Intervention de Bruno Le Maire

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 7 mars 2022 à 11h15
Audition de M. Bruno Le maire ministre de l'économie des finances et de la relance

Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance :

Je suis heureux de témoigner devant votre commission d'enquête, qui traite d'un sujet aussi sensible que délicat. Je n'ai aucun conflit d'intérêts à déclarer.

À mon tour, j'assure le peuple ukrainien et l'Ukraine de ma solidarité en ces moments tragiques.

Le sujet de la concentration économique apparaît complexe, en ce qu'il se trouve à la croisée des chemins entre la défense des intérêts industriels et celle des intérêts du consommateur.

D'un point de vue économique, il convient de favoriser la concentration, afin de peser face aux géants américains et chinois, notamment dans les secteurs du transport ferroviaire et de l'aéronautique. Le droit de la concurrence, cependant, protège le citoyen et lui assure un prix le moins élevé possible. Il s'agit d'un enjeu décisif. Ainsi, dans une Europe qui compte de nombreux acteurs du numérique, le prix de l'abonnement à internet s'établit à un niveau plus bas qu'aux États-Unis.

L'équilibre apparaît difficile à trouver, notamment dans le secteur des médias, où le consommateur est également citoyen, avec des intérêts à la fois économiques et politiques, et dont il convient de protéger l'indépendance de l'information. Le pluralisme de l'information constitue donc un enjeu culturel, politique et économique majeur pour nos démocraties.

Dans ce cadre, l'État a la responsabilité du maintien de l'ordre public économique ; il joue un rôle d'arbitre entre la liberté du consommateur et celle du producteur. Le droit de la concurrence sert à assurer le maintien de cet ordre, en évitant les concentrations excessives, les monopoles et les ententes au détriment des consommateurs et des citoyens. L'Autorité de la concurrence, indépendante, juge et sanctionne ces comportements, dès lors que le marché pertinent est celui de la France. En 2020, elle a ainsi infligé pour 1,8 milliard d'euros d'amende et a traité près de 195 dossiers depuis le début du quinquennat.

Le ministère de l'économie, des finances et de la relance, pour sa part, adapte les règles applicables aux évolutions de l'économie, en particulier au bouleversement qu'a représenté l'émergence du digital. Il doit assurer l'équilibre entre la concurrence et les enjeux industriels et d'emploi. En conséquence, je puis m'opposer pour ces motifs à une décision de l'Autorité de la concurrence.

Au cours de ces cinq dernières années, nous avons adapté les règles à l'émergence des géants du numérique, de façon qu'elles s'appliquent à tous, y compris en l'absence d'une présence physique de l'entreprise sur le territoire national. Nous avons réglé en partie la question fiscale, mais beaucoup reste à faire sur le sujet concurrentiel et sur celui de la juste rémunération des auteurs.

En matière de fiscalité, il convenait de soumettre à une juste taxation des entreprises qui, comme Google, comptent des dizaines de millions de clients en France. Ce fut un long combat, durant quatre ans, que de définir une base fiscale opérante. Nous avons fait émerger une solution au niveau de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dont il convient désormais de s'assurer de la mise en oeuvre effective. En attendant, nous avons choisi de maintenir notre dispositif de taxation nationale.

Les pratiques anticoncurrentielles des géants du numérique posent un problème économique autant que politique. Ceux-ci se comportent comme des États privés, dont ils disposent des prérogatives sans être soumis à une quelconque obligation. Ils n'ont de comptes à rendre qu'à leurs actionnaires. Certains souhaitaient même créer leur propre monnaie digitale ! Le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA) apparaissent, à cet égard, indispensables.

La juste rémunération des auteurs constitue une condition essentielle de la liberté de la presse. L'information de qualité a un coût pour les organes de presse ; elle ne peut être livrée gratuitement par les géants du numérique. Nous avons soutenu la directive européenne sur les droits voisins, qui doivent être rigoureusement respectés. L'Autorité de la concurrence a ainsi infligé récemment une amende de 500 millions d'euros à Google. Des accords doivent être signés entre éditeurs et plateformes. Nous sommes prêts à aller plus loin en matière législative et réglementaire, si cela s'avérait nécessaire.

Ma mission porte également sur le respect de l'équilibre entre la concurrence, l'intérêt industriel du pays et le maintien de l'emploi. Tout projet de concentration fait l'objet d'une enquête de l'Autorité de la concurrence. Il m'est possible de passer outre son avis pour des motifs d'intérêt général liés aux intérêts vitaux de la Nation, hors maintien de la concurrence. Ainsi, j'ai posé des conditions au projet de rachat de William Saurin par Cofigeo, autorisé par l'Autorité de la concurrence, afin de préserver l'emploi.

Il me semble important d'interroger régulièrement le marché pertinent, qui peut évoluer. Nous l'avions évoqué devant la Commission européenne lors du dossier Alstom-Siemens. S'agissant de la publicité télévisée et en ligne, il s'agit d'un sujet majeur, sur lequel je ne puis me prononcer. L'Autorité de la concurrence devra y apporter une réponse, qui aura des conséquences sur le projet de fusion entre TF1 et M6.

Les médias forment un marché aux enjeux spécifiques. La concentration n'y apparaît pas excessive : il existe près de 1 200 radios publiques et privées, alors qu'elles n'étaient qu'une poignée avant 1980. Les médias obéissent à une régulation propre, destinée à protéger la liberté d'information du citoyen. La loi de 1986 garantit ainsi le pluralisme de la presse - un seul opérateur ne peut, par exemple, disposer de plus de sept autorisations de services nationaux de télévision -, sous le contrôle de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Le numérique présente pour les médias un risque autant qu'une opportunité, raison pour laquelle un équilibre doit être trouvé.

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