Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je suis très heureuse que le Sénat examine aujourd’hui en deuxième lecture ma proposition de loi visant à moderniser la régulation du marché de l’art. Voilà bientôt quatre ans, en mars 2018, que notre chambre s’est saisie de ce sujet, inquiète de la perte de compétitivité de la France dans ce secteur.
En tant que présidente de la commission de la culture, j’avais alors organisé avec mon collègue Philippe Bas, président de la commission des lois, deux tables rondes consacrées à l’attractivité du marché de l’art avec des représentants des professionnels et des instances de régulation et de contrôle. Nous avions pu alors repérer un certain nombre de blocages, certains d’ordre fiscal et réglementaire, mais aussi plusieurs rigidités administratives susceptibles de corseter le développement du marché de l’art en France.
Le constat était aussi que la libéralisation des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques engagée par les réformes de 2000 et de 2011 pour se mettre en conformité avec le droit européen n’avait pas eu sur le terrain les effets escomptés, malgré la progression sensible du volume des ventes aux enchères réalisées depuis lors.
Plusieurs études faisaient état des difficultés rencontrées par les professionnels en raison de l’arrivée d’autres acteurs sur le marché, d’une concurrence internationale croissante, mais aussi des conséquences de la réforme des commissaires de justice.
Dès lors, il fallait poursuivre la réforme, l’enjeu étant de concilier une plus grande liberté sur le marché des ventes volontaires avec le nécessaire maintien d’une régulation, gage de crédibilité et de probité dans un secteur imposant une grande attention et une véritable rigueur au regard des risques de fraudes qui peuvent le traverser.
La réforme du Conseil des ventes alors proposée, soutenue par de très nombreux collègues, a bénéficié des échanges nourris que j’ai pu avoir avec Henriette Chaubon et Édouard de Lamaze, auteurs de l’excellent rapport commandé par la suite par l’ancienne garde des sceaux, elle-même alertée des difficultés de la profession.
Cette réforme est substantielle, car elle modifie la composition, l’organisation interne, les missions et jusqu’à la dénomination du Conseil pour en faciliter l’identification. D’aucuns s’interrogent sur le mélange des professionnels et des magistrats. Il est à noter que toutes les réformes des professions régulées depuis dix ans ont été réalisées sur le mode de l’échevinage, reposant sur de nouveaux équilibres entre le caractère professionnel et la fonction de régulation.
Sitôt voté en octobre 2019, enrichi de plusieurs autres dispositions par notre commission des lois pour accroître et simplifier l’activité des opérateurs de ventes, ce texte a été transmis à l’Assemblée nationale. Malheureusement, son examen a été stoppé par la crise sanitaire au début de l’année 2020. Depuis lors, avec mon collègue Sylvain Maillard, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, avec qui nous avons travaillé en bonne intelligence, nous n’avons eu de cesse de solliciter du Gouvernement sa réinscription à l’ordre du jour.
Nous y sommes enfin ! C’est un élément de satisfaction, d’autant que les députés ont validé l’essentiel du texte transmis par le Sénat. Les modifications essentiellement techniques et rédactionnelles apportées ont fait l’objet d’échanges avec l’Assemblée nationale et la Chancellerie pour aboutir à une écriture satisfaisante pour tous.
Seul changement majeur : le mode de désignation du président du nouveau Conseil, dont nous avions beaucoup débattu ici en première lecture, sachant que la navette nous donnerait l’occasion d’approfondir la réflexion et de parvenir à un équilibre.
L’essentiel du texte issu du Sénat reste sinon inchangé. Sont conservés la nouvelle composition du Conseil permettant une présence accrue des professionnels tout en assurant la représentation du maillage territorial et des autorités de régulation ; l’élargissement du périmètre des missions du Conseil pour en faire un véritable outil de concertation entre le Gouvernement et les professionnels ; la fonction disciplinaire du Conseil.
Pour ma part, j’étais très attachée à la création d’un organe disciplinaire indépendant au sein du Conseil, estimant qu’il serait contre-productif, compte tenu du fort encombrement de la justice, de renvoyer cette fonction vers les tribunaux. Cette option permet par ailleurs le recours à la médiation.
Cette réforme très attendue permet donc la création d’un Conseil au service d’une profession portant un niveau élevé d’exigence de probité et d’expertise, comme l’a relevé Pierre Ouzoulias. À cet égard, on notera que, grâce au Sénat, les personnes physiques habilitées à diriger des ventes volontaires vont retrouver le beau titre de « commissaire-priseur », aussitôt que la profession de commissaire-priseur judiciaire aura disparu pour être fusionnée avec celle d’huissier de justice.
La réforme ne constitue pas une révolution, mais elle redonnera un souffle aux maisons de ventes françaises. Elle leur permettra d’élargir leur activité, d’être mieux armées face à la compétition internationale, au défi de la numérisation et des risques de concentration du marché.
Cette proposition de loi n’a aucune prétention à relancer à elle seule la compétitivité de la France sur le marché de l’art, ce serait très présomptueux. Il y aurait bien d’autres mesures à prendre.
Je déplore, comme vous, mes chers collègues, que la France, si longtemps patrie de la création artistique, ne puisse plus dans le domaine de l’art bénéficier de la même activité qu’autrefois, mais notre pays dispose encore d’atouts considérables sur ce marché : la richesse formidable et inégalée de son patrimoine, les compétences et la formation des professionnels, ainsi que l’ancrage territorial des sociétés de ventes volontaires. Alors, restons optimistes !
Avant de conclure, je remercie Philippe Bas et François-Noël Buffet, respectivement ancien et actuel président de la commission des lois, ainsi que nos deux rapporteures, Jacky Deromedi, puis Catherine Belrhiti, de leur forte implication et de nos échanges visant à parfaire le texte. Je suis également reconnaissante à Nicole Belloubet de son écoute et de son soutien. Je sais qu’elle reste attachée à cette réforme.
Monsieur le garde des sceaux, nous comptons désormais sur vous pour donner suite à cette proposition de loi.
Je m’étonne et je me préoccupe en effet de l’opposition à ce texte de l’actuel président du Conseil des ventes, qui a pourtant été nommé par votre prédécesseur pour mettre en œuvre la réforme. Il est pour le moins déplacé qu’il prenne aujourd’hui à partie les membres du CVV, qu’il leur adresse ses critiques et qu’il ait inscrit un vote sur le texte à l’ordre du jour de l’assemblée du CVV de jeudi dernier, vote qu’il a finalement et heureusement retiré. Et encore, je n’ai pas tout dit…
Jusqu’à preuve du contraire, mes chers collègues, les décisions appartiennent toujours au Gouvernement et au Parlement souverain dans la fabrique de la loi. Faut-il en plus rappeler, comme vous l’avez fait, monsieur le garde des sceaux, que ce texte a été voté à l’unanimité par les deux chambres ? C’est suffisamment rare pour être souligné.
Nous resterons donc très vigilants. Nous savons pouvoir compter sur vous, monsieur le garde des sceaux, pour que ce texte très attendu par la profession pour l’organisation de ses élections soit promulgué dans les meilleurs délais.
Sans surprise, le groupe Union Centriste, que je remercie également de sa confiance, votera ce texte conforme.