Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 3 février 2022 à 9h05
Institutions européennes — Déplacement d'une délégation de la commission des affaires européennes en italie du 8 au 9 novembre 2021 - communication

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, président :

Mes chers collègues, j'ai le plaisir de vous rendre compte ce matin du déplacement à Rome, en novembre dernier, d'une délégation de notre commission des affaires européennes. J'étais accompagné de Gisèle Jourda, Claude Kern, Didier Marie et André Reichardt. Nous avons participé à des réunions des commissions des affaires européennes du Sénat italien et de la Chambre des députés et avons eu une série d'entretiens avec des responsables italiens ainsi que, naturellement, avec notre ambassadeur.

Tout d'abord, je souhaiterais souligner la qualité de notre relation bilatérale avec le Sénat italien. Cette relation est ancienne et régulière, mais la pandémie a malheureusement limité nos possibilités de réunions communes ces deux dernières années, notre dernière rencontre remontant à avril 2019, lorsque nous avions accueilli au Sénat une délégation italienne.

Il s'agissait donc de relancer concrètement cette relation, dont je souligne l'importance institutionnelle : depuis la sortie du Royaume-Uni, le Sénat italien est la seule seconde chambre d'un pays comparable de l'Union à disposer de compétences législatives étendues.

Nos relations sont au demeurant excellentes et nous avons encore récemment coopéré de façon extrêmement concrète avec le Sénat italien, lors de la mise en place de la Conférence sur l'avenir de l'Europe.

Ce déplacement s'inscrivait également dans un moment particulier de la relation franco-italienne. En 2019, cette relation était au plus bas et notre ambassadeur était rappelé à Paris ; trois ans plus tard, notre relation est au plus haut et s'est concrétisée dans le traité du Quirinal, qui offre un pendant au traité de l'Élysée signé avec l'Allemagne, augurant d'un véritable couple franco-italien au sein de l'Union européenne. Car ce traité est certes un traité bilatéral, mais il vise notamment à créer une coopération franco-italienne au sein de l'Union européenne.

Notre déplacement s'inscrivait aussi naturellement dans la perspective de la présidence française du Conseil de l'Union européenne et de l'agenda législatif européen des prochains mois. Nous avons ainsi principalement parlé de migrations, d'élargissement, d'énergie et du pacte de stabilité et de croissance.

Sur les questions migratoires, nous avons eu plusieurs entretiens sur les questions migratoires, qui revêtent une importance et une sensibilité particulières en Italie, pays « de première entrée », notamment avec Marco Minniti, ancien ministre de l'Intérieur.

La différence de situation entre la France et l'Italie explique que nos deux pays aient des visions légèrement différentes. Sans surprise, l'Italie souhaite l'adoption d'un pacte asile et immigration « complet et ambitieux », qui aborde la question des relocalisations et permette de renforcer l'agence Frontex. Nous savons qu'obtenir un accord sur ce paquet ne sera pas aisé et nos interlocuteurs ont abondé dans le même sens : après cinq ans de discussions infructueuses pour une gestion européenne de la crise migratoire, trouver un accord ne sera pas facile.

Certains interlocuteurs nous ont même fait part d'un franc pessimisme, voire d'inquiétudes. Les migrations semblent être devenues les nouveaux instruments de pression des autocraties aux marges de l'Europe et, peut-être, un moyen de peser sur les résultats des élections à venir en France, puis, en 2023, en Italie.

La position de l'Italie sur le sujet migratoire consiste également à agir dans les zones de départ et donc à mettre l'accent sur la dimension externe du pacte, considérant qu'au moment de l'arrivée des migrants en Europe, il est déjà trop tard pour véritablement agir, du fait des divisions des Européens, sous la pression de leur opinion publique.

Deux autres propositions ont été formulées : d'une part, celle de présenter un plan d'investissement massif de l'Union en Afrique du Nord, afin de lutter contre les migrations d'origine économique, en conditionnant les investissements à un engagement des pays concernés à lutter contre le trafic d'êtres humains ; d'autre part, celle de mettre en oeuvre des corridors humanitaires pour les migrants fuyant des zones de conflits, afin de couper l'herbe sous le pied des trafiquants d'êtres humains.

En définitive, sur ces questions migratoires, malgré des situations nationales différentes, nous nous sommes accordés avec nos interlocuteurs italiens à considérer que la réponse à y apporter ne pouvait être qu'européenne et que le « chacun pour soi » ne pouvait pas fonctionner.

La question de l'élargissement aux Balkans est un autre point de désaccord entre la France et l'Italie, même si nous reconnaissons tous la perspective européenne de ces pays.

La France est plus réticente car nous craignons qu'un élargissement trop rapide n'affaiblisse la cohérence et le fonctionnement de l'Union, quand nos partenaires italiens s'inquiètent des influences étrangères dans ces pays, en forme d'alternative à l'Union européenne. Un de nos interlocuteurs nous disait ainsi : « nous risquons de générer au coeur de l'Europe une zone d'influence turque, russe et chinoise. Soit, nous remplissons ce vide politique en ouvrant des perspectives, soit d'autres le feront à notre place ».

Cette crainte était appuyée par l'exemple libyen : il y a dix ans, la France et l'Italie avaient deux agendas politiques différents et non concertés ; aujourd'hui nous y sommes remplacés par les Russes et les Turcs.

L'énergie et la place du nucléaire ont aussi été abordées. Les échanges avec les sénateurs italiens ont longuement porté sur les questions énergétiques et en particulier sur la reconnaissance de la contribution de l'énergie nucléaire à la décarbonation de nos économies et à la protection de l'environnement.

Les questions énergétiques sont appréhendées de façon différente de chaque côté des Alpes, voire au sein de chaque assemblée, dans la mesure où l'Italie a fait le choix, par référendum, de ne pas recourir à l'énergie nucléaire.

Néanmoins, sur ce sujet aussi, nous nous sommes accordés à considérer que l'échelle européenne était celle pertinente pour discuter de ces questions.

Je vais désormais aborder la réforme du pacte de stabilité et de croissance. Sur ce pacte, nos deux pays partagent une même vision de sa nécessaire évolution, pour ne pas commettre de nouveau les erreurs du passé et briser la reprise post-pandémie.

À ce titre, la récente réélection de Sergio Mattarella à la présidence de la République italienne permet à Mario Draghi de rester Président du Conseil, ce qui devrait sécuriser, au moins à court terme, la mise en oeuvre du plan de relance italien. Je rappelle que ce plan est considérable : l'Italie va recevoir de l'Union près de 70 milliards d'euros de dons, auxquels s'ajoutent environ 123 milliards d'euros de prêts et enfin 30 milliards d'euros du budget national, soit un total supérieur à 220 milliards d'euros.

Voici la teneur des principaux échanges que nous avons eus avec nos interlocuteurs italiens et que les collègues qui m'accompagnaient pourront compléter. Je souligne à nouveau la qualité de notre relation : les points de convergence l'emportent largement sur les désaccords. Il nous appartiendra d'inviter à notre tour nos homologues italiens, dans les prochains mois, pour continuer à renforcer nos relations.

Voilà mes chers collègues ce que je souhaitais vous communiquer sur ce déplacement qui intervenait à un moment d'incertitude où le Président Mattarella se refusait à exercer un second mandat. La situation politique a évolué depuis et assure une certaine stabilité politique au pays, dont le peuple italien est demandeur.

J'ai récemment visité deux pays au sein desquels la confiance populaire dans les gouvernements était installée : il s'agit de la Grèce et de l'Italie. Cette stabilité offre à ces pays un « redémarrage » beaucoup plus visible après la crise, par rapport à de nombreux autres pays.

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