La stratégie indopacifique est née en 2018 à l'occasion des visites du Président de la République en Inde, en Australie et en Nouvelle-Calédonie, lorsque ce concept commençait à se répandre dans toute la région. L'Inde a adopté une stratégie la même année, tout comme l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN). Au sein de l'Union européenne, nous avons été les premiers à l'adopter. Elle a été consolidée par un travail de suivi interministériel et a acquis une bonne visibilité dans la région. L'Allemagne et les Pays-Bas ont suivi en septembre 2020.
Nous avons également joué un rôle moteur à Bruxelles, dans les discussions ayant conduit à l'adoption le 16 septembre dernier d'une stratégie européenne pour la coopération en Indopacifique, parfaitement complémentaire avec la nôtre.
Une grande partie des enjeux de cette stratégie viennent d'être rappelés. L'Indopacifique est le théâtre de profonds bouleversements stratégiques qui nous concernent tous, tels que l'agressivité croissante de la Chine, les tensions existant autour des frontières maritimes et des revendications territoriales s'y attachant, ou encore l'intensification de la compétition sino-américaine. Ces défis s'ajoutent à d'autres foyers de tensions préexistants, dans la péninsule coréenne ou à la frontière sino-indienne.
Ensuite, les enjeux maritimes de la zone sont considérables. Ils portent sur la liberté de navigation et de survol, la souveraineté - avec nos territoires et ZEE -, l'économie, la protection et la gestion durable des océans, ou l'importance de la pêche illégale.
L'Indopacifique représente près de 60 % de la richesse mondiale et 40 % de la consommation mondiale. La zone est à la pointe de l'innovation, notamment dans le domaine de l'économie numérique. Elle a donc un potentiel considérable, pour nos entreprises, mais aussi en matière de partenariats, de recherche et d'innovation. Enfin, elle est au coeur des enjeux mondiaux que sont le changement climatique, la biodiversité, les océans et la santé. Elle est décisive dans la réponse que nous voulons apporter à ces défis.
Quels objectifs poursuivons-nous ? À travers un réseau de partenariats, nous voulons aider les pays à développer une approche alternative au modèle chinois, fondée sur le respect du droit et des souverainetés nationales, et sur la promotion d'un multilatéralisme efficace contre la logique de blocs. Nous souhaitons consolider un espace indopacifique ouvert et libéré de toute forme de coercition. Pour atteindre ces objectifs, nous nous appuyons fortement sur les partenariats développés avec l'Inde, le Japon, Singapour, l'Indonésie, le Vietnam ou la Corée du Sud. Nous conduisons avec eux un dialogue politique dense, dont la coopération en Indopacifique est l'une des principales composantes.
J'en viens à la présence de nos départements et collectivités d'outre-mer dans les deux océans, constituant l'une des dimensions prioritaires de notre stratégie. Ils sont une particularité française, renforçant le sens de notre engagement dans la zone. Le Président de la République a porté ce message lors de ses récentes visites à Nouméa, à La Réunion et en Polynésie française. Nous sommes une nation de l'Indopacifique. Nous devons porter cet atout, cette opportunité pour nos territoires.
Ces derniers présentent plusieurs enjeux essentiels et, en premier lieu, celui de la protection de nos ressortissants et de la défense de notre souveraineté. Le second enjeu majeur est celui de l'insertion de nos territoires dans leur environnement régional. Ils participent activement aux organisations régionales des deux océans. C'est notamment le cas du Forum des îles du Pacifique (FIP), dont la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont membres à part entière, et où la France est un État observateur. C'est aussi le cas de l'Association des États riverains de l'océan Indien, rejointe par la France en décembre 2020 au titre de La Réunion, et de la Commission de l'océan Indien (COI). Cette insertion régionale croissante de nos territoires contribue au renforcement et aux échanges avec les pays de la zone, notamment dans les domaines économique et éducatif. Elle passe par les compétences réunies sur le territoire, au travers des opérateurs de l'État, des instituts de recherche, des universités. Ces compétences constituent des plateformes d'excellente qualité pour développer des coopérations avec les pays voisins.
En raison de leur niveau de développement, supérieur aux pays voisins, nos territoires ont également le potentiel de devenir des vitrines régionales en matière de biodiversité ou d'économie bleue.
Enfin, la présence de nos forces de souveraineté nous permet de participer aux actions collectives au bénéfice des pays voisins, notamment dans le domaine de la surveillance maritime et de l'assistance humanitaire faisant suite à des catastrophes naturelles. Elle est appréciée par ceux qui en bénéficient tout en nous donnant une visibilité dans la région.
L'Inde et le Japon ont parfaitement perçu le potentiel de nos territoires. Nous développons à Nouméa un observatoire des grands fonds marins avec le Japon, visant à mesurer les impacts du changement climatique. C'est également à Nouméa que s'est tenue la première session du dialogue maritime global entre la France et le Japon, en septembre 2019.
Dans l'océan Indien, l'Inde et le Japon sont également observateurs actifs auprès de la COI. Ils jouent un rôle dans la coopération que nous développons notamment en matière de sécurité maritime et d'économie bleue. Nous attachons également une importance particulière au rôle de l'UE vis-à-vis de nos territoires. Ils sont d'ailleurs spécifiquement mentionnés dans la communication conjointe du 16 septembre 2021. L'UE est aussi associée de très près aux travaux de la Commission de l'océan Indien, auxquels elle participe financièrement. Nous soutenons sa candidature à la Commission du Pacifique Nord.
Enfin, les annonces sur la nouvelle alliance Aukus (Australie, Royaume-Uni, États-Unis) ont marqué une rupture de confiance et ont entraîné une crise diplomatique. Dans le même temps, elles ont montré que l'UE doit développer sa propre stratégie en fonction de ses propres intérêts. Le Président de la République et le ministre des Affaires étrangères l'ont rappelé, nous émettons des réserves car Aukus nous semble privilégier de manière exclusive une approche sécuritaire et militaire, qui apparaît de nature à favoriser un accroissement des tensions dans la région, et à fragiliser les équilibres régionaux. Cette analyse est partagée par de nombreux pays de la région.
Nous pouvons tirer trois conséquences de cette situation. D'abord, il faut garder notre cap. Notre engagement et les intérêts sur lesquels s'appuie notre stratégie n'ont pas changé. Au contraire, notre approche et celle de l'UE sont consolidées et rendues encore plus pertinentes. Ensuite, Aukus nous incite à renforcer nos partenariats avec l'ASEAN, l'Inde ou le Japon, et à promouvoir encore plus activement une stratégie européenne proposant une approche différente des problèmes de la région. Enfin, les consultations menées avec Washington ont permis de commencer à restaurer la confiance avec les États-Unis, et de rapprocher nos points de vue. Les plus hautes autorités américaines ont publiquement reconnu le rôle que peuvent jouer la France et l'UE dans la région indopacifique. Elles ont aussi reconnu que l'annonce Aukus n'avait pas été bien gérée à notre encontre. Nous poursuivons notre dialogue sur cette base, et la recherche de fortes synergies dans nos stratégies indopacifiques respectives.