Intervention de Thierry Queffelec

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 9 décembre 2021 : 1ère réunion
Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale — Table ronde sur les atouts et les spécificités de la guyane

Thierry Queffelec :

Le rapport de la Guyane au fait maritime aurait dû être évident pour la population. Les eaux territoriales et la zone économique exclusive française au large de la Guyane représentent une superficie de près de 140 000 km², contre une superficie terrestre de 84 000 km², à laquelle il faut ajouter le plateau continental, l'ensemble recouvrant un important potentiel économique et une biodiversité très riche, qui peut être enviée. Par ailleurs, 84 % de la population guyanaise habite une commune littorale et l'essentiel des échanges commerciaux s'effectue par voie maritime, à près de 95 %, tout comme l'entrée d'une partie du matériel du CNES.

Pour autant, le développement de la Guyane, seul outre-mer français non-insulaire, s'est historiquement tourné vers l'exploitation de sa partie terrestre, bien plus que maritime. La mer y est longtemps restée associée, dans l'imaginaire collectif, au danger, à tel point que l'architecture de Cayenne tourne le dos à la mer. L'enjeu est donc bien celui de l'appropriation par le territoire de son espace maritime, porteur de très fortes opportunités économiques et abritant un patrimoine naturel à préserver. L'État et les acteurs publics tiennent un rôle dans cette démarche.

Celle-ci doit d'abord passer par la connaissance du milieu. Le territoire maritime au large de la Guyane est insuffisamment connu et recensé, ou de manière très inégale selon les zones. Notre objectif est d'ouvrir la voie à l'ensemble des activités économiques. Par exemple, nous avons un potentiel d'exploitation de plusieurs gisements de granulats marins qui aideraient l'effort de construction sur la Guyane. L'état des stocks halieutiques doit quant à lui faire l'objet d'un recensement pour établir une gestion durable de la ressource et connaître les perspectives de développement de la filière pêche. Ce sujet est suivi avec attention par le Comité régionale des pêches maritimes et des élevages marins (CRPMEM), et la démarche actuelle de suivi de certains stocks devra être prolongée.

Le milieu marin est également soumis aux risques naturels, bien que nous échappions aux cyclones. L'érosion côtière nous pose ainsi certains problèmes.

Nous souhaitons en outre revenir sur la notion de responsabilité de l'État concernant la sécurité, la navigation et l'exercice des polices en mer, une mission régalienne. Nous dépendons du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Antilles-Guyane, basé à Fort-de-France. Les équipes de la Direction générale des territoires de la mer (DGTM) sont parfaitement opérationnelles et s'emploient à d'autres missions, comme l'entretien et la mise à jour de la signalisation maritime, nécessaires à la sécurité de la navigation. Le chenal de Kourou en est un exemple. Les missions de police contre les activités illégales en mer existent bel et bien. L'effort des services de l'État en la matière est constant. Les deux dernières semaines de l'année dernière, deux destructions ont été réalisées à l'est et une saisie de matériels et de cargaisons à l'ouest. Nous finalisons actuellement une opération qui conduira à la saisie de petits et de gros bateaux, qui passent à la découpe en moins de 48 heures. Des peines de prison sont appliquées aux personnes en rébellion avec les forces de l'ordre, qui sont incarcérées avec des peines allant jusqu'à deux ans de prison au Brésil. Notre synergie est assez forte, alliant les actions du procureur, des armées, ou encore des services administratifs de la DGTM. En termes de communication, la population et les personnes qui ont la responsabilité de la mer sont informées des moyens qui se mettent en place.

L'action suivante est l'instauration d'une gouvernance dédiée aux politiques publiques maritimes. Le conseil maritime ultramarin (CMU) de Guyane est la seule instance réunissant les représentants des différents acteurs du maritime. Après une période de ralentissement liée à la pandémie, ses travaux ont repris en 2021 avec deux réunions plénières et plusieurs commissions et réunions dédiées à l'élaboration du document stratégique de bassin maritime (DSBM), qui sera un document fondateur des actions que nous devons entreprendre. Les échanges au sein du CMU ont été riches et ont permis d'identifier des points de désaccord entre acteurs, mais également de nombreuses orientations consensuelles. Sur cette base, le projet de DSBM est actuellement soumis à la consultation du public. Il sera complété d'un plan d'action, et soumis à un cycle de consultations pour avis en 2022. L'objectif est de pouvoir doter la Guyane de ce document de planification stratégique maritime en novembre 2022.

Du point de vue de la protection et la gestion durable du milieu marin guyanais, seules 0,64 % des eaux sous juridiction française au large de la Guyane sont couvertes par une aire marine protégée. Ce chiffre très faible doit progresser, dans l'acceptabilité et le respect de la notion de besoins de ressources et de la souveraineté alimentaire. La connaissance et la protection des milieux sont ressorties comme des enjeux forts lors de l'élaboration du DSBM. Elles renvoient à des engagements internationaux ou nationaux, mais également à des préoccupations du quotidien des citoyens : qualité des eaux de baignade, préservation des paysages, pêche de loisir durable, etc. Ce document fertile et fécond sera donc tout à fait porteur.

Enfin, s'agissant de l'accompagnement des porteurs de projets maritimes, le développement de projets économiques maritimes doit être une priorité. Qu'il s'agisse de projets de grande envergure (plateforme portuaire offshore, dragage du chenal d'accès au port de Saint-Laurent, création d'une offre touristique pour la croisière, dragage de granulats marins) ou plus modestes (construction d'un navire de pêche, manifestation sportive ou culturelle, visite guidée, etc.), les initiatives privées sont nécessaires pour développer l'économie maritime guyanaise.

La Guyane compte plusieurs avantages comparatifs : une cohabitation en mer apaisée avec peu de conflits spatiaux entre acteurs économiques locaux, un bassin géographique international dynamique, par exemple avec la prospection et l'exploitation pétrolière prochaine au large du Guyana et du Suriname, et enfin un statut de RUP permettant de bénéficier des fonds structurels et d'investissement européens pour cofinancer des projets lourds et majeurs, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros.

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