Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution fait honneur à notre pays.
Il lui fait honneur, car il marque l’unité de la Haute Assemblée pour témoigner au peuple ukrainien et à ses courageux dirigeants l’amitié, la solidarité et le plein soutien du peuple français.
Le 24 février dernier, la Russie a lancé une attaque illégale et massive contre l’Ukraine. Cela fait maintenant six jours que l’armée ukrainienne et le peuple ukrainien se battent avec courage et héroïsme contre l’agresseur.
M. Premier ministre l’a rappelé : pendant plusieurs semaines, nous avons observé le déploiement progressif d’un dispositif militaire massif le long de la frontière de l’Ukraine et en Biélorussie, sous couvert d’exercices militaires. Vladimir Poutine s’était engagé à retirer ce dispositif militaire à l’issue desdits exercices, ce qu’il n’a pas fait malgré tous les efforts diplomatiques déployés, au premier rang desquels ceux du chef de l’État.
Tout d’abord, je tiens à vous indiquer très rapidement ce que nous observons. Nos moyens de renseignement, notamment nos satellites, nous permettent d’avoir une appréciation souveraine de la situation, que nous communiquons bien sûr à nos alliés.
Ce que l’on peut dire à cette heure, c’est que les Russes poursuivent leur offensive sur tous les fronts : au sud, depuis la Crimée ; dans l’est, depuis le Donbass, en appui des forces séparatistes ; et au nord, où ils mènent une offensive importante. Kiev est encerclée et des frappes sont en cours.
Les frappes des premiers jours ont principalement ciblé des équipements, des infrastructures militaires et stratégiques. Le but, pour la Russie, était de conquérir la supériorité aérienne. Mais aujourd’hui la situation est plus confuse et les informations sont difficiles à vérifier. Les forces russes maintiennent un blocus naval en mer Noire et en mer d’Azov.
Face à cela, nous avons de bonnes raisons de penser que les forces armées ukrainiennes résistent bien. Elles livrent des combats acharnés et font mieux face à l’invasion que ce que les Russes avaient anticipé. Cette combativité est le reflet du courage de tout un peuple, qui s’est levé pour défendre son indépendance et ses valeurs, lesquelles sont aussi les nôtres.
J’en viens maintenant à ce que nous faisons, aussi bien à titre national qu’avec nos partenaires et nos alliés.
Nous agissons dans deux directions : tout d’abord, pour aider les Ukrainiens à se défendre ; ensuite, pour assurer notre posture de défense, afin que la Russie comprenne bien à quoi elle s’exposerait si elle s’en prenait à l’Alliance.
Comme vous le savez, un engagement direct de nos forces ou de celles de nos alliés pour soutenir l’armée ukrainienne face à la Russie n’est pas une option. Il ferait de nous des cobelligérants de ce conflit. Or un pays comme la France ne peut recourir à la force que s’il est directement attaqué ou dans le cadre des alliances auxquelles il appartient.
Pour autant, nous ne pouvons pas rester les bras croisés et laisser la résistance ukrainienne démunie face à un ennemi résolu à l’écraser, au mépris de toutes les règles du droit international. C’est pourquoi nous avons décidé de répondre à l’appel de l’Ukraine et de lui livrer des équipements de défense.
Vous le comprendrez aisément, je ne puis en donner ici le détail. Sachez toutefois que nous parlons non seulement d’équipements de protection et de carburants, mais aussi de missiles et de munitions. Comme vient de l’indiquer le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des formes armées, des détails ont été donnés à huis clos ce matin quant à la nature de cette aide.
L’Europe, elle aussi, est pleinement engagée dans cette voie. Elle a pris la décision de livrer pour 500 millions d’euros d’équipements de défense à l’Ukraine – vous avez certainement suivi cette annonce. C’est la première fois que la Facilité européenne de paix est utilisée depuis sa création, il y a un an, après des mois d’efforts auxquels la France a pris toute sa part.
En effet, cette Facilité européenne de paix n’a pas surgi miraculeusement des tiroirs des bureaux bruxellois : c’est le résultat des efforts engagés sous l’impulsion du Président de la République dès le discours de la Sorbonne, en septembre 2017. C’est donc un pas historique pour l’Europe, qui a su agir vite et fort.
À l’heure de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (PFUE), nous sommes déterminés à aller encore plus loin pour donner à l’Europe de la défense tous les outils dont elle a besoin.
Nous avons aussi décidé hier, avec l’ensemble des ministres de la défense européens, des moyens de coordonner nos aides bilatérales à l’Ukraine. L’état-major de l’Union européenne a été désigné pour répondre aux demandes ukrainiennes, qu’il s’agisse des équipements de protection, des armements ou des munitions. L’Union européenne va également pouvoir s’appuyer sur un hub logistique en Pologne.
Comme vous le savez, la France est un contributeur majeur à la sécurité de ses alliés. Au lendemain de l’annexion illégale de la Crimée par la Russie en 2014, les chefs d’État et de gouvernement de l’Alliance atlantique s’étaient accordés pour le déploiement d’une présence avancée renforcée dans les États baltes et en Pologne. Il s’agissait de montrer à tout agresseur potentiel que le territoire des pays baltes et de la Pologne était bien couvert par la garantie de l’Alliance ; nous y avons pris toute notre part depuis le début et nous continuons de le faire.
La situation créée par l’agression russe nous a conduits à décider le renforcement de ces dispositifs, non pas dans le sens d’une escalade, mais tout simplement pour défendre et rassurer nos alliés de l’Est. Le Président de la République a été très clair lors du Conseil européen, jeudi dernier, et lors du sommet de l’Alliance atlantique, le lendemain.
Nous allons donc accélérer et renforcer le déploiement déjà prévu de nos avions de chasse dans les États baltes. Dès la mi-mars, quatre Mirage 2000, appuyés par une centaine d’aviateurs, seront déployés en Estonie. Depuis le 24 février, des patrouilles quotidiennes de deux Rafale et d’un avion ravitailleur s’envolent depuis la France pour réaliser des patrouilles dans les espaces aériens situés sur le flanc Est de l’Europe.
Par ailleurs, nous renforcerons ponctuellement notre dispositif en Estonie, où une compagnie d’infanterie de montagne, composée de 200 militaires, sera déployée aux côtés de nos alliés danois et britanniques.
Enfin, nous avons accéléré le déploiement de moyens en Roumanie dans le cadre de l’OTAN, comme le Président de la République l’avait proposé dès le mois de janvier dernier. Le déploiement des premiers militaires a eu lieu ce week-end, et la montée en puissance du dispositif jusqu’à 500 militaires avec leurs véhicules blindés se poursuivra tout au long de la semaine.
Dans un second temps, nous serons rejoints par des alliés et la France assurera le rôle de nation-cadre au sein d’un nouveau dispositif créé par l’OTAN.
Pour terminer, je souhaite partager avec vous quelques réflexions sur ce à quoi nous nous préparons. La crise que nous vivons a fait brutalement prendre conscience à l’opinion publique que la guerre n’était pas une réalité se résumant à des conflits asymétriques sur des théâtres éloignés. §L’invasion de l’Ukraine et les menaces proférées par le président Poutine à notre égard montrent que notre sécurité se joue directement en Europe.
Ce constat – vous le savez bien, ici, au Sénat – n’est pas nouveau pour le ministère des armées. Dès 2017, dans le cadre du travail stratégique engagé pour préparer la loi de programmation militaire, nous avions décrit le retour des stratégies de puissance et leurs conséquences.
L’hypothèse d’un conflit majeur en Europe a été pleinement prise en compte dans l’élaboration de la loi de programmation militaire 2019-2025, qui, comme le Président de la République l’a voulu, est une loi de remontée en puissance. Elle a donné lieu à un travail conceptuel sur la notion de conflit de haute intensité, qui nous a conduits à poser trois questions et, surtout, à commencer d’y répondre.
Tout d’abord, quelle est notre crédibilité face à un agresseur puissant et déterminé ? C’est tout l’enjeu de la remontée en puissance de notre outil de défense. Après des décennies de sous-investissement, la dernière loi de programmation militaire a précisément inversé la tendance pour moderniser nos forces et pour sécuriser un modèle d’armée complet à l’horizon de 2030.
Ensuite, quelle est notre capacité à agir en commun avec nos alliés et nos partenaires ? Soyons clairs, il y a peu d’hypothèses dans lesquelles la France serait engagée seule dans un conflit de haute intensité. Les mesures que j’ai évoquées, il y a un instant, montrent à quel point notre engagement au sein de l’Union européenne comme de l’Alliance atlantique est une composante essentielle de notre défense. Depuis cinq ans, nous avons fait grandir l’Europe de la défense et, grâce aux dispositifs que nous avons construits, comme la FEP, nous sommes désormais capables de réagir vite et fort pour faire face à une situation inédite.
Enfin, quel est le niveau de résilience de la Nation et est-elle en mesure d’encaisser un choc ? Là aussi, c’est un enjeu essentiel que nous avons d’ores et déjà pris en compte, en bâtissant une capacité à surmonter des attaques cyber massives ou des tentatives qui viseraient à paralyser nos satellites, ce qui n’est pas une situation totalement inédite.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous vivons, vous l’avez tous dit, un moment historique. Il est historique pour l’Ukraine, qui lutte pour sa survie en tant que Nation et pour les valeurs que tous les Européens ont en partage. Il l’est aussi pour l’Europe, qui doit être à la hauteur. Soit l’Europe fait face, soit elle s’efface.
Avec les mesures très fortes prises au cours de ces derniers jours, et cela dans l’unité – je le souligne –, l’Europe fait face et nous faisons face. La France, vous pouvez en être certains, continuera de jouer un rôle moteur dans cette action européenne.