Intervention de Jean Castex

Réunion du 1er mars 2022 à 19h00
Décision de la russie de faire la guerre à l'ukraine — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Jean Castex :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en décidant, dans la nuit du 23 au 24 février, de déclencher une attaque militaire massive contre l’Ukraine, la Fédération de Russie a commis un acte de guerre qui enfreint toutes les règles du droit international, rompt avec tous ses engagements et bafoue les valeurs de paix et de liberté sur lesquelles le continent européen a construit son équilibre depuis plusieurs décennies.

Comme le Président de la République l’a souligné, nous faisons face à une situation de guerre, mais également à un tournant dans l’histoire de l’Europe et de notre pays.

Je veux le redire ici d’emblée : la France condamne de la manière la plus absolue cette agression cynique et préméditée.

En ces instants tragiques, je veux redire tout notre soutien au peuple ukrainien qui vit des moments terribles, ainsi qu’à toutes les victimes de ce drame, absolument inconcevable entre deux pays voisins en Europe au XXIe siècle.

Je veux également dire mon admiration au président Zelensky qui, depuis Kiev assiégée, mène le combat et fait face avec courage, responsabilité et dignité.

Je veux enfin saluer le travail remarquable de nos agents en poste à l’ambassade de France en Ukraine. Cette équipe, sous l’autorité de notre ambassadeur, Étienne de Poncins, œuvre dans des conditions particulièrement difficiles. Pour des raisons de sécurité, elle s’est déplacée hier de Kiev à Lviv. Nous restons extrêmement attentifs à sa protection.

Je veux aussi saluer plus largement le travail des agents de l’État qui, jour et nuit, se relaient pour porter assistance aux Français et marquer notre soutien aux autorités ukrainiennes.

La gravité de la situation m’a conduit à proposer, dès la semaine dernière, aux présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale et aux présidents de groupe et des commissions compétentes des deux assemblées de réunir sans délai un comité de liaison qui nous a permis de partager, vendredi dernier, des informations importantes et de répondre à l’essentiel des questions qu’ils ont bien voulu nous soumettre. J’ai invité hier, dans le même esprit, les candidats à l’élection présidentielle.

J’ai également souhaité répondre à la demande légitime que la représentation nationale tout entière puisse s’exprimer sur ce sujet de la plus haute importance, ce qui me conduit à vous soumettre aujourd’hui une déclaration au titre de l’article 50-1 de la Constitution portant sur le conflit en Ukraine. Cette déclaration sera suivie d’un débat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la France n’a pas ménagé ses efforts ces dernières semaines et ces derniers mois pour faire valoir, jusqu’au bout, la voie de la raison et de la paix.

Ce faisant, nous nous sommes inscrits dans la ligne constante qu’a suivie notre diplomatie vis-à-vis de la Russie du président Poutine depuis le président Chirac. Ce fut le cas dans le cadre du conflit en Géorgie avec le président Sarkozy. Ce fut le cas encore pour l’Ukraine depuis le premier jour des tensions, en 2013, et ensuite avec les accords de Minsk de 2014, signés alors que le président Hollande était à l’Élysée.

En tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, en tant que présidente en exercice du Conseil de l’Union européenne, au regard aussi de ce que sont ses valeurs et l’idée qu’elle se fait de la paix et du mode de résolution des conflits, la France se devait, se doit, d’assumer son rôle. Les initiatives prises par le chef de l’État se sont multipliées, en liaison étroite avec nos partenaires européens et les États-Unis.

Ces efforts n’ont pas abouti. Vladimir Poutine a non seulement déchiré les accords de Minsk, mais il a aussi rompu tous les engagements qu’il avait pris dans les derniers jours. Il en porte la pleine et entière responsabilité.

Évidemment, la France n’a jamais sous-estimé le risque du scénario du pire. Nous observions avec nos partenaires et alliés le déploiement progressif d’un dispositif militaire massif en Biélorussie, aux frontières de l’Ukraine, en mer Noire : plus de 150 000 hommes, équipés des moyens les plus modernes. Ce dispositif militaire, le président russe nous assurait qu’il se retirerait une fois les exercices terminés, tout en appelant au dialogue diplomatique sur des garanties de sécurité pour la Russie, et tout en répétant que la Russie ne s’apprêtait pas à envahir l’Ukraine.

Vladimir Poutine a menti.

Il a menti à la communauté internationale, il a menti au Président de la République, il a menti à son propre peuple. Non, aucun génocide n’a eu lieu contre les populations russophones du Donbass. Non, il n’y a pas d’armes nucléaires sur le sol ukrainien. Non, M. Zelensky n’est pas à la tête d’un régime nazi, terme particulièrement infâme quand il est appliqué à un pays pleinement démocratique.

La suite, vous la connaissez : le 21 février, les masques sont tombés. La reconnaissance par le président de la Fédération de Russie des deux régions séparatistes de l’est de l’Ukraine, l’ordre donné aux forces russes d’occuper ces territoires et l’invasion de l’ensemble du territoire ukrainien depuis la Russie, la Crimée et la Biélorussie constituent le premier acte de cette crise qui sera sans doute longue.

Vladimir Poutine a ainsi fait le choix de la guerre. Il a fait le choix de vouloir inverser le cours de l’Histoire et de revenir sur les acquis qui avaient suivi la fin de l’Union soviétique. Il a pris le prétexte de la situation dans la région du Donbass pour violer la souveraineté territoriale et chercher à renverser le gouvernement légitime d’un pays de 44 millions d’habitants.

Face à cette agression inacceptable, il convient de réagir dans l’unité et dans la durée pour, à la fois, soutenir nos amis ukrainiens et ne pas laisser cet acte de guerre sans réponse ni conséquence.

Nous devons pour cela nous appuyer sur quatre principes d’action.

Le premier principe, c’est la fermeté.

D’abord, par respect pour le droit international, dans l’enceinte des Nations unies : la résolution présentée en urgence devant le Conseil de sécurité n’a pas été adoptée en raison du veto russe, mais elle a permis de démontrer l’isolement de la Russie, de même que les échanges, très intéressants, qui ont suivi en Assemblée générale et qui ont donné lieu à une condamnation extrêmement large et ferme par la communauté internationale.

Ensuite, par la mise en place de plusieurs trains de sanctions que nous avons voulu prendre très rapidement. Le Conseil européen, sous présidence française, a ainsi approuvé trois paquets de sanctions les 23, 25 et 27 février. Ces mesures prises en coordination avec nos alliés couvrent un éventail large des activités économiques russes.

Tout d’abord, nous avons décidé d’assécher la capacité de financement extérieur de l’économie russe. Depuis hier, quatre heures du matin, toutes les transactions avec les réserves de la banque centrale russe sont interdites et ses avoirs détenus à l’étranger sont gelés. Cette mesure est complétée par l’interdiction imposée à la majorité des banques russes d’accéder à la messagerie de transmission des paiements Swift.

Ce paquet de sanctions financières est inédit par son ampleur et ses effets sont déjà palpables : le rouble a dévissé de près de 30 % à l’ouverture des marchés lundi matin.

L’Union européenne a également fermé l’intégralité de son espace aérien aux aéronefs et aux compagnies aériennes russes, y compris l’aviation d’affaires.

En outre, les avoirs et les ressources économiques détenus et contrôlés par les personnes sur lesquelles s’appuie le pouvoir de Vladimir Poutine ont été gelés. Les personnes visées – 476 à ce jour – ne pourront plus accéder à leurs avoirs détenus dans les pays ayant pris ces sanctions, qui comprennent la Suisse et Monaco – j’insiste sur ce point, parce que nous y avons pris notre part –, et elles ne pourront plus s’y rendre. Vladimir Poutine fait d’ailleurs partie de la liste des personnes sous sanction, tout comme Sergueï Lavrov.

Par ailleurs, les différentes coopérations entre l’Union européenne et la Russie dans les domaines industriel, scientifique, culturel ou sportif sont suspendues.

Le Conseil européen a également demandé la préparation d’un paquet de sanctions – ce sera le quatrième – contre la Biélorussie, qui a pris une part très active dans cette agression.

Les échanges se poursuivent pour aller plus loin. Nous y sommes prêts. L’essentiel était d’agir rapidement, de bien cibler nos mesures pour qu’elles produisent un effet massif sur l’économie russe, à court terme bien sûr, mais aussi et surtout dans la durée, quitte à les durcir encore au cours des prochains jours.

Évidemment, ces sanctions ne seront pas indolores pour les économies européennes. Nous le savons et nous vous proposons de l’assumer, sauf à se contenter de mesures sans réelle portée. Bien sûr, nous savons que la Russie arrêtera à son tour des contre-mesures et nous devons nous tenir prêts.

Nous devons accompagner nos concitoyens et nos entreprises afin qu’ils supportent au mieux les impacts économiques de ces mesures, notamment les probables tensions sur les approvisionnements et les prix de certains produits. À la demande du Président de la République, le Gouvernement prépare à cet effet un plan de résilience qui sera finalisé dans les tout prochains jours et, si ce plan nécessitait l’adoption de mesures législatives, nous demanderions évidemment leur inscription à l’ordre du jour du Parlement.

Je pense en particulier à certaines de nos filières industrielles et agricoles ; comment ne pas évoquer ce dernier secteur au moment où se tient le Salon international de l’agriculture ?

Je pense aussi aux ménages, notamment en tant que consommateurs d’énergie, et d’autant plus qu’un mouvement de hausse très puissant les affecte déjà très fortement depuis plusieurs mois.

Pour tous ces acteurs de notre vie économique et sociale, des mesures très fortes de protection ont déjà été prises depuis septembre dernier. Le bouclier tarifaire sur les prix de l’énergie a ainsi permis de consacrer plus de 16 milliards d’euros à la protection de nos concitoyens et de nos entreprises face à la hausse des prix de l’énergie. Ces mesures d’accompagnement et de protection seront prolongées et renforcées autant que nécessaire, sur la base des travaux en cours.

Mais c’est bien la Russie qui va souffrir le plus des conséquences de ces sanctions. La guerre unilatérale et injustifiée que Vladimir Poutine a déclenchée doit avoir un coût élevé pour lui et ses soutiens.

Le deuxième principe de notre action, c’est la solidarité avec le peuple, le gouvernement et le parlement ukrainiens. Cette solidarité, le Président de la République l’a réitérée au président Zelensky lors de leurs entretiens quasi quotidiens.

Cette solidarité, nous l’exprimons symboliquement par le maintien de notre représentation diplomatique – elles sont peu nombreuses à continuer d’être présentes – et par l’attention permanente que nous portons à nos ressortissants.

Ce sont environ un millier de nos compatriotes qui vivent en Ukraine – certainement moins à cette heure. Nous sommes en contact avec eux dans le cadre du dispositif mis en place par le centre de crise et de soutien sous l’autorité du ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Des équipes consulaires ont été déployées aux postes-frontières dans les pays limitrophes pour accueillir nos concitoyens qui veulent et peuvent quitter le pays ; selon les chiffres disponibles ce matin, 252 d’entre eux sont partis. Hier, vous le savez, la possibilité de quitter Kiev par le sud leur a été signalée.

Nous exprimons aussi notre soutien à l’Ukraine par un appui économique renforcé portant sur 300 millions d’euros d’aide immédiate.

Nous soutenons également les forces armées ukrainiennes – je sais que c’est un sujet qui vous préoccupe – avec des livraisons de carburant et de matériel militaire, y compris de l’armement, en liaison avec nos partenaires européens ; Mme la ministre des armées aura l’occasion d’y revenir. Nous continuerons de le faire aussi longtemps que nécessaire.

Nous nous préparons, au niveau de l’Union européenne, à faire face aux conséquences humanitaires de cette crise. Je pense évidemment en particulier à l’afflux de réfugiés, dont on peut craindre qu’il soit massif. Le mécanisme de protection civile de l’Union européenne a d’ores et déjà été activé : dans ce cadre, 33 tonnes de matériel humanitaire parties de Paris sont déjà arrivées à la frontière ukrainienne. Les acheminements se poursuivent cette semaine, incluant de l’aide médicale ; il y en a tous les jours.

La France soutiendra aussi les pays frontaliers de l’Ukraine qui accueilleront les réfugiés et nous proposerons, dans le cadre de la présidence du Conseil de l’Union européenne, qu’un dispositif de solidarité permette une juste répartition des efforts d’accueil de ces réfugiés entre les pays de l’Union. Bien entendu, nous y contribuerons nous-mêmes.

Je veux aussi souligner la forte mobilisation spontanée de nos concitoyens, des collectivités territoriales ou encore du milieu associatif pour apporter une aide humanitaire au peuple ukrainien. Cet élan de générosité fait honneur à la France et, bien entendu, l’État l’organisera et l’accompagnera.

Troisième principe de notre action, l’unité.

Tout ce que nous faisons – c’est une condition d’efficacité –, nous le décidons conjointement avec nos partenaires au sein de l’Alliance atlantique comme de l’Union européenne.

Vous l’avez vu et constaté comme tous nos concitoyens : la réponse de l’Europe a été unitaire, rapide, forte. Cette unité, cette rapidité, cette intensité ont surpris, y compris, sans doute, le président Poutine.

Cette unité, cette rapidité, cette intensité sont inédites. Nous pouvons collectivement en être fiers. Nous pouvons être fiers du rôle que la présidence française a pu jouer pour les stimuler, car la France, le Président de la République et le Gouvernement – c’est notre rôle – sont à la manœuvre et à l’initiative.

Tout cela nous montre plus largement le cap : faire des Européens les acteurs de leur sécurité collective et renforcer leur souveraineté. Cet enjeu que, je vous le rappelle, la France porte depuis longtemps – ai-je besoin de faire référence au discours prononcé par le Président de la République à la Sorbonne il y a quelques années ? – sera au cœur du prochain Conseil européen des 10 et 11 mars prochains qui examinera notamment le projet de boussole stratégique que nous avions, dès avant le début de cette crise, placé au premier rang des priorités de la présidence française.

Le quatrième principe, enfin, sans doute le plus difficile à appliquer en ce moment, c’est le maintien du dialogue.

Comme je vous l’ai déjà dit, la diplomatie française n’a jamais ménagé ses efforts pour éviter cette crise et chercher inlassablement le chemin de la désescalade.

Le Président de la République s’est personnellement engagé et continue de le faire. Nous restons persuadés que la diplomatie a encore toute sa place pour mettre fin à la guerre et nous continuerons de dialoguer avec tous les protagonistes de cette crise, sans relâcher nos efforts et sans céder sur les principes du droit et du respect de la souveraineté des États.

Ce dialogue est indispensable, mais, si Vladimir Poutine ou ses collaborateurs souhaitent négocier, ils doivent d’abord faire taire les armes. Encore hier, le chef de l’État s’est entretenu longuement avec le président russe. Il a réitéré la demande de la communauté internationale d’un cessez-le-feu immédiat. Il a appelé au respect du droit international humanitaire et de la protection des populations civiles comme de l’acheminement de l’aide, conformément à la résolution portée par la France au Conseil de sécurité des Nations unies.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette crise sera longue et aura des conséquences majeures sur l’avenir de l’Europe, mais pour autant c’est bien le droit, la paix et la démocratie qui devront à la fin en sortir vainqueurs.

Nous assistons au premier acte. Il n’est pas terminé et, sans surprise, il fait apparaître le déséquilibre des forces en présence, mais aussi le courage admirable du peuple ukrainien et la mobilisation inédite de la communauté internationale.

Nous avons toujours été clairs et nos amis ukrainiens l’ont d’emblée compris : un pays comme la France ne peut recourir à la force que si elle est directement attaquée ou dans le cadre des systèmes d’alliance dont elle fait partie.

L’Alliance atlantique dont nous sommes membres est une alliance défensive. Elle se défend lorsque l’un de ses membres est agressé, et l’Ukraine n’est pas membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Mais il n’y a aucun doute sur le fait que nous serions amenés à nous engager militairement pour la protection de nos alliés de l’Europe de l’Est si le conflit devait connaître d’autres extensions au-delà du territoire ukrainien, dans les pays membres de l’Alliance.

Le Président de la République a d’ores et déjà décidé de renforcer notre participation au dispositif de l’OTAN dans les pays baltes, en Pologne et en Roumanie. Tout en restant engagée dans l’approfondissement de l’Europe de la défense, la France tient sa place de membre actif, solidaire et impliqué dans l’Alliance atlantique. À ce titre, je rappelle que nos forces armées participent sans interruption depuis plusieurs années à la réassurance de nos alliés orientaux, notamment dans les pays baltes où notre engagement va se poursuivre à terre et dans les airs. Nous allons également prendre la tête, en tant que nation-cadre, d’un bataillon multinational qui va se déployer cette semaine en Roumanie.

Nous faisons cela, parce que nous le devons, mais aussi parce que nous le pouvons. Je veux ici rappeler à la représentation nationale et à l’ensemble de nos concitoyens que, si nous le pouvons, c’est parce que le Président de la République a su donner depuis 2019 une inflexion forte aux moyens affectés à notre défense nationale.

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