'autres ne le font pas car il n'y a pas cette culture et préfèrent faire d'autres choix. Se créent ainsi des inégalités dans le conseil permettant aux élèves de faire leurs choix éclairés. Aussi nous recommandons de sanctuariser les heures d'orientation en plus de la dotation globale horaire.

Les enseignements de spécialité ont également créé des inégalités entre les petits et les grands établissements. Nous avions largement alerté sur cet écueil, lorsque la commission avait débattu de cette réforme. Les petits établissements sont contraints de prioriser entre les spécialités et les options proposées. Or, il existe un effet établissement : une fois présent dans l'établissement en seconde, les élèves choisissent leurs spécialités et options en fonction de celles qui existent. C'est une réalité, en particulier pour les lycées de nos départements ruraux. Là encore, la spécificité du lycée de petite taille doit être prise en compte. Le ministre nous a indiqué hier en séance avoir une attention toute particulière pour l'école rurale. Il ne peut donc qu'être favorable à cette recommandation.

On constate également une prise en compte perfectible de la réforme de l'enseignement supérieur. Dès 2018, au Sénat, nous avions dénoncé la réalisation de la réforme sur l'orientation et la réussite des étudiants avant celle de la réforme du lycée. Ces réformes ont été conçues en silo, alors qu'elles sont liées. Au final, seules certaines filières ont pris en compte la réforme du lycée. Le ministre nous a indiqué hier que les choses sont en train de se mettre en place. Mais on passe le baccalauréat et devient étudiant qu'une fois dans sa vie. Ceux-ci n'ont guère envie d'être des cobayes à ces occasions.

Un certain nombre de formations du supérieur sont dans des positions attentistes : elles attendent de voir quels étudiants elles vont accueillir avant d'envisager une évolution de leurs maquettes. D'autres estiment ne pas avoir à le faire et s'appuient sur le tronc commun. Cette position va à l'encontre de l'objectif de la réforme et de la création des spécialités. On se retrouve avec des cohortes d'élèves et des étudiants dans l'attente de la mise en oeuvre effective de l'articulation entre le lycée et la licence. Cela ne me semble pas acceptable.

J'en viens à l'attractivité du métier d'enseignant. Notre commission se penche de longue date sur cette thématique.

La réforme de la formation initiale, à travers la création des INSPÉ, devait permettre au ministère de l'éducation de reprendre la main sur le recrutement et améliorer les conditions de travail des enseignants.

Par manque de moyens et de perspectives - avec des textes réglementaires parus tardivement laissant les étudiants et les INSPÉ dans l'incertitude -, la réforme des INSPÉ a du mal à atteindre ses objectifs. Une minorité d'étudiants seulement réalise un stage en responsabilité devant les élèves. Or c'est l'une des clés de la formation pratique des futurs enseignants. Quant à la présence de professionnels de terrain en master MEEF (Métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation), elle varie selon les INSPÉ et dépend des moyens que les rectorats mettent à leur disposition.

La rémunération des enseignants a progressé, portée essentiellement par le protocole PPCR issu du précédent Gouvernement, et pour partie par le Grenelle de l'éducation. Néanmoins, la rémunération des enseignants français, notamment en début de carrière, reste inférieure à la moyenne de l'OCDE, et à celle des cadres de la fonction publique. Nous proposons d'accélérer les rendez-vous de carrière, afin d'améliorer la rémunération des enseignants.

La dernière enquête Talis de l'OCDE réalisée en février-mars 2018 montre une dégradation du sentiment d'efficacité personnelle des enseignants français par rapport à 2013.

La formation continue reste un point faible de ce ministère - ce n'est pas un fait nouveau. Seule la moitié des enseignants français indiquent avoir suivi une formation les 12 derniers mois qui ont précédé l'enquête Talis de 2018, contre 75 % de leurs collègues européens. Or, ils sont toujours plus nombreux à exprimer un besoin de formation continue.

Aujourd'hui, un quart des enseignants se demandent s'ils n'auraient pas mieux fait de choisir une autre voie professionnelle. Le pari de l'attractivité du métier d'enseignant est donc loin d'être gagné.

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