Intervention de Élie Tenenbaum

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 13 janvier 2022 : 1ère réunion
Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale — Audition de M. élie Tenenbaum directeur du centre des études de sécurité de l'institut français des relations internationales ifri

Élie Tenenbaum, directeur du centre des études de sécurité, Institut français des relations internationales (IFRI) :

La réalisation d'une étude sur les infrastructures, notamment portuaires, dans les outre-mer me semble absolument pertinente.

Notamment, une réflexion sur les synergies entre la revalorisation d'une industrie portuaire et de la pêche dans ces espaces - raisonnable et raisonnée - et des moyens militaires montrerait à la fois l'ampleur du travail à fournir et toutes les retombées positives en termes d'emplois, d'économie et d'appropriation de la mer dans les outre-mer.

Si les recommandations - dont je ne présume pas - étaient appliquées, la revalorisation d'une industrie portuaire et de la pêche pourrait profiter aux collectivités et aux populations tout en renforçant la posture stratégique et souveraine de la France dans ces zones.

Les menaces sont diverses et dépendent évidemment de chacun des territoires.

Tout d'abord, nous n'observons fort heureusement pas, dans l'immédiat, de menaces étatiques directes pesant sur ces territoires.

Toutefois, des menaces étatiques indirectes sont présentes. Il s'agit de ce que certains spécialistes appellent des « menaces hybrides », à travers des actions informationnelles de déstabilisation et des actions d'ingérence économiques. Je citerai par exemple l'appétence montrée par la Chine en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie pour des formes d'ingérence pouvant être préoccupantes.

Un travail a été réalisé sur les licences de pêche pouvant être accordées - avec une convergence entre des revendications locales et des partenariats internationaux - avec des pays n'étant pas forcément des adversaires mais avec lesquels nous pouvons avoir des divergences.

Je pense par exemple à Madagascar, avec laquelle nous sommes en désaccord sur la question des îles Éparses. Madagascar ne présente évidemment aucunement une menace. En revanche, il existe des réflexions sur la vente de licence de pêche à des opérateurs privés chinois, dont nous supposons qu'ils peuvent être utilisés par l'État dans des intérêts stratégiques.

La reproduction de ce type de réflexion ou d'activité au-delà des zones d'action traditionnelles - pas forcément du fait de la Chine mais du fait d'autres acteurs, avec un partenariat incluant des acteurs étatiques locaux, que nous considérions jusqu'à présent comme faiblement dotés - changerait considérablement la donne.

Nous avons rédigé différents scénarios. Je ne peux pas entrer dans les détails car la plupart d'entre eux sont protégés. Je me tiens toutefois à votre disposition pour en discuter. Un certain nombre de scénarios ou d'hypothèses sont à considérer avec sérieux.

En outre, il existe de véritables risques transnationaux tels que le risque djihadiste au Mozambique, présentant de réels enjeux de diffusion de cette idéologie et de cette mouvance tout le long de la côte swahili. Une telle diffusion engendrerait forcément un impact, direct ou indirect, sur notre sécurité. Le développement du trafic de drogue à des échelons considérables, notamment dans la zone Antilles-Guyane et dans le Pacifique, doit être inclus.

Nous vivons dans un monde de plus en plus interconnecté, avec des outre-mer ayant l'habitude d'évoluer dans un espace stratégique à part alors même que la survenue d'un contentieux en Europe pourrait donner lieu à une volonté de réponse d'un adversaire sur ces territoires. Nous avons des adversaires ou compétiteurs stratégiques marqués par une forme d'opportunisme stratégique et qui cherchent les endroits les moins bien défendus de nos intérêts. Les outre-mer peuvent malheureusement parfois être perçus comme des proies alléchantes dans cette logique de compétition stratégique.

Nous avons fort heureusement beaucoup de partenaires. La France est clairement le pays le plus ultramarin d'Europe mais les Pays-Bas, le Danemark ou encore l'Espagne ont également des territoires d'outre-mer, répondant chacun à des problématiques spécifiques. Cette liste dessine une petite géographie des pays européens qui seront les plus sensibles à ces questions.

Les pays européens sont dépendants d'un certain nombre de zones. La question indopacifique occupe une place de plus en plus prépondérante pour les pays européens dans leur relation avec les États-Unis.

Un véritable travail de conviction est à mener pour convaincre les Européens de l'importance de ces zones pour l'environnement, la stratégie, la stabilité internationale et la revalorisation de l'Alliance transatlantique, qui nous tient tant à coeur (et qui tient particulièrement à coeur à un certain nombre d'États d'Europe centrale et orientale).

La meilleure manière d'ouvrir les voies et de développer ces partenariats est sans doute de commencer à réfléchir à partir de bases d'infrastructures et de forces françaises existantes puis, peu à peu, d'amener ces pays européens dans l'Indopacifique en intégrant des officiers sur des états-majors des officiers de liaison ou encore en déployant des moyens navals, pouvant être réduits mais intégrés au sein d'une task force ou d'un task group. Je suis convaincu qu'avec un peu de temps, de détermination et de renforcement de nos propres moyens, nous pouvons y parvenir.

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