Intervention de Jean-Louis Fillon

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 9 décembre 2021 : 1ère réunion
Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale — Audition de M. Jean-Louis Fillon délégué général institut français de la mer ifm

Jean-Louis Fillon, délégué général de l'IFM :

Concernant la stratégie maritime nationale mise en place pour les années 2017-2022, nous sommes contre toute distinction entre la métropole et les outre-mer. Bien sûr, les outre-mer représentant 97 % de notre espace maritime, une forme de priorité doit leur être accordée, mais c'est d'une politique commune dont nous avons besoin, et c'est ce qui nous a conduits à définir une grille d'analyse valable pour tous nos espaces maritimes. Nous devons également sortir d'une approche souverainiste, souvent teintée d'une forme de nostalgie impériale, pour définir une vraie politique maritime. Pour cela, il est indispensable de nous doter d'une méthode globale qui prouvera la nécessité d'y mettre les moyens. Nous avons tendance aujourd'hui à demander des moyens pour préserver notre souveraineté sur des espaces maritimes dont l'usage n'a pas été défini. Il y a là une vraie question de méthode.

Nous avons aussi constaté, notamment lors des négociations sur la haute mer (accord BBNJ), un manque d'implication de nos industriels, par rapport notamment à des pays comme le Japon, l'Allemagne, mais aussi la Chine et la Russie. Il faudrait développer leur appétence pour les questions maritimes.

Autre faille, la politique portuaire manque de dynamisme, le multimodal est à la traîne.

Mais nous avons, je l'ai souligné, des points forts : notre organisation administrative, une recherche scientifique de très bon niveau avec des moyens, et une Marine à la fois armée de mer et de service public tenant l'ensemble de la question maritime entre ses mains, ce qui constitue un atout extrêmement fort.

La re-création d'un ministère de la mer est une excellente initiative, d'autant qu'il est en train de se doter d'une ossature administrative qui laisse présager de sa pérennité. Cela n'a pas été sans difficultés, les anciens titulaires de ses attributions, qu'il s'agisse des ministères de l'environnement, de l'agriculture et de la pêche, ne les ayant pas abandonnées de plein gré. La mer est une question éminemment interministérielle, avec des questions de défense impliquant le ministère des armées, des questions diplomatiques impliquant le ministère des affaires étrangères, mais aussi la culture, la recherche scientifique... Le tandem ministère de la mer et Premier ministre est donc fondamental.

Les ruptures capacitaires de la Marine nationale outre-mer résultent de mesures d'économies sur les armées qui ont été faites dans les vingt dernières années, de façon, j'ose le dire, presque irresponsable, par certains pouvoirs publics qui doivent le regretter amèrement aujourd'hui. En attendant les projets Batsimar et Afsimar, on pourrait imaginer de multiplier les déploiements depuis la métropole, mais la flotte de la Marine nationale est déjà très sollicitée. La coopération internationale est une voie intéressante, avec des surveillances partagées comme cela a été fait dans l'océan Indien pour la pêche, avec l'Afrique du Sud et avec l'Australie. Mais cela demande peut-être aussi que notre conception de la souveraineté évolue un peu.

Comment garantir la souveraineté sur les îles Éparses et Tromelin ? Les problématiques juridiques sont différentes : Tromelin, c'est une assise historique qui est contestée ; aux îles Éparses, notre présence est moins contestée, car il y a moins d'États en cause, mais il subsiste cette question des richesses potentielles du canal du Mozambique, très fréquenté, avec la revendication malgache qui est une suite de la décolonisation. L'assise juridique des îles Éparses est assez bonne, celle de l'île de Bassas da India, qui est à la fois couvrant et découvrant, l'est moins.

À l'IFM, nous sommes pour la coopération internationale, fondée sur la notion de l'océan, comme bien commun de l'humanité. Notre proposition a fait l'objet, du moins dans l'affichage, d'une forme de consécration, puisqu'elle a été reprise par le Président de la République, en ouverture de son grand discours maritime aux assises de Montpellier, en décembre 2019. Il faut faire évoluer notre conception de la souveraineté et envisager les coopérations de façon beaucoup plus ouvertes que nous avons pu le faire jusqu'ici : partager les richesses, partager les connaissances scientifiques, partager les outils de défense. Cette voie nous semble plus porteuse que celle qui consiste à s'arcbouter sur des positions qui, d'ailleurs, risquent d'être contestées devant des juges internationaux : le différend entre la Chine et les Philippines en 2015 a montré qu'il pouvait conduire à des positions, s'agissant de la définition des îles, qui n'iraient pas forcément dans le sens des intérêts français.

Comment les outre-mer peuvent-ils être intégrés dans la stratégie indopacifique française ? La question est un peu prématurée car je dois m'y pencher dans le cadre de l'Académie de marine et de l'Institut français de la Mer, pour le compte du chef d'état-major de la Marine. Je vous donnerai donc volontiers un rendez-vous ultérieurement. À ce stade, je peux indiquer que s'agissant de l'océan Indien, la Marine est très largement impliquée dans une coopération qui est l'Indian Navy Ocean Symposium, actuellement présidée par le chef d'état-major de la Marine française, l'amiral Pierre Vandier, et que des travaux vont être initiés sur la protection environnementale, écologique et sur la sécurité.

Comment articuler la politique maritime national et les politiques locales ? Dans le cadre de la stratégie nationale pour la mer et pour le littoral, des stratégies de bassin ont mises en place permettant des dialogues entre acteurs économiques. Le Cluster maritime français et les clusters maritimes ultramarins travaillent beaucoup et constituent de très bonnes instances de concertation. Bien sûr, la prise en compte des souhaits des collectivités territoriales doit être améliorée, mais je rappelle que la compétence en mer est régalienne, elle appartient à l'État à partir de la laisse de basse mer, ce qui est une raison de plus pour engager le dialogue. Je suis plutôt optimiste car, depuis une dizaine d'années, les instances de dialogue fonctionnent de mieux en mieux.

Comment mieux adapter les moyens d'action de l'État en mer à l'ampleur des phénomènes de narcotrafic et de pêche illégale dans la ZEE guyanaise et au niveau de violence des contrevenants ? C'est une question qu'il faudrait poser aux autorités politiques locales. S'agissant des narcotrafics, l'action des marines repose en bonne part sur la coopération internationale, avec la garde-côte américaine, la marine américaine, les Pays-Bas. Il y a un important travail d'échange de renseignements. Les opérations impliquant la marine, avec l'aide des autres armées, le commandant de zone maritime, sous l'autorité du délégué du Gouvernement de Martinique, fonctionnent, et couvrent tout l'arc antillais jusqu'à la Guyane. Ce suivi est fait mais il est insuffisant, en témoigne l'explosion des prises car ce trafic est encore en voie d'expansion. Les procédures de coopération internationale et les procédures juridiques fonctionnent également, tout est une question de moyens.

S'agissant des pêcheurs illégaux, je rappelle que nous sommes dans le cadre d'opérations de police : l'emploi de la force est contraint par le code pénal et la police ne peut agir qu'en cas de légitime défense. Même si les règles d'engagement sont de plus en plus affinées et ajustées, nous ne sommes pas dans le cadre d'une opération de guerre et donc tout emploi de la force qui serait par trop préventif serait condamné par le juge. Il y a une contrainte juridique et, je dirais même plus, une contrainte de civilisation qui fait qu'on ne fait pas la guerre aux contrevenants, on fait une répression dans le cadre de la loi, ce sont à la fois les contraintes et ce qui fait la grandeur de l'État de droit.

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