Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art, déposée par notre collègue Catherine Morin-Desailly – je salue son travail, tout comme celui de notre rapporteure, Mme Catherine Belrhiti – fait son retour au Sénat plus de deux ans après son examen en première lecture.
Les députés ont adopté ce texte le 9 février dernier. Malheureusement, la procédure d’urgence – la énième ! – les a privés d’un véritable débat de fond, lequel aurait pourtant été salutaire pour le marché de l’art, bien mis à mal au cours des dernières décennies.
En effet, cela a été dit, la place française a perdu au fil du temps sa position face aux États-Unis et à la Chine, au point de faire de la France un acteur minoritaire du marché de l’art mondial alors qu’elle a occupé la première place dans les années 1950.
Même si la France reste leader dans certains domaines comme le design, les manuscrits et les arts premiers, elle est devenue un acteur secondaire sur les marchés les plus porteurs comme l’art contemporain, l’art moderne et l’impressionnisme.
Notons toutefois que le produit des ventes aux enchères publiques en France a atteint en 2021, selon les premiers chiffres publiés par le Conseil des ventes, le montant record de 4 milliards d’euros, soit une augmentation de près de 40 %. Dans ce contexte, la France devrait confirmer sa quatrième place sur le marché mondial. Les maisons de ventes aux enchères en France connaissent donc une sortie de crise spectaculaire, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter collectivement.
Cette dynamique doit nous inciter à poursuivre notre travail pour donner un souffle nouveau à cette profession, offrir aux maisons de ventes volontaires de nouveaux champs d’activité possibles et les encourager à consolider leurs structures.
Il convient toutefois de préserver ce qui constitue les conditions de l’excellence française, reconnue de tous, lesquelles expliquent la confiance dont jouissent ces professions de la part des clients étrangers : l’autorité de régulation – le Conseil des ventes volontaires –, qui garantit la sécurité des ventes et prémunit contre les fraudes.
L’article 1er de cette proposition de loi prévoit une réforme du CVV (Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques) et sa transformation en Conseil des maisons de vente. Il modifie ses missions, sa composition, les conditions d’exercice de son pouvoir disciplinaire, ainsi que ses modalités de financement.
Dorénavant, le Conseil des maisons de vente sera constitué de trois personnalités exerçant dans la région d’Île-de-France, de trois personnalités exerçant en dehors de cette région, de cinq personnalités qualifiées, dont deux seront nommées par le ministre de la justice, deux par le ministre de la culture et une par le ministre chargé du commerce. Les représentants des professionnels occuperont donc la majorité des sièges, soit six des onze sièges.
Cette composition pose la question de l’assimilation du Conseil à un ordre professionnel, en raison de la présence majoritaire de professionnels au sein de la structure, d’une part, de leur élection par leurs pairs, d’autre part.
La création d’un ordre professionnel en 2022 suscite des interrogations. Il apparaît en outre que la présence majoritaire de professionnels empêche, au regard des principes de la directive Services, que le Conseil des maisons de vente puisse exercer un pouvoir décisionnel sur d’autres professionnels du secteur. Se pose également le problème de la confidentialité des informations transmises au Conseil.
Le maintien d’un véritable régulateur du marché, tiers de confiance indépendant veillant à la transparence du processus d’enchères et à la protection des acheteurs et des vendeurs, commande que ce Conseil reste majoritairement composé de non-professionnels ou, au moins, que ces derniers soient à égalité de sièges. Or, l’existence du régulateur est l’un des fondements de la réglementation.
Craignant de mettre en place un nouvel ordre professionnel pouvant contrevenir au droit communautaire, vous avez créé un nouvel organe distinct, dénommé « commission des sanctions », qui exercera ce pouvoir disciplinaire. Espérons que cette nouvelle structure visant à garantir la sécurité des ventes et à prémunir contre les fraudes constituera un avantage comparatif sur un marché mondial extrêmement concurrentiel et sera opérante.
Outre cette réforme structurelle, la principale nouveauté du texte est inscrite à l’article 5, lequel consacre l’apparition des huissiers, qui doivent fusionner avec les commissaires-priseurs chargés des ventes judiciaires pour former un corps unique.
Un amendement ayant été adopté exempte d’un examen de passage ceux qui souhaitent ouvrir une maison des ventes volontaires et ont déjà exercé ce métier. Ainsi, ceux qui, de 2016 à 2021, ont tenu au moins vingt-quatre ventes sur au moins trois années consécutives ou effectué des vacations d’un montant total de 230 000 euros seront dispensés non seulement de formation, mais aussi d’examen. Rappelons ici que cette disposition leur avait été refusée par le Conseil d’État. Il est fort à craindre que cette disposition ne crée dans nos territoires une situation extrêmement concurrentielle, laquelle ne sera pas sans conséquence.
Mes chers collègues, nous partageons le même objectif. Il s’agit de préserver l’attractivité économique de la profession et de réfléchir à son adaptation aux importants défis auxquels elle doit faire face : l’internationalisation, la concentration du marché et la numérisation. Il serait donc présomptueux de penser que la réforme structurelle que prévoit ce texte permettra de véritablement préparer le marché de l’art français à ces grands défis. Il constitue donc sans doute un premier pas, qui en appelle d’autres.