Intervention de Annie Delmont-Koropoulis

Réunion du 22 février 2022 à 15h15
Innovation en santé — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Annie Delmont-KoropoulisAnnie Delmont-Koropoulis :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a indiqué Catherine Deroche, ce texte reprend certaines des propositions que nous avions formulées séparément en 2019 et en 2020, ainsi que celles qui sont issues des derniers travaux de la commission, notamment le rapport que j’ai coécrit avec Véronique Guillotin dans le cadre du CSIS de 2021.

J’ai en outre auditionné, pour l’occasion, près d’une soixantaine de personnes, reflétant toute la richesse de l’écosystème de la recherche en santé : acteurs de la recherche académique, industriels du médicament, spécialistes des traitements innovants en oncologie ou en pédiatrie, autorités de régulation, entrepreneurs des biotechs, acteurs de l’évaluation éthique de la recherche. Il s’agissait pour moi de solliciter les vues les plus larges sur ce sujet d’importance majeure, pour les patients d’abord, pour le rang de la France dans la compétition scientifique et industrielle ensuite.

Le premier volet de ce texte vise à améliorer le système d’évaluation éthique des recherches conduites dans le domaine de la santé. En effet, toute recherche impliquant la personne humaine doit faire l’objet d’un avis favorable d’un comité de protection des personnes. Or ces instances sont mal équipées pour absorber la charge de travail qui leur revient. D’où les solutions proposées par le texte : mieux les équiper et alléger cette charge de travail.

L’article 3 visait ainsi, afin de garantir aux comités les moyens matériels nécessaires à l’exercice de leurs missions, à les rattacher systématiquement à un centre hospitalier universitaire (CHU).

La commission a proposé d’élargir cette possibilité aux centres hospitaliers et aux établissements de santé publics et privés d’intérêt collectif – qui peuvent être, par exemple, des centres de lutte contre le cancer. Elle a également proposé que certains CPP soient spécialisés en pédiatrie et en maladies rares, car ce sont des compétences spécifiques, dont la bonne identification contribuera à soutenir le développement des recherches.

L’article 8 prévoit la valorisation de la participation aux travaux des CPP dans la carrière des universitaires et praticiens hospitaliers, afin de remédier au déficit d’attractivité de ces activités, aujourd’hui faiblement indemnisées et exercées pour l’essentiel par des passionnés.

L’allégement de la charge de travail des CPP fait l’objet de l’article 6. Plus d’un tiers des demandes de recherche soumis aux CPP pour évaluation sont des recherches non interventionnelles. Il s’agit de la troisième catégorie de recherches définie par la loi du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine, dite Jardé, d’où leur nom : RIPH 3. Elles sont sans risque pour la personne humaine.

Les fabricants de dispositifs médicaux étant appelés à réaliser davantage de recherches post-commercialisation, le nombre de RIPH 3 a vocation à croître encore.

Dans notre rapport, Véronique Guillotin et moi-même proposions de transférer ces dossiers à un comité d’éthique spécialisé. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) formulait déjà une proposition analogue en 2014.

Les auditions m’ont toutefois conduite à reconsidérer le problème.

Peu d’interlocuteurs semblent croire à la solution du comité unique spécialisé, pour des raisons tenant à son volume d’activité attendu et au risque de concentration des conflits d’intérêts. Je reste par ailleurs sceptique sur la solution proposée par le député Cyrille Isaac-Sibille lors de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, consistant à créer des « comités d’éthique locaux » coiffés de leur propre commission nationale de coordination et de recours.

La commission a finalement accepté de suivre ma proposition consistant à décharger les CPP des RIPH 3 en faisant appel aux comités d’éthique de la recherche (CER) qui existent déjà.

Ces comités, aujourd’hui consultatifs et logés dans les universités, examinent les recherches n’impliquant pas la personne humaine au sens de la loi Jardé, qui peuvent concerner la santé, mais aussi les sciences de l’homme. S’il arrive que des membres de CER soient aussi membres de CPP, on peut dire, je crois, que les deux mondes s’ignorent largement.

Qu’est-ce qui empêche pourtant d’imaginer leur convergence, jusqu’au partage, dans des conditions ne privant pas les CPP de leur compétence, d’une matière commune, laquelle a pour principal critère de définition d’être sans risque pour les personnes se prêtant à la recherche ?

Cela exigera, certes, de porter les CER au niveau de compétences qui est exigé pour ce type de recherches. Or il se trouve que conférer une base légale et mieux encadrer la création, le fonctionnement et l’évaluation des CER, c’est précisément l’objet de l’article 9.

C’était aussi un peu celui de l’article 4, qui rendait la Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine compétente pour chapeauter les « pratiques » des CER, aussi bien que des CPP, constituer un référentiel commun, établir un annuaire des experts mobilisables, proposer des formations et abriter un déontologue chargé de prévenir les conflits d’intérêts.

Toujours afin de faciliter et mieux encadrer la recherche, l’article 1er précise les dispositions relatives aux essais cliniques en ambulatoire, rend possible le recours à la télémédecine lorsque les patients sont suivis à domicile et tâche de remédier au problème du transport des enfants atteints de pathologies rares vers les centres spécialisés, qui sont donc peu nombreux et mal répartis, où les essais cliniques peuvent être conduits.

Le deuxième volet de ce texte vise à soutenir la recherche dans le domaine de la médecine personnalisée.

Les articles 11 à 13 tendent à faire du développement de la médecine personnalisée un objectif commun aux politiques de recherche et de santé publique.

L’article 11 prévoit que la politique nationale de recherche et la recherche publique contribuent au renforcement de la souveraineté et de la sécurité sanitaire, ainsi que de l’amélioration de la qualité de vie.

Pour améliorer la qualité de prise en charge, rangée par l’article 12 parmi les objectifs de la politique de santé, la médecine personnalisée, désormais définie comme l’adaptation des actions de prévention et des stratégies diagnostiques et thérapeutiques aux spécificités du patient et de l’affection, serait selon moi un puissant adjuvant.

Le troisième volet consiste à favoriser l’accès des patients à l’innovation.

L’article 14 introduit un mécanisme original visant à mieux prendre en charge le diagnostic d’un cancer. De tels actes sont aujourd’hui financés par une enveloppe fermée au sein de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) et rendue trop étroite par les progrès du séquençage de nouvelle génération.

Issu des réflexions que j’ai pu avoir avec Dominique Stoppa-Lyonnet, professeure de génétique et ancienne membre du Comité consultatif national d’éthique, cet article consiste à prendre en charge forfaitairement la recherche de biomarqueurs diagnostiques, pronostiques ou théranostiques pour tout nouveau cancer diagnostiqué chez un patient.

L’article 15 confie à la Haute Autorité de santé une mission de veille et de prospective, que la future Agence de l’innovation en santé exercera peut-être, mais qu’il n’est pas inutile, en attendant, d’inscrire dans la loi. En outre, il assouplit légèrement l’organisation de la Haute Autorité.

Les articles 16 et 18 visent à favoriser l’accès des patients aux médicaments innovants.

Le premier prévoit, à titre expérimental, que le Comité économique des produits de santé (CEPS) pourra fonder le prix d’un médicament innovant, dont l’amélioration du service médical rendu est par hypothèse difficile à mesurer par comparaison avec un autre, sur un critère nouveau, celui de sa « valeur thérapeutique relative », qui serait soumis à des réévaluations périodiques en fonction des données de vie réelle collectées.

La dernière partie du texte est relative aux données de santé.

Les titulaires d’une autorisation de mise sur le marché ou les exploitants d’un traitement peuvent avoir besoin, pour évaluer son efficacité en vie réelle, d’accéder aux données de santé du SNDS.

L’article 20 vise à mieux encadrer cet accès et à le conditionner à la remise annuelle d’une étude évaluant les effets de la prescription des produits, ainsi qu’à la validation d’un protocole de recherche par le comité compétent.

Les articles 21 et 22, enfin, visent à renforcer les garanties des citoyens patients quant à l’usage de leurs données personnelles de santé.

L’article 21 interdit l’usage de ces données par les organismes complémentaires à des fins de sélection des risques.

L’article 22 tend à sécuriser le stockage des données en santé en réservant leur hébergement et leur gestion à des opérateurs relevant exclusivement de la juridiction de l’Union européenne.

Certes, il n’existe pas encore de solution technique souveraine à même de remplacer Microsoft Azure, l’outil auquel la plateforme des données de santé a recouru pour héberger et gérer les données de santé du SNDS. Toutefois, les risques sont réels et ils peuvent saper la confiance de nos concitoyens dans le SNDS, entravant ainsi le plein déploiement de ses capacités, en particulier au bénéfice de l’innovation en santé.

Je salue à ce propos l’ouverture de l’espace numérique de santé, indispensable pour améliorer le suivi des patients, ainsi que la coordination entre les médecins traitants et les spécialistes.

Vous le voyez, mes chers collègues, ce texte s’efforce, dans un format réduit, de lever un certain nombre de freins à l’innovation en santé, dans le souci de soutenir l’ensemble de l’écosystème. Puisse-t-il bénéficier de la navette pour être amélioré et profiter à la recherche et à notre pays dans son ensemble !

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