Intervention de Marie-Laure Phinera-Horth

Délégation sénatoriale aux outre-mer — Réunion du 24 février 2022 : 1ère réunion
Les outre-mer au coeur de la stratégie maritime nationale — Présentation du rapport

Photo de Marie-Laure Phinera-HorthMarie-Laure Phinera-Horth, rapporteure :

Il me revient d'aborder la dernière partie de notre rapport, consacrée aux enjeux économiques de la stratégie maritime pour les outre-mer. Je commencerai par un chiffre : 2,4 %. C'est le poids des activités maritimes dans l'emploi marchand en outre-mer. C'est peu, voire très peu, comparé aux immenses ressources que la mer peut pourtant offrir à nos territoires. Nous souhaitons que la stratégie maritime soit un moteur du développement économique de nos outre-mer.

Pour atteindre cet objectif, trois défis majeurs se présentent à nous : la modernisation de nos ports ; l'accompagnement des secteurs traditionnels de la pêche et du tourisme bleu ; et enfin le soutien aux filières d'avenir comme l'aquaculture, les énergies marines et les biotechnologies, encore trop peu développées.

Je voudrais commencer par l'insertion de nos ports ultramarins dans le commerce maritime mondial.

D'ores et déjà, Port Réunion, Pointe-à-Pitre, Fort-de-France et Nouméa se classent parmi les 10 premiers ports français en termes de trafic de conteneurs. Et Port Réunion est parvenu en quelques années à devenir le hub du sud de l'océan Indien. Situés aux carrefours des routes maritimes mondiales, les ports ultramarins peuvent s'inspirer de cet exemple pour constituer à leur échelle des hubs régionaux et tirer ainsi pleinement parti de l'économie mondiale.

Pour ce faire, les infrastructures portuaires doivent être adaptées et modernisées. Le trafic par porte-conteneurs devrait tripler d'ici 2035 et la taille des navires est en forte augmentation. D'importants travaux sont nécessaires pour augmenter les tirants d'eau, disposer de longueur de quais plus importante et bénéficier de portiques suffisamment nombreux pour les opérations de chargement et de déchargement. En Guyane, pour remédier au faible tirant d'eau du port de Dégrad des Cannes, la faisabilité d'un port flottant extérieur doit être évaluée.

Au-delà de ces adaptations, les ports doivent également élargir la palette de leurs services s'ils veulent attirer davantage de trafic. Le développement de services de réparation navale, très appréciés des compagnies maritimes, en est un exemple. Par ailleurs, pour devenir de véritables sites logistiques et diversifier les activités, les ports ont besoin d'étendre leurs réserves foncières et d'améliorer leur hinterland, souvent exclusivement desservi par du trafic routier. Face à la congestion routière, le développement de dessertes maritimes de fret sur le pourtour des îles peut constituer une solution.

Les statuts des ports ultramarins paraissent aujourd'hui globalement adaptés. La situation du Port de Longoni à Mayotte est cependant préoccupante. La gestion actuelle par un concessionnaire n'est pas satisfaisante alors même que les opportunités de développement sont nombreuses, grâce à une situation privilégiée dans le Canal du Mozambique, nouvelle « Mer du Nord ». Pour relever ces défis, l'évolution du statut du Port de Longoni en Grand Port maritime (GPM) est aujourd'hui indispensable.

Avant de passer aux autres secteurs de l'économie bleue, je voudrais évoquer l'enjeu absolument stratégique des câbles sous-marins. Nos territoires sont certes reliés à l'économie mondiale grâce à nos ports mais ils sont également reliés à l'internet mondial grâce aux câbles. Or, ces câbles restent trop peu nombreux : les territoires français du Pacifique et Saint-Pierre-et-Miquelon ne sont ainsi reliés que par un seul câble. Leur vulnérabilité impose de développer la redondance des câbles et d'améliorer leur résilience. Je vous renvoie à notre table ronde du 27 janvier 2022, qui a réuni les acteurs français d'Orange Marine et d'Alcatel Submarine Networks, leaders mondiaux dans la fabrication et la pose des câbles.

J'en viens maintenant aux enjeux de la pêche ultramarine. Relativement à l'étendue de la ZEE ultramarine, la pêche dans les outre-mer reste très limitée, étant même souvent insuffisante pour répondre à la demande locale. Le secteur est frappé par un vieillissement des effectifs, par une dégradation de l'état de la flotte et par un manque de structuration des filières. L'appui de l'Union européenne, via le Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (FEAMPA) est indispensable pour soutenir la filière. Cependant, l'accès à ce fonds est rendu difficile par une forte complexité administrative et par une insécurité juridique pénalisante. La mise en place d'un règlement autonome, de type POSEI Pêche, en s'inspirant du modèle du programme de soutien à l'agriculture ultramarine, permettrait de garantir la continuité des aides malgré les périodes de renégociation budgétaire. Par ailleurs, face au vieillissement de la flotte, la Commission européenne doit, comme elle s'y était engagée, autoriser les aides d'État pour le renouvellement des flottes de pêche en outre-mer.

Je ne peux pas ne pas mentionner la situation particulière de la Guyane. La pêche illégale y est un fléau, le ministère des outre-mer parlant lui-même d'« opérations de guerre ». L'État doit mettre en oeuvre les engagements pris depuis 2014 et adapter les moyens de la Marine nationale à l'intensification des violences. L'État consacre 120 jours à la lutte contre la pêche illégale en Guyane, contre une présence de 300 jours de la Marine dans les eaux du sud de l'océan Indien.

S'agissant du tourisme bleu, celui-ci est porté en grande partie par le secteur de la croisière et les activités de plaisance, qui ont été fortement impactés par la crise du Covid-19. Les capacités d'accueil limitées des territoires, tout comme les nécessités environnementales, plaident pour le développement d'un tourisme bleu qualitatif en outre-mer.

J'en termine avec les filières d'avenir de l'économie bleue. Nous faisons face à un paradoxe. Alors même que les outre-mer disposent d'une biodiversité extrêmement riche, la valorisation des ressources marines dans le domaine médical et cosmétique est encore peu développée outre-mer. Pourtant, la France dispose d'acteurs économiques de premier plan avec L'Oréal et Sanofi. Il reste à faire en sorte que ces acteurs prennent conscience des potentiels existant en outre-mer, et s'y implantent.

En matière d'aquaculture, le bilan est aujourd'hui décevant : les outre-mer restent très en retard, à l'exception de la Nouvelle-Calédonie qui a développé une importante filière de crevettes bleues et de la Polynésie française qui dispose d'une filière de perliculture. La production aquacole en outre-mer s'établit à 2 000 tonnes par an, constituées à 80 % par les élevages de crevettes en Nouvelle-Calédonie. La pénurie des formations aux métiers de l'aquaculture pénalise son développement dans les outre-mer, tout comme les complexités administratives dans les autorisations de fermes aquacoles. Les moyens de l'Ifremer outre-mer doivent être renforcés pour permettre l'accompagnement au développement de cette filière.

Enfin, les énergies marines constituent une filière prometteuse pour les territoires ultramarins via l'utilisation de l'énergie des vagues et de la houle (houlomoteur), de l'énergie éolienne (offshore notamment) ou encore de l'énergie thermique des mers (eau froide ou chaude permettant la production d'électricité en continu). Des projets phare comme le SWAC (Sea Water Air conditionning) ont été mis en place en Polynésie française et à La Réunion. Cependant, ces filières sont encore expérimentales et doivent faire face à des coûts élevés. Un soutien public plus important est aujourd'hui nécessaire pour encourager ces projets.

Vous le voyez, les opportunités sont nombreuses, reste à soutenir les projets !

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