Je vais maintenant aborder les éléments relatifs à la souveraineté qui ont été mis en avant dans le cadre de ce rapport.
Tout d'abord, il nous apparaît essentiel de renforcer les moyens de notre souveraineté outre-mer, compte tenu notamment de la multiplication des menaces en mer.
La pêche illégale est en pleine explosion, particulièrement en Guyane où les méthodes employées sont de plus en plus agressives. Même si dans les autres territoires la pêche illégale est moins importante, elle reste intensive aux limites de nos ZEE, et ce notamment autour de la ZEE polynésienne. Le narcotrafic est aussi en forte progression dans les eaux des Antilles. Rappelons qu'en 2021, 31 tonnes ont été saisies contre 18 tonnes les années précédentes. Ensuite, il existe une recrudescence des tensions navales, et notamment à proximité de nos ZEE. On assiste aussi aujourd'hui à un phénomène de réarmement naval dans tous les pays du monde et notamment dans la zone indopacifique. Nous avons pu constater que selon la Marine nationale, entre 2008 et 2030, le tonnage de la Marine chinoise devrait augmenter de 138 %. La Marine chinoise connaît une augmentation presque chaque année de capacité quasi égale à la totalité de la Marine française. Enfin, il faut également noter les enjeux nombreux liés à la protection des câbles sous-marins.
Bien sûr, il existe des moyens de surveillance et de protection du domaine maritime, mais ils ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Grâce à ses outre-mer, la France fait partie des rares puissances disposant d'une présence militaire permanente globale avec ses 5 forces de souveraineté : les FAA, les FAG, les FASZOI, les FAPF et les FANC. Mais si ces forces de souveraineté rassemblaient 8 700 hommes et femmes en 2008, elles ne sont plus que 7 150 en 2022. De plus, si les effectifs globaux des armées ont diminué sur la première partie de la période, ils ont augmenté sur la seconde partie et cette hausse n'a pas concerné les forces de souveraineté outre-mer. Cela montre bien que ces forces de souveraineté ne faisaient pas partie des objectifs prioritaires de la défense sur cette période.
Des ruptures de capacités importantes sont à prévoir jusqu'en 2025. Les six patrouilleurs outre-mer (POM) qui devaient remplacer les P400 ne seront mis en service qu'entre 2022 et 2025. Par ailleurs, les capacités amphibies ont été perdues avec le remplacement des BATRAL par les BSAOM, alors même que ces capacités sont indispensables pour mener des opérations en cas de catastrophes naturelles. La France prend aujourd'hui du retard en matière de course technologique. Si des États tels que la Turquie maîtrisent parfaitement l'emploi de drones marins, la France en est encore loin.
Nos moyens sont donc taillés au plus juste et doivent donc être renforcés, d'autant plus que le contexte géopolitique global fait qu'il y a des menaces toujours plus importantes. C'est la raison pour laquelle nous considérons qu'à l'horizon 2030, il serait nécessaire de doter chacune des forces outre-mer d'un patrouilleur supplémentaire, de coupler la livraison des POM avec la mise en service de drones embarqués et de surface et de rétablir des capacités amphibies pour les forces navales outre-mer. Face aux limites des moyens français, il serait aussi important accélérer le déploiement du programme European Patrol Corvette, qui pourrait assurer le remplacement des frégates de surveillance vieillissantes.
Il nous paraît important d'assumer un rôle de puissance d'équilibre de l'ordre maritime mondial. Grâce à ses outre-mer, la France peut jouer ce rôle pour elle-même mais aussi pour l'Europe à bien des égards en s'investissant et en agissant pour une meilleure gouvernance des océans et en promouvant le multilatéralisme.
La France est présente dans une dizaine d'organisations régionales grâce à ses territoires ultramarins, ce qui constitue un atout majeur pour agir en faveur d'une meilleure protection et gouvernance des océans.
Cependant, bien qu'affichée comme une priorité depuis 20 ans, l'intégration régionale des outre-mer reste encore trop inégale et il est nécessaire de valoriser cet atout en mettant en place au sein du ministère des outre-mer une cellule dédiée à la réflexion stratégique, à laquelle des officiers supérieurs seraient intégrés et en affectant auprès de chaque préfet, un conseiller diplomatique, en plus des trois ambassadeurs à la coopération régionale. Enfin, sur le modèle des accords FRANZ dans le Pacifique, qui visent à coordonner l'aide civile et militaire en cas de catastrophes naturelles, des partenariats régionaux similaires doivent être mis en place dans la Caraïbe pour mener des opérations d'assistance aux populations.
La stratégie indopacifique française, initiée en 2018, s'est traduite par des discours ambitieux pour placer la France comme troisième voie face à la rivalité sino-américaine et promouvoir le multilatéralisme. Cette région apparaît comme le centre névralgique du monde. Comme on le sait, elle concentre 60 % de la population mondiale, un tiers du commerce international et contribuera pour environ 60 % du PIB mondial d'ici 2030. Grâce à ses 6 territoires du Pacifique et de l'océan Indien, la France est une nation souveraine de l'Indopacifique, qui abrite 1,6 million de citoyens français.
Cependant, deux critiques essentielles peuvent être formulées à l'égard de cette stratégie. Tout d'abord, ses concrétisations restent limitées et sont essentiellement circonscrites aux aspects militaires, via la vente de matériels à des partenaires stratégiques. Ensuite, cette stratégie est très « Étato-centrée », sans réelle implication des collectivités qui pourraient jouer un réel rôle de relai en la matière.
Il est important de donner véritablement corps à la stratégie indopacifique. Les outre-mer doivent non seulement être des atouts mais aussi des acteurs de cette stratégie grâce notamment à leur présence dans les organisations de coopération régionale. Il nous paraît aussi important de développer des liens économiques entre les collectivités françaises et les États de la zone, ce qui permettrait aussi de répondre à la diplomatie d'influence de la Chine qui développe son soft power, économique voire sanitaire.
L'implication de l'Union européenne dans l'Indopacifique nous paraît encore trop limitée et les territoires ultramarins ne sont d'ailleurs que brièvement mentionnés dans le document de la stratégie européenne pour l'Indopacifique. Il convient de valoriser ces atouts français lors de la PFUE, la France étant le seul pays de l'UE présent dans la région.
Enfin, et après la rupture de confiance avec l'Australie et l'accord Aukus, il convient de diversifier les partenariats en renforçant les liens avec l'Indonésie ou l'ASEAN et de ne plus être considéré comme un partenaire mineur, mais bien de redevenir un partenaire majeur.
Pour mettre en oeuvre tous ces éléments, nous avons quelques recommandations. S'agissant de nos territoires dans l'océan Indien, il nous apparaît aujourd'hui primordial de renouveler le permis d'exploration (je ne parle pas d'exploitation) et de reprendre les recherches gazières au large de Juan de Nova. S'agissant des forces de souveraineté, il convient de faire des outre-mer la priorité de l'actualisation de la Loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, de prévoir la livraison d'un patrouilleur supplémentaire pour chacune des forces outre-mer lors de la prochaine loi de programmation militaire et de coupler la livraison des patrouilleurs outre-mer (POM) par la mise en service de drones de surface pour sillonner la ZEE. Le rétablissement des capacités amphibies pour les forces navales outre-mer est également indispensable, en acquérant des hydroglisseurs, sur le modèle de ceux développés par la marine japonaise. Face aux limites actuelles, il faut par ailleurs baser un hélicoptère polyvalent (armée, gendarmerie, douanes, sécurité civile) à Saint-Martin pour les îles du Nord. S'agissant de l'île de La Passion-Clipperton, nous proposons de rendre obligatoire, dans le contrat opérationnel des armées, un passage avec débarquement, a minima une fois par an, sur cette île. Il faut également lancer des études en vue d'y construire une base scientifique.