Intervention de Camille Morel

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 27 janvier 2022 : 1ère réunion
Étude de la délégation sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale — Table ronde sur les câbles sous-marins

Camille Morel, chercheuse en relations internationales à l'Université Jean-Moulin-Lyon 3 :

Je vous remercie de m'avoir invitée à partager avec vous mes travaux de recherche. Je suis honorée d'être présente en tant que chercheuse, mais aussi en tant que citoyenne.

Le sujet qui nous occupe aujourd'hui est présent dans l'actualité, les îles Tonga ayant été récemment déconnectées de l'Internet à la suite d'un tsunami découlant d'une éruption volcanique. Cet événement nous amène à plusieurs réflexions :

- les territoires isolés, notamment du Pacifique, sont vulnérables quand il s'agit des communications internationales ;

- nos sociétés sont très dépendantes au numérique, particulièrement pour solliciter des secours ;

- il est difficile de confronter les besoins identifiés de résilience et de connectivité supplémentaires à la réalité économique.

Le sujet des câbles sous-marins est de plus en plus présent dans l'actualité, car notre société se révèle de plus en plus dépendante à ces câbles dans ses activités quotidiennes (économiques, bancaires, financières, sociales, administratives, militaires). Cette dépendance accroît notre vulnérabilité et suscite des intérêts grandissants, comme le montre l'arrivée des géants de l'Internet sur ce marché. Les révélations de « l'affaire Snowden » en 2013 ont également démontré leur importance économique, quand a été mise en évidence la captation d'informations à partir de ces infrastructures stratégiques.

Ce renouveau d'attention se concrétise par la politisation du sujet sur la scène internationale, mais aussi au niveau régional. Celui-ci est abordé dans les débats des Nations Unies sur les questions environnementales et le partage des activités maritimes, dans les discussions menées au sein de l'OTAN sur les questions de défense, mais aussi dans les échanges entre membres de l'Union européenne sur des thèmes comme la souveraineté ou la protection des infrastructures critiques.

La politisation du sujet provoque l'intérêt des médias, ce qui permet de combler certaines lacunes, mais attire aussi l'attention sur des infrastructures jusqu'ici protégées par leur invisibilité.

L'autre point que je souhaitais aborder concerne l'état général de la connectivité des outre-mer, qui se révèle très hétérogène. La résilience et la vulnérabilité des différents câbles sont très disparates. En 2022, Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Saint-Pierre-et-Miquelon disposent chacun d'un câble sous-marin, la Guyane de deux câbles actifs, la Guadeloupe, La Réunion et Mayotte de trois câbles, et la Martinique de quatre.

Une éventuelle stratégie maritime portant sur ces câbles sous-marins ne pourrait donc suivre qu'une réflexion plurielle, au cas par cas, qui intégrerait les atouts et les faiblesses locaux, qu'ils soient économiques, environnementaux, géopolitiques ou sociaux.

La question de la vulnérabilité des câbles sous-marins recouvre plusieurs aspects : le nombre de câbles, la diversité des fournisseurs, des pays reliés et des points d'arrivée, pour favoriser la résilience des territoires concernés.

Concernant les menaces qui pèsent sur les câbles sous-marins et leur protection - des enjeux qui vous intéressent particulièrement - il me paraît important de prendre en compte la dualité de cette infrastructure. Il faut penser les menaces internes en termes de contenant et de contenu, le contenant renvoyant à l'intégrité physique de ces câbles (coupures, endommagements, détournements d'usage), et le contenu à l'intégrité des données transportées (problématiques de la souveraineté, du renseignement, de la collecte, de la censure, de la saturation du réseau).

Plusieurs axes d'amélioration sont envisageables, comme le renforcement des partenariats public-privé sur le plan de la recherche et du développement, le partage capacitaire, la coordination des moyens, et la compréhension de ce système très complexe qui relève aujourd'hui du privé.

La problématique de la souveraineté en matière numérique, en particulier pour les câbles sous-marins, est délicate. Elle doit être abordée dans un système global de communications internationales comprenant les data centers, les infrastructures terrestres, les satellites, etc.

Les câbles sous-marins présentent une dimension internationale évidente : ils relient au moins deux États l'un à l'autre. La réflexion doit donc porter sur l'origine de ces câbles (initiateur, fabricant), aux pays reliés, aux routes suivies, à leur capacité.

S'agissant de la coordination institutionnelle, je rappellerai que le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), tout comme le Secrétariat général de la mer (SGMer) jouent un rôle de coordinateur sur différentes problématiques. Ces fonctions de coordination sont naturelles et historiques : elles remontent à l'époque du télégraphe pour leurs prédécesseurs. Seules ces entités semblent aptes à monter en puissance sur le sujet des câbles sous-marins, ce qui ne prive pas de leurs prérogatives les différents ministères ou services qui peuvent continuer à travailler sur ce domaine. Cette coordination existe aujourd'hui, et donne au Gouvernement une impulsion qui permet de combler le retard que nous accusons par rapport à d'autres États.

Cette coordination est d'autant plus importante que le sujet prend toujours plus d'ampleur sur la scène internationale et qu'il est nécessaire de dépasser le simple cadre national.

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