Intervention de Jean-François Rapin

Commission des affaires européennes — Réunion du 3 février 2022 à 9h05
Institutions européennes — Programme de travail de la commission européenne pour 2022 - proposition de résolution européenne et avis politique

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin, président :

Je vous propose maintenant d'aborder le deuxième point de notre ordre du jour. Il s'agit du programme de travail de la Commission européenne pour 2022. Il s'agit d'un sujet assez dense et des points de modifications sont à analyser ensemble. Nous avons essayé de travailler sur ce sujet avec Didier Marie - qui est malheureusement retenu - pour s'accorder ensemble sur l'adoption d'une PPRE qui serait acceptée par tous. Ce document est amendable, je le répète.

Le 19 octobre dernier, la Commission européenne a présenté son programme de travail pour 2022, intitulé Ensemble pour une Europe plus forte, en l'introduisant par ces mots : « Notre Union sort d'une période de crise sans précédent. Face à une série d'évènements mondiaux perturbateurs, nous avons montré qu'en agissant de concert, en étant unis et en affichant une grande ambition, nous pouvons relever les défis les plus difficiles et respecter nos engagements envers les citoyens européens. ».

En 2022, l'objectif du programme de la Commission est triple : témoigner de la « détermination à rebondir après la pandémie et à en sortir plus forts », « accélérer la double transition écologique et numérique » et « bâtir une société plus juste, plus résiliente et plus durable ». Ainsi, la Commission européenne souhaite se tourner vers l'avenir et a d'ailleurs consacré 2022 comme « Année européenne de la jeunesse ».

Le programme de travail comporte 32 nouvelles actions, contre 44 en 2021, toujours réparties selon les six grandes ambitions définies dans les orientations politiques d'Ursula von der Leyen : le Pacte vert pour l'Europe (5 actions), l'Europe adaptée à l'ère du numérique (7 actions), l'économie au service des personnes (7 actions), l'Europe plus forte sur la scène internationale (4 actions), la promotion de notre mode de vie européen (5 actions) et un nouvel élan pour la démocratie européenne (4 actions).

Au total, ces 32 actions devraient être mises en oeuvre à travers 42 initiatives, selon un calendrier prévisionnel établi de façon trimestrielle - la Commission prend bien soin de préciser que ces informations restent indicatives. Le nombre total d'initiatives prévues en 2022 est en nette diminution par rapport à celui de 2021 (qui était, je le rappelle, de 89). Dans ce cadre, il en va de même pour les initiatives législatives, qui passeraient à 24 contre 59 en 2021, comme pour les initiatives non législatives, qui doivent être ramenées de 30 en 2021 à 15 en 2022. Précisons enfin que la Commission européenne n'a pas encore précisé le statut (législatif ou non législatif) de trois de ses initiatives. Je préciserai par la suite le contenu de ces diverses initiatives.

Par ailleurs, le programme de travail présente également les révisions, évaluations et bilans de qualité auxquels la Commission envisage de procéder en 2022, au titre du programme REFIT de simplification. 26 initiatives sont prévues dans ce cadre, après 41 en 2020, dont 7 au titre du Pacte vert pour l'Europe, 9 au titre d'une Europe adaptée à l'ère du numérique, 4 au titre d'une économie au service des personnes, 2 au titre de la promotion du mode de vie européen et 4 en ce qui concerne le nouvel élan pour la démocratie. Je souhaite citer en particulier la révision de la directive relative au traitement des eaux urbaines résiduaires et celle de la législation européenne sur la commercialisation des semences, ou encore la révision de certains aspects procéduraux du contrôle des concentrations. Sur ce point, force est de constater et même de déplorer que, pour la deuxième année consécutive, la communication sur la définition du marché dans le droit de la concurrence européen demeurera soumise à évaluation, sans signe tangible d'évolution dans la position de la Commission européenne sur la taille du marché pertinent. Citons également la révision de la législation douanière de l'Union européenne, l'actualisation de la directive sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou encore la révision de la directive relative aux droits des victimes.

La Commission dresse également la liste des 76 textes déjà présentés, parfois il y a plusieurs années, et considérés comme prioritaires, mais encore en attente, leur examen législatif restant en cours. Il y en avait 50 en 2021, ce chiffre élevé étant à la fois le résultat d'une « forte production » normative de la Commission européenne au cours de l'année 2021 et aux retards de calendrier liés à la pandémie. En 2022, ces propositions prioritaires en attente concerneront principalement la mise en oeuvre du Pacte vert système de quotas d'émission de gaz à effet de serre ; Fonds social pour le climat ; mécanisme d'ajustement carbone aux frontières...), le numérique (identité numérique ; intelligence artificielle ; cybersécurité...) et les neuf initiatives résultant du Nouveau Pacte sur la migration et l'asile, dont les négociations sont en pratique bloquées.

Enfin, le programme de travail indique que seront retirées, dans un délai de six mois, 6 propositions législatives - il y avait eu 14 retraits en 2021. Ces retraits sont motivés par l'obsolescence de ces textes. C'est le cas d'une proposition de règlement fixant le cadre financier pluriannuel pour la période 2014-2020 arrivée à échéance, et de plusieurs propositions relatives à la politique de développement dont les versions initiales avaient été rendues obsolètes par l'adoption du plan de relance européen et qui ont été depuis remplacées par d'autres initiatives.

Je voudrais ensuite indiquer que nous nous félicitons du dialogue politique entre notre commission et la Commission européenne, mais que nous souhaiterions une meilleure association des parlements nationaux à l'élaboration de ses initiatives - je pense par exemple à la détermination des nouvelles ressources propres de l'Union européenne. C'est dans cet esprit et alors que la France vient de prendre la tête du Conseil de l'Union européenne, qu'il me semble important que notre commission examine le programme de travail 2022 de la Commission mais que nous saisissions cette opportunité pour affirmer également clairement nos priorités.

Je veux aussi préciser que, le 16 décembre dernier, la Commission, le Conseil et le Parlement européen sont convenus de considérer comme essentielles pas moins de 138 propositions législatives, présentées en 2022 ou plus anciennes. Les trois institutions doivent désormais s'accorder sur leurs priorités et sur leur calendrier d'examen. Je souhaiterais enfin me concentrer sur les nouvelles initiatives que la Commission a annoncé vouloir présenter en 2022 au service de chacune de ses six priorités politiques.

La première des priorités politiques de la Commission, le Pacte vert pour l'Europe, comprend douze propositions, dont la plupart sont de nature législative. Le principal axe consistera à poursuivre l'alignement de la réglementation européenne en matière climatique et énergétique sur l'objectif de l'Union de réduire les émissions de gaz d'au moins 55 % par rapport au niveau de 1990, avec un paquet « mesures climatiques » comprenant en particulier un cadre réglementaire européen pour la certification des absorptions de carbone, un réexamen des normes en matière d'émission de CO2 par les véhicules lourds et une révision des règles relatives aux gaz à effet de serre fluorés. Nous voulons insister sur la nécessité, pour l'Union européenne, d'une part, de ne se priver d'aucune technologie pour parvenir à ces objectifs climatiques ambitieux et, d'autre part, d'accompagner les filières et de protéger certains territoires particulièrement exposés dans cette phase de transition, je pense en particulier aux territoires littoraux.

La Commission va également présenter un paquet de mesures s'inscrivant dans le plan « zéro pollution », notamment dans les domaines de la gestion intégrée de l'eau et de la qualité de l'air ambiant, une initiative sur l'économie circulaire, plusieurs dispositions destinées à limiter l'usage et les rejets de plastique, et une nouvelle disposition relative aux pesticides. Nous souhaitons également prendre acte des mesures destinées à favoriser une « mobilité efficace et verte », qui prévoit en particulier un renforcement du transport ferroviaire, et de celles du nouveau paquet gazier, qui souhaite favoriser la part des gaz renouvelables, dont l'hydrogène. À la suite de l'adoption de notre résolution sur la taxonomie, le 7 décembre dernier, au sujet duquel il ne s'agit pas de rouvrir le débat, nous souhaitions demander des éclaircissements à la Commission sur la portée exacte de l'acte délégué complémentaire. Cependant, l'acte délégué a été publié hier et apporte des réponses aux interrogations que nous avions en la matière. Nous retirerons donc cet élément de la PPRE.

Nous demandons aussi, à la suite des travaux de nos collègues Gisèle Jourda et Cyril Pellevat, l'élaboration d'un véritable cadre européen sur la protection des sols.

En complément, nous vous proposons d'expressément regretter que ce programme de travail n'évoque ni la politique de la pêche ni la PAC en tant que telles, malgré l'importance pour l'Europe d'assurer son indépendance sanitaire et sa sécurité alimentaire. Nous vous proposons notamment d'insister sur la nécessité, pour la Commission européenne, de défendre les pêcheurs des États membres et de faire appliquer par le Royaume-Uni ses engagements post-Brexit.

Sur l'objectif d'une Europe adaptée à l'ère du numérique, comme en 2021, la Commission prévoit d'importantes nouvelles mesures législatives échelonnées sur l'année 2022. Je veux mentionner en particulier le cadre européen sur la cyber-résilience, qui doit établir des normes communes en matière de cybersécurité des produits, mais également la présentation d'une initiative pour renforcer notre capacité d'innovation et notre sécurité d'approvisionnement dans le domaine des semi-conducteurs. Ajoutons que nous souhaiterions prendre acte de la publication imminente de l'acte sur la gouvernance des données et que nous soutenons l'adoption prochaine du cadre européen sur l'intelligence artificielle (IA). Enfin, il nous faut résolument soutenir une stratégie spatiale ambitieuse pour l'Union européenne, dans laquelle notre pays doit tenir une place éminente.

Concernant l'économie au service des personnes, les initiatives sont très diverses et d'importance inégale. On peut malgré tout évoquer la recommandation sur le revenu minimum et l'initiative législative destinée à faciliter l'accès des petites et moyennes entreprises (PME) aux marchés de capitaux. Et souligner l'importance d'un partenariat renouvelé avec les régions ultrapériphériques (RUP) en rappelant à la Commission de bien prendre en compte leurs spécificités dans ses politiques. Nous voulons surtout, dans ce domaine, insister sur la nécessité d'avancer sur des propositions antérieures à 2022 mais qui correspondent aux priorités du Sénat : mise en place de ressources propres avec un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières pérenne, sans pénalisation de nos entreprises ; égalité hommes/femmes dans les rémunérations et au sein des conseils d'administration ; poursuite de la mise en oeuvre du plan de relance européen ; meilleure prise en compte des objectifs de souveraineté économique et industrielle dans la politique de concurrence ; soutien à l'adoption d'une réglementation sur les subventions étrangères ou encore attente d'une initiative sur le devoir de vigilance des entreprises.

La construction d'une Europe plus forte sur la scène internationale est la quatrième priorité de la Commission. Cette dernière présentera peu d'initiatives, qui, logiquement en ce domaine, sont en majorité non législatives. Signalons a contrario la volonté de modifier le règlement portant « loi de blocage » pour prévenir et limiter les effets des sanctions extraterritoriales de pays tiers sur les citoyens et les entreprises des États membres. Cette initiative doit être soutenue. De plus, il nous revient d'insister sur la nécessité de trouver un accord européen sur « la boussole stratégique » en matière de défense, de soutenir la stratégie de « passerelle globale » (ou « global gateway »), qui est le pendant européen des « routes de la Soie » chinoises, d'encourager la Commission à renforcer la politique de voisinage et à tenir compte des tensions actuelles dans les pays du Partenariat oriental.

La promotion de notre mode de vie européen constituera un axe de propositions dans les domaines de la santé (stratégie européenne de soins ; dépistage du cancer), de l'éducation (avec une volonté de renforcer les coopérations, d'une part, entre les universités et, d'autre part, entre les établissements d'enseignement supérieur) ou d'accès aux informations liées à la sécurité. Mais l'essentiel sera ailleurs, plus précisément dans un appel à l'adoption du Nouveau Pacte sur la migration et l'asile, présenté à l'automne 2020 mais dont les négociations patinent. Comme le soulignaient nos collègues André Reichardt et Jean-Yves Leconte dans leur rapport de septembre dernier sur ce dossier, cette réforme vise à la fois un renforcement de la surveillance des frontières extérieures de l'Union européenne, une actualisation du droit d'asile et une plus grande efficacité de la lutte contre l'immigration illégale, en lien avec un paquet de textes révisant les règles constitutives de l'Espace Schengen, qui, lui, vient d'être présenté fin 2021. La dimension extérieure de ce Pacte, qui ne nécessite aucune modification de texte mais des accords « gagnant-gagnant » avec les pays d'origine et de transit, nous semble prioritaire. En complément, l'Union européenne devra épauler la France dans ses négociations avec le Royaume-Uni sur le dossier migratoire.

Enfin, la Commission européenne propose plusieurs initiatives pour donner un nouvel élan à la démocratie européenne, en particulier une initiative sur la liberté des médias. Il faudra évidemment la soutenir, en s'assurant toutefois que ce cadre européen destiné en principe à conforter cette liberté des médias ne la limite pas en pratique. Permettez-moi aussi de regretter que les mesures relatives à la démocratie européenne figurent en dernière place de ces priorités, car la défiance de nos concitoyens à l'égard du processus de décision européenne et des institutions européennes n'a sans doute jamais été aussi élevée. La Conférence sur l'avenir de l'Europe vise à réduire cette distance par un dialogue avec la société civile. Les propositions de cette Conférence devront être examinées attentivement et devraient, selon moi, suggérer un renforcement des parlements nationaux, en particulier avec un « carton vert », droit d'initiative législatif qui serait reconnu aux parlements nationaux. Au-delà, il convient d'appeler à nouveau la Commission européenne à respecter le principe de subsidiarité, à travailler à une plus grande transparence des trilogues et à renforcer le multilinguisme dans ses travaux. Dans une perspective de plus long terme, et alors que la France prend la présidence du Conseil, nous rappellerons enfin aux institutions européennes que le siège du Parlement européen est à Strasbourg et doit y rester.

Vous le voyez, un programme très nourri et marqué, comme l'indique d'ailleurs l'intitulé de la communication de la Commission, par une volonté de se tourner vers l'avenir.

Sur la base de cette présentation générale, Didier Marie et moi vous proposons d'adresser à la Commission un avis politique, qui vous a été préalablement diffusé, pour présenter la position de notre commission sur un nombre limité de points prioritaires, que la Commission devrait prendre en compte au cours des mois à venir, mais aussi une proposition de résolution européenne (PPRE) à la rédaction quasi identique, qui demanderait au Gouvernement français de porter les positions du Sénat dans les négociations européennes.

Je vous remercie. Ce travail a été intense : je remercie à ce titre Jonathan Papillon, qui nous a assisté Didier Marie et moi-même sur ce travail. Nous avons réussi à obtenir, je pense, un document équilibré qui peut être discuté.

Je précise que nous enlevons d'ores et déjà la demande de précisions sur le sujet de la taxonomie. Ces précisions ont en effet été apportées hier par la Commission européenne, qui a produit l'acte délégué en question. Cette demande était formulée à l'alinéa n°15 dans la proposition de résolution et à l'alinéa n°13 dans l'avis politique. Nous supprimons, si vous en êtes d'accord, cette demande qui n'a plus lieu d'être.

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