En effet, madame la présidente, l'autorité judiciaire et les élus locaux sont parfois deux mondes qui ne se parlent pas, au détriment de l'efficacité de l'action publique et politique. Dès mon arrivée, j'ai souhaité remédier à cette situation, convaincu qu'une coopération étroite entre les chefs de juridiction, notamment les procureurs, et les élus locaux, est indispensable pour assurer une réponse pénale effective et maintenir l'ordre républicain sur l'ensemble du territoire.
En 2020, lorsque nous avons prôné une justice de proximité, nous avons recruté, en matière pénale, 1 000 contractuels, qui ont été envoyés en juridiction à disposition des parquets. 1 000 contractuels supplémentaires ont également été mis à disposition des juges du siège, dans le but de résorber le stock civil. En matière pénale, il s'agissait tant d'améliorer le traitement de la petite délinquance que de renforcer le lien entre les élus locaux et les parquets. Depuis, 60 % des tribunaux judiciaires ont mis en place une boîte courriel ou un autre outil dédié pour faciliter la fluidité de l'information entre le procureur et les élus locaux du ressort, et 75 % d'entre eux ont désigné un ou des magistrats pour être l'interlocuteur spécifique des élus. Parfois, et selon les cas, un délégué du procureur a été désigné, ou un juriste assistant, ou un assistant de justice. Je suis particulièrement attentif à cette communication régulière et j'en veux pour preuve deux exemples.
J'ai rencontré en Bourgogne un tout jeune maire qui n'avait aucune formation juridique et qui, naturellement, était un peu perdu face à ses prérogatives d'officier de police judiciaire (OPJ). Dans cette relation que j'appelle de mes voeux entre les parquets et les élus, il y a évidemment cette possibilité pour l'élu de faire part immédiatement au procureur de ses difficultés.
Il y a aussi des formations qui sont assurées. Hier, je rencontrais plus d'une centaine de maires de la Marne où, sous l'impulsion du procureur général de Reims, les choses fonctionnent très bien. Les parquets assurent une formation aux maires sur des sujets comme la suppression du rappel à la loi, qui va devenir l'avertissement pénal probatoire, alternative aux poursuites que nous avons d'ailleurs exclue s'agissant d'un élu car insuffisamment sévère. De nombreux parquets ont adopté des protocoles pour faciliter la dénonciation des faits et renforcer les connaissances mutuelles entre les institutions. Cependant, j'admets que certains parquets n'ont pas appliqué comme je l'aurais souhaité les directives que j'avais données aux procureurs généraux. J'ai fait réaliser une cartographie, et tout à fait récemment, mon directeur des services judiciaires leur a écrit pour les interroger sur ce retard. Vous n'êtes d'ailleurs pas étrangers à cette initiative, puisqu'aussi bien lors des questions d'actualités au gouvernement que dans les commissions, au Sénat ou à l'Assemblée nationale, certains d'entre vous m'ont signalé que tel maire n'avait jamais rencontré le procureur. Dans une toute petite commune où je me suis rendue, le maire a fait un beau geste républicain en acceptant la construction d'un établissement pénitentiaire - je suis bien placé pour vous dire qu'une prison, c'est toujours mieux dans la commune d'à côté-. « Monsieur le maire, vous avez donc rencontré le procureur de la République ? », lui ai-je demandé. « Pas du tout. », a-t-il répondu. « Un substitut alors ? Un délégué du procureur ? ». « Personne » ! Heureusement, j'ai pu régler cela avec le procureur général lors de l'inauguration de l'établissement. A contrario, le parquet général de la cour d'appel d'Agen a mis en place un dispositif de collaboration entre les trois parquets de son ressort et les associations de maires, qui permet notamment aux maires de saisir directement les procureurs par la formalisation d'un article 40 sur une boîte courriel dédiée. Il y a des procureurs qui font des choses magnifiques, mais ces initiatives sont solitaires et limitées à leur ressort. C'est pourquoi, à mon arrivée à la chancellerie, j'ai mis en place un moteur de recherche recensant ces bonnes pratiques pour information aux autres parquets. J'ai préféré cette méthode à la voie d'une circulaire interminable ayant peu de chances d'être lue. En l'occurrence, les maires peuvent saisir concomitamment les parquets et les enquêteurs des infractions, et les aider à les matérialiser afin de leur apporter une réponse rapide, notamment alternative, par la saisine des délégués du procureur.
La justice de proximité s'est également attachée à renforcer le dialogue institutionnel et, depuis le décret du 21 décembre 2020, le procureur de la République peut se faire représenter par les délégués du procureur dans le cadre des instances partenariales. Le nombre de ces délégués a cru de 10 % : ils sont aujourd'hui 1 022 contre 901 au 1er décembre 2020. Le budget afférent a été multiplié par deux et ces moyens ont permis de démultiplier les capacités des parquets à investir les instances partenariales essentielles telles que le conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CISPD) et le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), ces réunions régulières indispensables entre les forces de sécurité intérieure, la préfecture et les élus. Les parquets ont également conclu des conventions avec les élus locaux afin de favoriser la mise en oeuvre par les maires de leurs prérogatives propres, notamment s'agissant des rappels à l'ordre. 60 % des tribunaux judiciaires ont signé des conventions de rappel à l'ordre avec des communes afin de faciliter le traitement des petites incivilités. Ce dispositif leur permet de convoquer à un entretien officiel l'auteur des faits susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté ou à la sécurité publique. Le rappel à l'ordre, que l'on ne doit pas confondre avec le rappel à la loi, est important. Un exemple : voici un monsieur très tranquille dont le frigidaire, un beau jour, ne fonctionne plus. La décharge se trouve à 30 kilomètres, aussi hésite-t-il. Cédant à la tentation, il finit par jeter son appareil sur le bord de la route. Dans ce cas, le rappel à l'ordre s'avère judicieux. Dans la mesure du possible, je souhaiterais que le délégué du procureur, son substitut ou même le procureur vienne aider le maire à le prononcer, car la solennité me paraît extrêmement importante.
Nous avons beaucoup avancé sur ces questions, mais le travail n'est évidemment pas terminé et je suis convaincu que nous pouvons aller beaucoup plus loin dans le renforcement des partenariats entre parquets et élus locaux. Comme je m'y étais engagé, j'ai installé, à l'occasion du congrès des maires de France du 17 novembre dernier, un groupe de travail sur les relations entre le parquet et les élus, présidé par le procureur général près la cour d'appel de Reims. Y participe notamment le très proactif procureur de Valenciennes, dont un certain nombre d'idées nous ont inspiré, notamment s'agissant de la création de notre moteur de recherche. Des élus de l'AMF et des élus de l'AMRF sont également présents. L'objectif de ce groupe de travail consiste à dessiner des voies d'approfondissement de la relation entre les parquets et les maires. Il rendra son rapport dans quelques semaines, et vous en aurez évidemment connaissance. Je n'ai pas de doute que nous franchirons là une étape supplémentaire dans le renforcement du lien que j'appelle de mes voeux.
Je signalerai également, parmi les problématiques qui me sont remontées notamment via les élus, des comportements difficiles à réprimer : incivilités, pressions, menaces. J'ai évidemment une pensée particulière pour Monsieur Jean-Mathieu Michel, maire de Signes, mort dans des circonstances épouvantables alors qu'il intervenait pour mettre fin à un dépôt sauvage de gravats sur le bord de la route. Face à cette situation, nous avons significativement renforcé les moyens de contrôle ainsi que les sanctions : désormais, les déchets illégaux sont punissables d'amendes administratives, et, sur le plan pénal, de peines de 2 ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
La loi de juillet 2019 qui renforce la police de l'environnement, et celle du 10 février 2020, ont par ailleurs renforcé les pouvoirs de police administrative du maire : d'une part, celui-ci peut désormais imposer une amende administrative allant jusqu'à 15 000 euros sans mise en demeure préalable, et, d'autre part, il peut habiliter de nouvelles catégories d'agents municipaux à dresser un procès-verbal. L'utilisation de caméras de vidéo-protection pour identifier les auteurs d'actes délictueux est par ailleurs autorisée. Ces trois mesures extrêmement importantes portent leurs fruits.
Par la circulaire du 11 mai 2021 visant à consolider le rôle de la justice en matière environnementale, j'ai également encouragé le renforcement des échanges et de coordination entre les parquets. Désormais, ces derniers sont dotés d'un référent en matière d'atteintes à l'environnement, afin de définir sur chaque ressort une politique pénale au plus près des situations rencontrées sur le terrain.
La multiplication des violences faites aux élus constitue un véritable fléau compte tenu de leur statut d'incarnations vivantes de la République et de la démocratie. Après la circulaire de novembre 2019 de ma prédécesseure Mme Belloubet, qui rappelait au parquet la nécessité d'une politique pénale ferme, j'ai pris une première circulaire en septembre 2020, dans laquelle j'ai demandé que les faits soient justement qualifiés, ce qui n'était pas toujours le cas auparavant, la circonstance que la victime soit un élu étant une circonstance aggravante. J'ai également demandé à ce qu'il soit mis fin au rappel à la loi, avant même son abrogation, celui-ci ne suscitant qu'un « lol » chez les gamins qui en écopaient. Nous l'avons remplacé par un avertissement pénal probatoire.
J'ai par ailleurs souhaité que les déferrements soient systématiques. S'agissant de violences physiques et de menaces commises à l'encontre des élus, 50 % ont fait l'objet de poursuites devant le tribunal entre janvier 2021 et juin 2021 - il n'est pas toujours possible de déférer, notamment quand l'auteur reste inconnu. L'emprisonnement pour les menaces est passé de 52 % à 62 %, et il atteint 80 % d'emprisonnement ferme s'agissant des violences.
Aucune tolérance ne peut être accordée à de tels actes et nous avons fait évoluer l'arsenal législatif avec des textes qui ont été soumis à votre vote. La loi pour la confiance dans l'institution judiciaire a mis fin au rappel à la loi. Lors des débats relatifs à la loi d'août 2021 renforçant les principes de la République, nous avons créé une nouvelle infraction, le « délit de mise en danger de la vie d'autrui par la diffusion d'informations personnelles », puni de 3 ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amendes, la peine étant aggravée à 5 ans et 75 000 euros quand le délit est commis à l'encontre d'un élu. Au-delà de la sanction, une attention toute particulière est désormais apportée à l'information des élus victimes. Je la veux rapide, voire en temps réel, par une attache téléphonique ou un courrier signé du procureur de la République.
J'en viens au deuxième exemple que je vous ai promis. Hier, dans une réunion en visioconférence avec les maires, l'un d'entre eux me dit : « Monsieur le garde des sceaux, je suis allé constater une infraction au code de l'urbanisme, et je n'ai aucune nouvelle du parquet ». « Cela tombe bien, madame la procureure est avec nous, elle va vous répondre », lui réponds-je. Et la procureure explique alors à ce maire qu'entre sa constatation et la décision du parquet - qui peut être une décision de classement, ou une décision de poursuivre -, il y a l'enquête de la DDE. Le maire l'ignorait ! Voici une illustration très pratique de ce qu'un échange simple et bon enfant peut apporter.
Bien que nous ayons fait un certain nombre de choses, j'entends souvent « oui, mais la violence est en augmentation ». C'est presque une question d'ordre philosophique. S'agissant des violences intrafamiliales, on s'interroge : s'agit-il d'une augmentation des violences ou des dépôts de plainte ? Les violences physiques sont en augmentation, certaines infractions sont en régression, notamment les vols avec violence, les vols à main armée, etc.
Ce que je crois, au fond, c'est qu'on ne reproche jamais au médecin la maladie, mais on reproche au ministre de la justice la délinquance ! Mon boulot, c'est d'abord que les gens soient jugés et que les coupables châtiés. Ce n'est pas le laxisme supposé de la justice qui génère la violence : les chiffres démontrent le contraire et les prisons sont archipleines.
Il y a aussi des causes dont on ne veut pas parler, parce qu'on préfère mettre en cause la responsabilité d'untel ou untel, souvent il y a un peu de politique derrière. Or, la haine qui est aujourd'hui totalement décomplexée dans son expression génère aussi de la violence. Après les mots de haine, il y a les coups ! Un certain nombre de gens feraient bien de regarder le bout de leurs chaussures s'agissant de leur expression et notamment dans le débat politique actuel. Quand il n'y a plus aucune limite, il est tout à fait clair que les gens se sentent autorisés à tout. Les élus font l'objet de menaces, les ministres également, il y en a même un qui a eu la funeste idée de vouloir m'égorger ! Pour ne rien vous cacher, j'ai trouvé cela un peu prématuré, alors nous avons déposé une plainte. Je ne sais pas où elle se trouve, parce qu'on a un certain nombre de problèmes : sur le terrain européen, lorsque les propos sont tenus sur une plateforme étrangère, on ne peut rien faire. Une des priorités de la présidence française, dans le périmètre de la justice, est de mettre en place la fameuse preuve électronique, e-evidence. Si le Parlement européen adopte ce texte, les plateformes, que j'ai d'ailleurs invitées à Lille récemment, seront contraintes à une représentation en France. Il y aurait alors un responsable pour que l'on puisse très vite retirer les contenus. Si nous avions pu faire cela, peut-être aurions-nous évité l'assassinat de Samuel Paty.
Cette haine virale existe et il faut la traiter. Sur le plan national, le texte vous a été soumis, nous avons fait en sorte que les haineux en ligne soit immédiatement jugés par le truchement de la comparution immédiate, ce qui n'était pas possible auparavant. Mais il faut que l'on régule davantage, parce que cette expression injurieuse tous azimuts à l'encontre des élus devient absolument insupportable.