Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, chère Catherine Deroche, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous vous apprêtez à examiner a pour objet de renforcer l’évaluation éthique de la recherche en santé et d’améliorer les conditions d’accès aux thérapies innovantes – autant d’objectifs que nous partageons pleinement.
Je tiens à saluer l’investissement de la commission sur ces sujets, ainsi que les travaux que vous avez menés ces dernières années et qui ont nourri cette initiative.
Le texte comporte trois volets : le premier a trait aux recherches impliquant la personne humaine, le deuxième à l’accès au marché des produits de santé innovants et le troisième à l’utilisation des données de santé.
Concernant tout d’abord les recherches impliquant la personne humaine, permettez-moi de rappeler que l’une des priorités du Gouvernement dans le cadre du plan Innovation Santé 2030 est précisément de renforcer l’attractivité de la France en matière de recherche.
Notre objectif est d’augmenter le nombre d’essais cliniques et le nombre de patients inclus, notamment par une réduction significative des délais d’autorisation, tout en conservant évidemment un haut niveau de qualité méthodologique et éthique.
Pour y parvenir, le Gouvernement a engagé de nombreuses actions en vue de réduire drastiquement les délais d’évaluation des projets de recherche et de préparer l’entrée en vigueur de règlements européens. Les moyens des comités de protection des personnes (CPP) ont ainsi été renforcés, grâce notamment à une hausse de 5 millions d’euros des budgets consacrés à l’évaluation éthique des produits de santé, au recrutement de renforts administratifs, à la revalorisation des indemnités des membres ou encore à la mise en place de nouveaux cycles de formation.
Le ministère a par ailleurs mis en place une plateforme de support et d’animation du réseau des comités pour harmoniser leurs pratiques. Un pôle a aussi été créé à la fin du mois de janvier dernier pour renforcer leur coordination.
Toutes ces réformes sont nécessaires au regard des évolutions réglementaires européennes, qui prévoient des délais d’évaluation plus courts, et du fait que le silence des comités vaut avis favorable, ce qui rend indispensable le respect des délais impartis.
Ces mesures portent leurs fruits : plus de 99 % des 351 projets de recherche relevant du champ du règlement sur les essais cliniques de médicaments et soumis entre septembre 2021 et la fin janvier 2022 respectent les délais d’évaluation éthique prévus.
Le renforcement des moyens des CPP ne leur permettra toutefois pas d’évaluer dans les délais réglementaires l’ensemble des projets de recherche impliquant la personne humaine soumis chaque année. Il y a trop de recherches déposées pour les 39 comités. Il faut donc créer d’autres structures et élargir le vivier de recrutement des personnes volontaires.
Cependant, nous estimons qu’une modification majeure du fonctionnement des CPP n’est pas opportune dans l’immédiat, car trois règlements européens viennent d’entrer en vigueur.
La proposition de loi prévoit de confier à d’autres structures la mission d’évaluation des recherches non interventionnelles. Une telle évolution semble à terme indispensable et doit être organisée de manière structurelle pour que ces recherches ne passent plus par les CPP.
En la matière, les évolutions proposées par le député Cyrille Isaac-Sibille dans le cadre du vote de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, qui avaient fait l’objet d’une concertation avec les acteurs du secteur, nous semblent constituer le bon équilibre. Elles visent à confier l’évaluation des recherches non interventionnelles à des comités d’éthiques locaux de la recherche, créés par des établissements de santé et coordonnés par une commission nationale.
Plusieurs autres dispositions figurant dans cette proposition de loi nous semblent intéressantes, notamment celles qui portent sur la recherche en ambulatoire, la pérennisation d’une procédure d’évaluation accélérée des recherches en cas d’urgence sanitaire ou la valorisation de l’activité de rapporteur de projets de recherche dans les carrières.
Nous sommes plus réservés sur la perspective de prévoir l’évaluation éthique systématique des projets de recherche impliquant la personne humaine ne poursuivant pas de finalité biologique ou médicale. Une telle réforme nécessite un travail préparatoire pour être mise en œuvre.
Le Gouvernement souhaite par ailleurs attirer votre attention sur l’importance de prioriser les évolutions juridiques qui concernent les CPP, étant donné les multiples changements survenus récemment, lesquels sont longs à absorber pour des personnes exerçant leur activité de membre en sus de leur carrière professionnelle.
Le deuxième volet de la proposition de loi a trait à l’accès à l’innovation dans le champ des produits de santé, sujet qui soulève des questions importantes en termes de santé publique. Comment garantir que les patients pourront être traités avec les produits les plus innovants, le plus tôt possible, et équitablement sur le territoire ? Comment anticiper l’arrivée de ces produits et assurer leur prise en charge, alors que les données, prometteuses, demeurent souvent précoces et ne permettent pas toujours une évaluation de droit commun ?
Ces questions sont essentielles, et le Gouvernement s’est résolument engagé en faveur de dispositifs concrets pour apporter des solutions.
La réforme de l’accès précoce relative aux médicaments, qui est entrée en vigueur en juillet dernier, a notamment permis de simplifier et d’accélérer les procédures dérogatoires, de systématiser la prise en charge immédiate des patients, de garantir un cadre d’éligibilité clair et d’assurer un maximum de prévisibilité aux entreprises sur le mode de financement.
Ces évolutions ont produit des résultats très concrets.
Ainsi, les patients français sont les premiers au monde à avoir bénéficié d’un traitement en prophylaxie, avec des anticorps monoclonaux actifs contre le variant omicron du virus SARS-CoV-2. Plus de 14 000 patients en profitent aujourd’hui, ce qui leur offre une meilleure protection, dans un cadre strict et sécurisé que nos autorités sanitaires ont fixé. Nous sommes, à date, le seul pays européen à proposer ce traitement.
Le deuxième exemple est celui du traitement du cancer du sein métastasique sous une forme dite « triple négative ». Les patientes françaises en bénéficient depuis novembre 2021, ce qui fait de notre pays le premier en Europe à y donner accès. Vous l’aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, en matière d’innovation et d’accès anticipé, la France a su se réformer et répondre présent.
Nous menons d’autres actions dans le cadre du plan Innovation Santé 2030.
Je pense notamment à l’élargissement de l’accès à la liste en sus pour les médicaments et dispositifs médicaux avec une amélioration du service attendu (ASA) ou une amélioration du service médical rendu (ASMR) de niveau IV, qui est effectif depuis le 1er janvier 2022. Très concrètement, ces produits innovants mais onéreux sont remboursés à 100 % aux établissements de santé, ce qui en facilite l’utilisation et contribue à assurer une équité de traitement partout sur le territoire.
Je pense aussi au dispositif d’accès direct, qui permet à certains médicaments d’être pris en charge de manière anticipée dès la publication de l’avis de la Haute Autorité de santé, et ce pour une durée d’un an. Le lancement opérationnel de ce dispositif est prévu dans le courant de l’année 2022.
Enfin, pour accompagner cette dynamique d’innovation, le Premier ministre a annoncé la mise en place d’une Agence de l’innovation en santé au début de l’année 2022. Celle-ci aura notamment pour mission de doter la France d’une stratégie et d’objectifs à court et à long terme, en lien avec tous les acteurs de la recherche et de l’innovation. Elle proposera aussi un guichet unique aux porteurs d’innovation, ce qui permettra d’accélérer le délai de mise sur le marché des nouveaux produits, avec une approche personnalisée pour accompagner les entreprises.
Pour répondre à votre question, madame la présidente Deroche, sachez que le recrutement du directeur ou de la directrice de cette agence est en cours et que son nom devrait être annoncé dans les toutes prochaines semaines. L’agence devrait donc être opérationnelle au cours du premier semestre de 2022.
J’ajoute que le plan Innovation Santé 2030, doté de plus de 7, 5 milliards d’euros, consacrera plus de 650 millions d’euros à la santé numérique.
Sur ce deuxième volet, le Gouvernement souhaite privilégier la mise en œuvre et l’appropriation des nombreuses mesures déjà prises avant d’envisager de nouvelles évolutions.
Permettez-moi enfin d’évoquer le troisième et dernier volet de cette proposition de loi portant sur le numérique en santé.
La santé numérique est entrée dans la vie de nombre de nos citoyens et permet de réelles avancées en termes de prise en charge des patients.
Dans ce domaine, la crise sanitaire a accéléré les pratiques dans des proportions historiques. À l’occasion de la première vague, nous sommes passés de 10 000 à plus de 1 million de téléconsultations par semaine ! En pleine tempête, le numérique en santé a montré qu’il était fondamentalement une solution efficace pour accéder aux soins et un allié de poids pour surmonter des contraintes inédites.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a lancé plusieurs plans d’investissement ambitieux, qui constituent un soutien tout à fait inédit des pouvoirs publics en la matière.
Le premier correspond au lancement au début du mois de février de « Mon espace santé », qui constitue un nouveau carnet de santé pour tous les Français, disponible dans leur smartphone ou leur ordinateur. Cet espace numérique stocke tous les examens de santé : chaque patient peut renseigner ses antécédents, ses allergies et y classer ses ordonnances. J’invite chacun, ici et en dehors de cet hémicycle, à utiliser ce nouvel outil, dont les données sont évidemment sécurisées et hébergées en France.
Le deuxième est la mise en œuvre du Ségur de la santé numérique, qui améliorera l’efficacité de notre système de santé par un échange sécurisé des données entre les professionnels de santé : plus de 2 milliards d’euros seront investis, dont 600 millions d’euros dans le seul secteur médico-social. Notre ambition est de moderniser, de sécuriser et de rendre interopérables les logiciels métiers dans les établissements et chez les professionnels de santé en ville, afin de fluidifier les échanges.
Le troisième repose sur le remboursement de la télésurveillance des patients. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 prévoit sa généralisation d’ici à l’été prochain, en définissant l’architecture d’un modèle de financement de droit commun de la télésurveillance par l’assurance maladie.
L’ambition du Gouvernement s’incarne également dans PariSanté Campus, lancé à la fin de 2020. Comme vous le savez, il s’agit d’un campus de recherche, de formation, d’innovation et d’entrepreneuriat dans le domaine du numérique pour la santé.
En parallèle, l’utilisation des données à des fins de recherche, d’études ou d’évaluation s’est très fortement développée ces dernières années, ce dont on ne peut que se féliciter. Le système national des données de santé (SNDS) couvre intégralement l’utilisation des données en vie réelle, comme le démontrent les nombreuses études réalisées, que ce soit par la recherche académique, les agences ou les industriels du médicament.
Nous comprenons que le développement du numérique en santé suscite des questions essentielles et fort légitimes en ce qui concerne la protection des données personnelles. Le Gouvernement partage évidemment les préoccupations des parlementaires concernant l’hébergement des données du SNDS dans des conditions garantissant leur bon usage et leur sécurité.
Nous travaillons à ce que des solutions respectant les critères posés par la circulaire du 5 juillet 2021 soient trouvées, puis utilisées par le Health Data Hub (HDH) le plus rapidement possible. Les projets actuellement traités sur la plateforme du HDH ont bien sûr été autorisés par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). La souveraineté en matière d’hébergement des données de santé est primordiale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, nous sommes parfaitement conscients de l’importance des sujets abordés dans le cadre de cette proposition de loi. Le Gouvernement a d’ailleurs déjà engagé de nombreuses actions, qui produisent des résultats positifs et concrets et dont la mise en œuvre doit se poursuivre.
Je tiens à saluer les évolutions apportées à la suite de l’examen du texte en commission, sur l’initiative de votre rapporteure. Elles ont permis des améliorations et une actualisation du texte initial, avec l’éclairage technique des services du ministère.
Nous pensons toutefois qu’il est important de stabiliser nos procédures et d’accompagner l’ensemble des structures pour qu’elles puissent assimiler les dernières réformes dans leur pratique, sans modifier substantiellement notre système. Dans l’immédiat, le Gouvernement n’envisage donc pas de changement majeur sur ces différents sujets.
Toutefois, cette proposition de loi nous permet de débattre de questions cruciales pour l’avenir de notre système de santé. De plus, certaines des mesures proposées dans ce texte pourront nourrir dans un second temps – j’en suis convaincu – de nouvelles évolutions en faveur de l’innovation en santé.