Intervention de Didier Magnan

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 9 décembre 2021 : 1ère réunion
Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale — Table ronde sur les atouts et les spécificités de la guyane

Didier Magnan, vice-président du Cluster maritime de Guyane :

Après avoir entendu vos propos autour de la filière pêche, ayant moi-même commencé ma vie professionnelle comme marin-pêcheur, étant le petit-fils du fondateur de la Pêcherie internationale de Guyane, et ayant fini ma carrière de professionnel maritime en 2007 en fermant mon entreprise, reproduire des études conduites des années 1960 aux années 2000 ne me semble pas pertinent. Nous disposons d'un historique riche d'études sérieuses et rigoureuses. La pêche hauturière, la petite pêche et les différents modes de pêche ont été largement étudiés. Il ne me semble pas utile de perdre du temps à réaliser de nouvelles études.

Nous avons aujourd'hui une réelle problématique d'occupation de l'espace halieutique. Nous avons une véritable difficulté infrastructurelle en ce qui concerne le milieu fluviomaritime. Nous avons vu ces 30 dernières années une réduction drastique des infrastructures qui orientent les personnes, les professionnels et les plaisanciers vers le milieu fluviomaritime. Nous avons proposé au grand port maritime de Guyane une réunion sur le cas du port de pêche et de plaisance de Dégrad des Cannes en son enceinte. Le grand port maritime nous a adressé une réponse étonnante et inquiétante, réduisant les possibilités qu'offre cette infrastructure à l'accès au milieu fluviomaritime. Nous sommes préoccupés de cette réponse, mais rédigerons une note et tenterons de provoquer un débat et une réunion élargie avec le grand port maritime.

S'agissant de la filière pêche, lorsque j'ai commencé mon activité de marin-pêcheur, nous étions 45 000 habitants et exportions 99 % de notre production. Nous sommes aujourd'hui presque 300 000 habitants, avec 95 000 jeunes scolarisés, ce qui suppose de fournir des cantines, et nous avons l'avantage d'un marché économique porteur pour les circuits courts, qui permettent d'écouler une grande partie de notre production sur le territoire, tout en visant un modèle d'exportation dont les règles doivent être strictement définies. La filière pêche, dans sa situation actuelle, mériterait un grand débat et une grande réflexion sur ses objectifs, les ressources à exploiter, par quels moyens et les marchés à viser, dans l'objectif de définir un marché commercial pour les produits capturés, transformés et mis sur le marché commercial en circuit court ou à l'export. La valeur commerciale doit être suffisamment rémunératrice, afin de relancer un secteur productif permettant une rémunération correcte qui soit un atout et un attrait pour la jeunesse guyanaise intéressée par cette filière. Tant que nous n'aurons pas redéfini ces règles et que notre marché conservera une très faible valeur commerciale pour le produit facturé, je ne pense pas qu'un jeune soit susceptible de s'intéresser à la filière, si celle-ci correspond à une rémunération de 500 ou 600 euros. La restructuration de cette filière est donc urgente.

Nous avons l'avantage d'avoir une ressource abondante, notamment en poissons à forte valeur commerciale, puisque nous avons du poisson à chair blanche, l'acoupa, qui est voisin du bar, ainsi que des crevettes. Après les études menées ces 30 à 40 dernières années, nous maîtrisons aujourd'hui largement les aspects commerciaux de nos produits. La question qui se pose est de savoir comment les pêcher et les transformer, et pour quel circuit. Une réflexion aussi large et rapide que possible me semble urgente pour redéfinir les contours d'une filière artisanale, voire industrielle. La possibilité de la pêche hauturière a notamment été évoquée, en particulier sur des poissons pélagiques. Des recherches poussées conduites entre les années 1990 et 2000 par l'Ifremer portaient sur ce dossier. Celles-ci nous éclaireraient peut-être sur la non-sédentarisation de cet armement, qui a migré vers l'île de La Réunion. Nous avons donc suffisamment d'éléments en notre possession pour identifier les points faibles et forts de la filière.

Relancer une filière sans disposer d'infrastructures susceptibles d'accueillir l'outil de production qu'est le navire, tant hauturier que de petite pêche, me semble compliqué. Nous avons ainsi un dossier complexe nécessitant une réflexion tant sur la problématique des infrastructures permettant de recevoir ces navires que sur la mise en place de filières de formation permettant d'intégrer des marins français guyanais sur ce navire. Je n'accepte pas que des bateaux vénézuéliens pêchent à la place des bateaux français. Nous devons privilégier ces derniers, qu'ils soient martiniquais, guadeloupéens ou bretons. Nous devrions nous appuyer sur ces savoirs et un transfert de technologie le cas échéant, pour lancer une formation française, au travers éventuellement du lycée agricole de Matiti. Il est inconcevable de ne pas bénéficier de l'assistance de ces bateaux, à la place des bateaux vénézuéliens, et qui permettraient d'accueillir nos marins français guyanais, avec une rémunération motivante, mais aussi de mettre en place des outils de transformation qui, par une fiabilisation d'une production certaine à l'année, sur les circuits courts ou à l'exportation, offriraient une rentabilité assurée. À l'inverse, nous avons mis en place des outils de transformation sans avoir la garantie d'une production leur permettant d'être à l'équilibre. Un opérateur dans le circuit de la transformation représente en moyenne cinq personnes dans le secteur productif. Il est donc urgent de traiter la problématique de l'occupation spatiale de la mer. Nous devons travailler rapidement sur un modèle de redéveloppement de la filière pêche pour occuper l'espace tant au niveau du large, occupé par les bateaux vénézuéliens, que côtier. Nous devons également travailler sur la problématique des infrastructures, que nous ne pourrons pas multiplier sur le territoire.

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