Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré toutes les qualités de la recherche française en santé, malgré le très haut niveau dont peuvent, à raison, se prévaloir nos scientifiques, nos instituts de recherche et nos entreprises, nos capacités d’innovation en santé souffrent à présent d’un certain retard par rapport à celles de nos voisins.
La France a largement sous-estimé certaines tendances lourdes, dont l’effacement des frontières entre recherche fondamentale et recherche clinique et appliquée, le besoin d’investissements massifs pour prendre le virage des biotechnologies, ou encore la délocalisation des capacités de production en principes actifs.
L’indépendance sanitaire française en a été sérieusement entamée. Les difficultés que notre pays a éprouvées dans la production d’un vaccin contre la covid-19, en comparaison avec les États-Unis, l’Allemagne ou le Royaume-Uni, sont symptomatiques de cette nouvelle donne paradoxale, faite d’excellence de la recherche « à la française » et de corsetage manifeste de ses potentialités. Résoudre cette tension est un impératif : il y va de l’accès des patients aux thérapies les plus susceptibles de les soigner.
Mes chers collègues, c’est ce à quoi s’emploie la proposition de loi que je vous présente ce soir. Elle découle de la fusion de deux précédentes propositions qu’Annie Delmont-Koropoulis et moi-même avions rédigées séparément, en 2019 et 2020. Elle est quelque peu technique, j’en conviens, mais peut constituer une réelle avancée pour les acteurs de la recherche et pour les patients, ce qui est le plus important.
Ce texte articule la défense de grands objectifs, comme la souveraineté sanitaire et le développement de la médecine personnalisée, avec la mise en œuvre de solutions concrètes pour fluidifier les procédures d’évaluation des recherches et permettre aux acteurs de l’écosystème de l’innovation en santé de produire, sans obstacle superflu, les traitements innovants les plus adéquats pour les patients.
Les dysfonctionnements sont, pour certains, identifiés depuis assez longtemps. La question de l’accès précoce est une préoccupation ancienne et constante de notre commission.
Dans un rapport que j’avais cosigné avec Yves Daudigny et Véronique Guillotin en juin 2018, en préparation du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS), la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) avait évalué le modèle français de l’accès précoce en cherchant à objectiver les conditions et les délais de mise à disposition des thérapies innovantes à chacune des étapes, des essais cliniques à la commercialisation des médicaments après leur autorisation de mise sur le marché (AMM), en passant par le système spécifique des autorisations temporaires d’utilisation (ATU).
D’autres éléments ont été précisés dans le rapport coécrit par Annie Delmont-Koropoulis, rapporteure de cette proposition de loi, et Véronique Guillotin dans le cadre du CSIS de 2021, qui a fourni en juin dernier un état des lieux actualisé de la situation, assorti de recommandations opérationnelles nouvelles.
Certaines avancées proposées par ces rapports ont été réalisées, comme les extensions d’indications. D’autres devraient être mises en œuvre prochainement par le Gouvernement, comme la création d’une agence de l’innovation en santé. Peut-être le secrétaire d’État nous en dira-t-il davantage sur le calendrier de sa création, annoncée en décembre dernier par le Premier ministre.
D’autres dysfonctionnements font précisément l’objet du présent texte. Nos deux collègues rapporteures proposaient ainsi de moderniser le fonctionnement des comités de protection des personnes, les CPP.
Ces comités, chargés d’émettre un avis préalable sur les conditions de validité de toute recherche impliquant la personne humaine, sont aujourd’hui surchargés. Cet engorgement retarde les essais cliniques indispensables à l’élaboration de nouveaux traitements.
L’article 6 s’attaque tout particulièrement à ce sujet et propose une solution originale pour externaliser les dossiers de recherches non interventionnelles, qui sont les dossiers en plus forte croissance, vers d’autres acteurs.
Il est en cela conforté par les articles 4, 5, 8 et 9, qui visent à améliorer le fonctionnement et à renforcer l’attractivité de ces comités de protection des personnes, à organiser leur évaluation et à favoriser les bonnes pratiques, ainsi qu’à renforcer la prévention des conflits d’intérêts par la création d’un déontologue au sein de la Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine.
Il s’agit aussi de donner corps à la notion de souveraineté et de sécurité sanitaire, que la proposition de loi range parmi les objectifs des stratégies nationales de recherche et de santé, avec l’amélioration de la qualité de vie.
L’autre grand enjeu de cette proposition de loi est l’accès des patients aux innovations.
Le forfait diagnostic cancer prévu par l’article 14 et la détermination, par l’article 16, d’un critère nouveau de « valeur thérapeutique relative » sont autant de dispositions qui entendent favoriser l’accès des patients aux fruits de l’innovation médicale. La facilitation des essais cliniques en ambulatoire, l’organisation du transport sanitaire des enfants atteints de pathologies rares vers les centres spécialisés y contribuent de façon plus indirecte, mais tout aussi importante.
Par ailleurs, le texte introduit dans la loi la définition de la médecine personnalisée. Certains la connaissent sous le terme de « médecine de précision », « médecine 4P » ou « médecine 5P ». Son développement s’appuierait sur la recherche appliquée en santé, également définie par l’article 12, ainsi que sur des volets spécifiques au sein de la stratégie nationale de santé et de la stratégie nationale de recherche, comme le prévoit l’article 13.
À la fluidification de l’évaluation des recherches, à la facilitation de l’accès des patients à l’innovation, à la consécration des objectifs de souveraineté sanitaire et de développement de la médecine personnalisée, s’ajoutent enfin quelques dispositions sur la problématique des données personnelles de santé.
L’accès à ces données d’une incroyable richesse doit être facilité pour mieux comprendre les effets d’un traitement. C’est tout l’enjeu, notamment, de l’exploitation des données en vie réelle, sur lesquelles la Haute Autorité de santé doit s’appuyer plus systématiquement.
L’accès aux données de santé doit toutefois faire l’objet d’un encadrement équilibré : la confiance de nos concitoyens dans le système national des données de santé (SNDS) est effectivement indispensable pour permettre à ce dernier de déployer son plein potentiel au bénéfice des patients.
La sécurisation du stockage des données personnelles de santé au niveau européen, visée par l’article 22, est un moyen déterminant du renforcement de cette confiance.
Anticipant quelque peu sur la mission d’information relative aux données de santé que la commission des affaires sociales lancera très prochainement, je saisis d’ailleurs l’occasion fournie par l’examen de cette proposition de loi pour vous demander, monsieur le secrétaire d’État, davantage d’explications sur les conditions dans lesquelles le contrat de prestation liant Microsoft et la plateforme des données de santé a été conclu en avril 2020.
Où en sont, par ailleurs, la recherche et le développement des solutions techniques de substitution de niveau européen pour héberger et gérer les données personnelles de santé ? Il ne paraît pas possible de se satisfaire de la situation actuelle, qui est, il faut bien le dire, assez bancale.
Cette proposition de loi me semble offrir un arsenal de mesures cohérent et assez large pour développer l’innovation en santé sur notre territoire.
Je voudrais enfin remercier la rapporteure, Annie Delmont-Koropoulis, qui a conduit un travail de consultation de grande ampleur sur ce texte et l’a profondément amélioré, conformément aux intentions de son auteure, dans un souci permanent de prise en compte des réalités de terrain. Elle est allée jusqu’à proposer des solutions assez audacieuses pour faire sauter les derniers verrous – je songe au désengorgement des comités de protection des personnes ou à la création de CPP spécialisés.
Je vous propose donc, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de loi dans la rédaction issue des travaux de la commission.