Intervention de Max Brisson

Réunion du 22 février 2022 à 15h15
Bilan de la politique éducative française — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Max BrissonMax Brisson :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier le président Retailleau et le groupe Les Républicains d’avoir inscrit à notre ordre du jour ce débat sur le bilan des politiques éducatives du quinquennat.

Fait rare, vous êtes, monsieur le ministre, le seul titulaire depuis cinq ans du portefeuille de l’éducation nationale. Et ces cinq années vous ont permis d’engager de nombreuses réformes : scolarité obligatoire dès trois ans, priorité au primaire, refonte du baccalauréat, revalorisation du métier de professeur, réorganisation systémique de l’école inclusive. Vous avez incontestablement fait preuve d’une vraie volonté réformatrice. Mais celle-ci a-t-elle eu sur l’école l’effet de revitalisation escompté ?

En fait, à l’heure du bilan, une seule question vaut : l’école se porte-t-elle mieux aujourd’hui qu’il y a cinq ans ? Tentons de le mesurer au travers de quatre orientations : la transmission des savoirs fondamentaux, la fluidité des parcours entre les enseignements scolaire et supérieur, le regard de la société sur les professeurs et l’autonomie des établissements.

Vous disiez en 2017 : « Nous donnerons la priorité à l’école primaire, pour que tous les élèves sachent lire, écrire et compter en arrivant en sixième. » Pourtant, en septembre dernier, 28 % des élèves de sixième ne disposaient toujours pas d’une compréhension suffisante en mathématiques. Et force est de constater que votre action n’a pas permis à la France de connaître, contrairement à d’autres pays européens, le choc déclenché par le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) et d’inverser une lourde tendance à la chute dans les classements internationaux.

Plus grave, vos mesures ont contribué à intensifier notre déclassement, notamment en mathématiques, dont 42 % des élèves ont une maîtrise fragile à la fin de l’école primaire. Le dédoublement des classes en réseaux d’éducation prioritaire (REP) et REP+ et le plafonnement des effectifs du primaire devaient pourtant redresser la situation.

Certes, environ 450 000 élèves scolarisés en zone d’éducation prioritaire (ZEP) bénéficient chaque année du dédoublement. Pour autant, à en croire votre ministère, dont je vais citer les évaluations, l’effet du dédoublement des classes paraît, en cours préparatoire, « un peu faible en français, mais conforme aux attentes en mathématiques », et il n’a « aucun effet supplémentaire en cours élémentaire, où le différentiel de progression est, en français comme en mathématiques, faible et non significatif ».

Les écarts entre les élèves relevant de l’éducation prioritaire et les autres continuent donc de se creuser. L’école de notre pays n’a pas inversé une tendance lourde à une transmission de plus en plus aléatoire des savoirs fondamentaux, en particulier pour les élèves des quartiers les plus défavorisés.

La fluidité des parcours entre l’enseignement scolaire et supérieur constituait une autre de vos ambitions en 2017. La réforme du baccalauréat devait y pourvoir. La liberté de choix accordée aux lycéens est certes intéressante, mais les modalités d’organisation restent compliquées. Professeurs et parents regrettent une course permanente à l’évaluation. Le très grand nombre de spécialités et d’options augmente les inégalités entre les petits et les grands lycées. §Surtout, les élèves peu ou mal conseillés s’aventurent parfois dans des appariements de spécialités sans cohérence avec les attendus et les prérequis de l’enseignement supérieur.

Celui-ci ne s’est d’ailleurs que très partiellement adapté à la réforme du baccalauréat, créant bien des angoisses chez les lycéens – et c’est une attitude qui n’est pas acceptable. Une meilleure articulation entre lycée et licence se dessine-t-elle ? On peut en douter.

Enfin, le baccalauréat à la carte a mis en difficulté l’enseignement des mathématiques : 31 % des lycéens de première et de terminale générales ne suivent plus aucun enseignement dans cette discipline, avec des contrastes entre garçons et filles indignes de notre pays.

Moins performante dans la transmission des savoirs fondamentaux, et n’ayant guère amélioré la fluidité des parcours entre le scolaire et le supérieur, l’école est également moins considérée, moins respectée. Un sondage commandé par le Sénat à l’occasion de l’Agora de l’éducation le montre nettement : 53 % des Français estiment que l’école fonctionne mal, et 65 % sont pessimistes sur son avenir, une proportion qui atteint presque 80 % chez les enseignants.

Sur ce point, toutes les études démontrent que vous n’avez pas réussi à mener l’immense chantier qui s’offrait à vous. Désormais, dans le pays où Victor Hugo assimilait les maîtres d’école à « des jardiniers en intelligence humaine », seuls 7 % des professeurs de collège estiment que leur profession est appréciée.

Vous vouliez pourtant redonner toute sa place au professeur dans sa classe et dans la société. Or la revalorisation salariale s’est enlisée dans un saupoudrage empêchant de reconnaître ceux qui s’engagent au-delà de leurs strictes obligations. Quelque 1 500 d’entre eux sont prêts à déserter pour fuir le professeur-bashing. Les jeunes aspirants enseignants rechignent de plus en plus à se retrouver dans les établissements et les quartiers les plus difficiles, alors que la progression de la violence à l’école n’a pas été enrayée et que des établissements de plus en plus nombreux sont chaque jour davantage soumis aux pressions communautaires.

À ces difficultés s’ajoute enfin un pilotage dont la verticalité est contestée par les syndicats et les personnels. N’aviez-vous pas annoncé, en 2017, vouloir donner « plus d’autonomie aux équipes éducatives » ? En fait, seulement 2 % des décisions prises dans les établissements le sont en autonomie totale, comme vient de le signaler un rapport de la Cour des comptes. Ce quinquennat n’aura donc été en rien celui d’une rupture avec une pratique très jacobine du pilotage.

Bien au contraire, il n’y a jamais eu autant de discours prescriptifs, de circulaires, de vade-mecum et de foires aux questions, dont les réponses deviennent autant de directives dictées depuis la rue de Grenelle. Vous n’avez pas su, vous n’avez pas pu, desserrer l’étau qui étouffe le dernier système éducatif centralisé et bureaucratisé d’Europe.

On est bien loin d’un ministère qui se recentrerait sur l’essentiel, d’un ministre qui n’écrirait aux professeurs que lorsque c’est indispensable, laissant la main aux recteurs chaque fois qu’il n’est pas impératif que les décisions soient prises à Paris.

En conclusion, il est indéniable que les réformes engagées partaient pour la plupart d’intentions louables. Mais, finalement, le bilan, en demi-teinte, apparaît bien insuffisant au regard de l’ampleur de la crise de l’école et de toute une série de modes de fonctionnement anciens, qui s’essoufflaient, et s’essoufflent encore, inlassablement.

Je veux bien concéder que la crise sanitaire a largement perturbé votre action. §Mais il est bien difficile de dire qu’aujourd’hui l’école se porte mieux qu’il y a cinq ans.

L’engagement des professeurs n’est pas en cause. C’est un problème d’organisation : comme d’autres avant vous, au nom de l’égalitarisme, confondu avec la recherche de l’équité, vous avez privilégié le saupoudrage et bridé les initiatives.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion