Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, plus de deux ans après sa première lecture par le Sénat, la proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art, dont notre collègue Catherine Morin-Desailly est à l’origine, arrive au terme de son examen parlementaire.
La commission des lois se félicite de voir aboutir cette initiative sénatoriale particulièrement bienvenue.
Grâce à ce texte, un vent nouveau de liberté viendra souffler sur un secteur d’activité dont le poids dans l’économie française n’est pas négligeable et qui participe également au rayonnement culturel de notre pays. Cette proposition de loi a pour objet de réformer le système de régulation et, plus largement, le régime légal des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, dont la vente d’objets d’art et de collection représente environ la moitié.
Alors que Paris était, dans les années 1950, la capitale mondiale des ventes aux enchères, notre pays n’occupe plus aujourd’hui que le quatrième rang international, loin derrière les États-Unis, le Royaume-Uni et, désormais, la Chine. Ce recul n’est pas inéluctable, toutefois, à condition que nous sachions accompagner le renouvellement de la profession.
Les ventes volontaires de meubles aux enchères ont été progressivement libéralisées, depuis le début des années 2000, sous l’effet du droit européen. Elles constituent néanmoins toujours une profession réglementée. Or la législation en la matière reste inutilement restrictive et freine la modernisation du secteur.
Initialement, la proposition de loi de Catherine Morin-Desailly avait pour objet exclusif de réformer l’autorité de régulation de ce secteur d’activité.
Malgré les qualités personnelles de ses membres et de ses présidents successifs, le Conseil des ventes volontaires n’a pas donné entière satisfaction. Sa gestion a longtemps été jugée dispendieuse, ce qui lui a attiré les critiques de la Cour des comptes.
Surtout, les professionnels reprochent au Conseil des ventes volontaires, non sans quelque apparence de raison, d’exercer un contrôle inutilement tatillon de leurs activités, sans parvenir à empêcher les quelques scandales qui défraient occasionnellement la chronique.
L’une des compétences les plus importantes du Conseil vient d’ailleurs de lui être retirée, parce qu’il ne l’exerçait pas convenablement : je veux parler du contrôle du respect, par les opérateurs, de leurs obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, compétence qui a été transférée à la direction générale des douanes et à la Commission nationale des sanctions.
À dire vrai, l’on pourrait s’interroger sur la nécessité de maintenir une autorité de régulation propre au secteur des ventes volontaires de meubles aux enchères. Une telle autorité n’existe dans aucun autre pays d’Europe.
En France même, il n’en existe pas dans des secteurs d’activité connexes, par exemple le commerce d’œuvres d’art. Bien sûr, des contrôles sont nécessaires, notamment pour prévenir les risques spécifiques de fraude liés au procédé des enchères. Cependant, ces contrôles pourraient parfaitement être du ressort de services ministériels, comme la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).
En première lecture, la commission des lois a néanmoins renoncé à s’engager dans cette voie, qui ne fait pas consensus. Elle a, en revanche, approuvé le choix de réformer en profondeur l’autorité de régulation existante.
La proposition de loi prévoit d’instituer, en lieu et place du Conseil des ventes volontaires, un Conseil des maisons de vente, qui conserverait le caractère d’une autorité de régulation, mais qui verrait ses missions élargies à la promotion des ventes aux enchères, à l’information sur la réglementation applicable et au règlement amiable des différends.
La composition de cette instance serait profondément modifiée. Son collège serait désormais constitué en majorité de représentants élus par les professionnels du secteur, de manière à assurer une représentation équilibrée du territoire français.
En première lecture, le Sénat a prévu que le président du Conseil des maisons de vente soit nommé parmi les membres du collège et sur proposition de celui-ci. Dans un souci d’équilibre, les députés ont estimé préférable que le président soit choisi parmi les membres nommés et ont donc supprimé le pouvoir de proposition du collège. La commission des lois n’a pas remis ce choix en question.
La proposition de loi prévoit aussi de rénover les conditions d’exercice, par le Conseil des maisons de vente, de sa fonction disciplinaire. Le pouvoir disciplinaire serait désormais exercé par une commission des sanctions, distincte du collège, et le régime des sanctions serait modifié, notamment avec l’introduction d’une sanction pécuniaire.
Sur ce point, je me félicite que les députés, après avoir envisagé de transférer les attributions disciplinaires du Conseil au tribunal judiciaire de Paris, aient finalement rétabli un texte très proche de celui qu’a adopté le Sénat en première lecture.
Au-delà de cette réforme de l’autorité de régulation, la proposition de loi a été notablement enrichie, en première lecture, grâce au travail de notre ancienne collègue Jacky Deromedi, qui était alors rapporteur de la commission de lois. Je veux ici lui rendre hommage.
Sans entrer dans le détail, je mentionne toutefois quelques-uns de ces ajouts. L’un d’entre eux, qui peut paraître technique, revêt pourtant une importance considérable : il s’agit de l’article 3, qui étend aux meubles incorporels le régime légal des ventes volontaires de meubles aux enchères. Cette innovation tombe à point nommé pour accompagner le développement fulgurant du marché des œuvres d’art numériques, notamment des NFT (Non Fungible Token s), ces « jetons » représentatifs de fichiers numériques individualisés.
Une œuvre entièrement numérique de l’artiste américain Beeple, consistant en un assemblage de 5 000 dessins, a par exemple été vendue 69 millions de dollars l’an dernier chez Christie’s à New York, sous forme de NFT. Une telle vente n’aurait pas été possible en France, en raison de la législation applicable.
Plus largement, grâce à cet apport majeur du Sénat, les maisons de vente françaises verront s’ouvrir à elles de nouveaux marchés, appelés à se développer avec l’essor de l’économie de l’immatériel : vente aux enchères de dessins et de modèles, de brevets, de marques, mais aussi de fonds de commerce ou de clientèles civiles, etc.
Plusieurs autres articles ont également pour objet d’étendre le champ d’activité potentiel des opérateurs de ventes volontaires : en leur permettant de procéder aux inventaires fiscaux en cas de succession, grâce à une initiative de Jean-Pierre Sueur, mais aussi en les habilitant à réaliser certaines catégories de ventes aujourd’hui classées parmi les ventes judiciaires. D’autres dispositions visent à réduire les contraintes qui pèsent aujourd’hui sur nos maisons de vente, en allégeant le formalisme auxquelles elles sont soumises, lorsqu’elles réalisent des ventes de gré à gré, ou encore en leur permettant de regrouper leur livre de police et leur répertoire des procès-verbaux.
Enfin, nous avions souhaité garantir une concurrence équitable dans le secteur des ventes de meubles aux enchères, en soumettant les notaires qui souhaitent réaliser de telles ventes, comme ce sera bientôt le cas pour les commissaires de justice, à l’obligation de constituer à cet effet une société distincte de leur office et à une obligation de qualification renforcée. L’Assemblée nationale a supprimé ces dispositions, ce que je m’explique assez mal. Il faudra y revenir, monsieur le garde des sceaux, car l’Autorité de la concurrence nous a alertés sur cette inégalité injustifiée.
Dans l’ensemble, le texte adopté par les députés ne remet pas en cause les orientations de la réforme voulue par le Sénat. C’est pourquoi, mes chers collègues, la commission des lois vous propose de l’adopter sans modification, afin qu’il puisse entrer en vigueur sans plus tarder.
En conclusion, je tiens à rassurer mes collègues alsaciens-mosellans : cette proposition de loi n’aura aucune incidence sur le droit local. En Alsace-Moselle, les ventes volontaires de meubles aux enchères sont régies par le droit commun. C’est au sujet des ventes judiciaires que le droit local s’écarte du droit commun, puisqu’il n’existe pas de commissaires-priseurs judiciaires en Alsace-Moselle. Les notaires et les huissiers de justice en font office.