Intervention de Jean-François Rapin

Réunion du 1er mars 2022 à 19h00
Décision de la russie de faire la guerre à l'ukraine — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin :

Les États baltes sont particulièrement inquiets – cette après-midi même, je me suis entretenu par téléphone avec leurs représentants. Le sort de la Moldavie ou de la Géorgie doit aussi nous préoccuper.

Il s’agit de préserver l’espace démocratique que nous avons construit depuis soixante ans : nous sommes donc à un tournant. Non seulement la défense européenne doit devenir opérationnelle, mais sa capacité de projection est en jeu.

Ensuite, nous devons faire face à l’exode de guerre et à l’afflux de réfugiés. Selon l’ONU, à l’heure où nous parlons, 677 000 Ukrainiens ont déjà quitté leur pays. Plus de la moitié ont rejoint la Pologne, les autres la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie. L’Union européenne doit se préparer à une crise humanitaire d’une ampleur historique, touchant plus de 7 millions de personnes.

Ce défi gigantesque frappe d’abord les pays limitrophes, lesquels nous ont déjà fait valoir les limites de leurs capacités d’accueil, malgré leur bonne volonté.

Aujourd’hui, l’ensemble des États membres se disent prêts à accueillir les réfugiés ukrainiens, mais la question se posera rapidement de leur répartition entre les pays. La solidarité entre les États membres sera alors, une nouvelle fois, mise à rude épreuve.

La crise ukrainienne aura aussi des répercussions économiques certaines : d’ores et déjà, elle renchérit encore davantage les prix de l’énergie.

La crise ukrainienne met en lumière la fragilité que constitue, pour l’Union, sa dépendance au gaz russe : elle est de l’ordre de 43 % en moyenne, mais le taux peut atteindre 80 % pour certains pays. Il est de 55 % pour l’Allemagne, laquelle a renoncé à mettre en service le nouveau gazoduc Nord Stream 2 – ce dernier aurait privé l’Ukraine des ressources qu’elle tire du transit sur son sol du gaz russe exporté vers l’Union.

Cette crise exige de penser la transition énergétique au prisme de l’autonomie stratégique. Elle annonce des hausses de prix accrues pour les Européens, si bien que la Commission européenne envisage de développer la « boîte à outils » qui, depuis l’automne dernier, permet aux États de répondre à la crise de l’énergie par des aides publiques et des abattements fiscaux.

Se profilent aussi une flambée des prix des matières premières, y compris agricoles, des difficultés d’approvisionnement de certaines filières industrielles européennes en composants et métaux critiques, comme le titane ou le nickel, et des ruptures dans les chaînes de production européennes en Russie, sans compter l’impact des représailles russes, qu’il faudra bien sûr assumer.

L’Union européenne revoit d’ores et déjà à la baisse ses prévisions de croissance, de l’ordre de 0, 3 % à 1 %, et l’inflation s’accentue encore après le record de ce mois de janvier.

Un dernier défi ébranle l’Union : la demande officielle de l’Ukraine d’entrer sans délai dans l’Union européenne.

La présidente de la Commission européenne a répondu hâtivement de façon positive, rejointe par plusieurs États membres d’Europe centrale. Exprimée de longue date, cette demande reflète la volonté majoritaire du peuple ukrainien ; mais nous parlons de décisions qui engagent durablement et qui, de ce fait, doivent être mûries.

Ce n’est pas un hasard si la procédure d’adhésion est un processus au long cours : il faut du temps pour rapprocher la législation du pays candidat du droit européen et remplir différents critères, comme la stabilité politique ou une économie de marché viable. C’est aussi pourquoi la décision même d’octroyer à un État le statut de pays candidat relève de l’unanimité des Vingt-Sept.

N’oublions pas que les trois pays baltes ont dû patienter près de neuf ans pour entrer dans l’Union et que quatre pays des Balkans occidentaux, officiellement candidats, sont bloqués depuis des années dans l’antichambre de l’Union européenne, sans compter les deux autres, qui ne sont encore que candidats potentiels.

L’Ukraine, elle, est liée à l’Union européenne par un accord d’association signé en 2014 dans le cadre du partenariat oriental, qui concerne aussi la Moldavie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et le Belarus. Lancé en 2009 par l’Union, ce partenariat propose des relations économiques et politiques plus étroites en échange de réformes, mais sans promesse d’adhésion.

Je rappelle que la tragédie que traverse l’Ukraine depuis novembre 2013 a commencé par une manifestation pro-européenne, en réaction à la décision du président d’alors de ne pas signer l’accord d’association avec l’Union européenne, document paraphé dès mars 2012. C’est ce qui a conduit au changement de gouvernement et aux élections législatives d’octobre 2014, lesquelles ont porté au pouvoir des partis réformistes pro-européens.

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