Intervention de Catherine Morin-Desailly

Commission des affaires européennes — Réunion du 1er mars 2022 à 15h30
Culture — Europe de la culture et du patrimoine - rapport d'information proposition de résolution européenne et avis politique

Photo de Catherine Morin-DesaillyCatherine Morin-Desailly, rapporteure :

L'Acte constitutif de l'Unesco, du 16 novembre 1945, commence par ces mots : « Les guerres naissant dans l'esprit des hommes, c'est dans l'esprit des hommes qu'il faut élever les défenses de la paix. » Cette phrase résonne particulièrement alors que la guerre est aux portes de l'Europe. Il peut paraître décalé de parler culture et patrimoine par les temps qui courent ; il est bon de rappeler qu'il s'agit là de ce qui forge notre identité européenne et nourrit notre sentiment d'appartenance, en renforçant la cohésion de l'Union et en favorisant la transmission et le partage de nos valeurs. Jean Monnet disait : « Notre mission n'est pas de coaliser des États, mais d'unir des hommes. » Témoin de l'Histoire de l'Europe et de sa longue construction au fil des siècles, le patrimoine n'est pas fait que de vieilles pierres : il parle au coeur des Européens. Il n'est pas l'expression d'une nostalgie, mais d'un enracinement, source de fierté et d'une identité partagée, européenne, nationale et régionale, que nous voulons ouverte sur l'avenir.

Avec Louis-Jean de Nicolaÿ, nous voulions profiter de la présidence française de l'Union pour dresser un bilan des politiques en faveur du patrimoine et, surtout, réfléchir à la manière de dynamiser la politique européenne du patrimoine. L'idée est de la rendre à la fois plus revendiquée et plus lisible, tout en esquissant quelques lignes de force pour l'avenir. C'est un travail au long cours, et ce rapport n'est au fond qu'un rapport d'étape.

L'écrivain et philosophe George Steiner affiche, en tête des cinq critères qu'il propose pour définir l'identité européenne, les cafés qui, dit-il, font l'Europe ; en deuxième critère, il place le paysage humanisé : l'Europe a été, et reste, parcourue à pied. Il ajoute encore que la dignité de l'homme européen réside dans la création de beauté. Nous pourrions multiplier les exemples de l'identité esthétique européenne : il existe une Europe des cathédrales, une Europe des foires et des marchés, une Europe des théâtres, des ports de pêche, des monastères, des universités...

Paradoxalement, la prise en compte du patrimoine par l'Union européenne a été très progressive, voire très lente. Notre rapport en rappelle toutes les étapes. Ce n'est pas avant le traité de Maastricht, en 1992, que le patrimoine a été intégré aux politiques européennes. En fait, la prise en compte du patrimoine de l'Europe a été extérieure au système communautaire. Elle fut d'abord le fait de l'Unesco, puis du Conseil de l'Europe qui, très tôt, avaient intégré dans leur politique la prise en compte de la culture et du patrimoine.

L'article 6 du Traité sur l'Union européenne (TUE) place le patrimoine parmi les compétences d'appui de l'Union européenne. En vertu de son article 167, l'Union est pleinement fondée à agir en vertu de cette compétence d'appui, qui ne remet aucunement en cause les politiques nationales. Il n'y a pas de visée d'harmonisation des politiques publiques nationales dans ce domaine.

Ainsi, non explicitement revendiquée comme telle, la politique patrimoniale a été menée par touches successives, sans grande cohérence, il faut l'admettre, et sans beaucoup de lisibilité. Notre rapport parle d'une construction lente et d'une politique pointilliste...

Pour citer quelques exemples de ces initiatives, le Label du Patrimoine européen est parti d'une initiative française, due à Renaud Donnedieu de Vabres, puis intergouvernementale, avant de relever de l'action de l'Union européenne en 2011. Il est décerné par l'Union européenne à des sites témoins de l'héritage européen et choisis pour leur valeur symbolique. À ce jour, 48 sites européens ont été labellisés par l'Union, dont cinq en France : l'abbaye de Cluny, la maison de Robert Schuman en Lorraine, le quartier européen de Strasbourg, l'ancien camp de concentration de Natzweiler et ses camps annexes, et le lieu de mémoire au Chambon-sur-Lignon en Haute-Loire.

Il revient à la présidence française d'en dresser un bilan. Celui-ci est encourageant, puisqu'il s'agit de la mise en oeuvre d'une belle initiative qui suscite de l'enthousiasme et mobilise beaucoup d'énergie. Mais cette initiative reste limitée dans ses moyens et les conséquences concrètes pour les sites sont faibles, car, comme l'a souligné la Cour des comptes européenne, l'octroi de ce label n'implique en soi aucune aide financière.

L'UNESCO, elle, dresse une liste du patrimoine mondial, très ouverte au patrimoine immatériel et qui offre des points de comparaison. Le Conseil de l'Europe joue un rôle fédérateur, avec l'Institut des itinéraires culturels européens, qui accompagne et aide des projets labellisés. Il y a, entre ces labels, des complémentarités et des spécificités qui nécessitent de les relier davantage entre eux, de voir plus grand, d'élargir les perspectives, de les coordonner.

Autre initiative importante, l'année européenne du Patrimoine de 2018 a été un grand succès. À l'issue, un cadre européen d'action en faveur du patrimoine culturel a été élaboré pour forger un référentiel commun.

L'affluence des publics aux manifestations proposées a confirmé les résultats d'une étude publiée par Eurostat en décembre 2017 et posant la question : « comment les Européens perçoivent-ils leur patrimoine culturel ? ». Les chiffres sont édifiants : 84 % des citoyens interrogés convenaient de l'importance du patrimoine ; 88 % estimaient que le patrimoine culturel devait être enseigné dans les écoles, et 51 % des Européens se disaient personnellement impliqués dans le domaine du patrimoine culturel. Enfin, 68 % des Européens interrogés reconnaissaient que le patrimoine pouvait influer sur leur choix de destination de vacances. La crise sanitaire, malheureusement, a considérablement freiné l'élan de cette année exceptionnelle. La fréquentation des sites, leur entretien, les échanges professionnels en ont sévèrement pâti. Pour autant, l'élan n'a pas été brisé, mais il doit être stimulé de nouveau, avec une force redoublée.

La crise environnementale et le défi climatique imposent une prise de conscience de la fragilité de la planète et de la nécessité de travailler à sa durabilité, qu'il s'agisse de la nature, de nos paysages ou de notre patrimoine au sens large. La crise sanitaire a contribué à accélérer cette prise de conscience et a même nourri un mouvement de retour vers les territoires, générant un besoin de proximité, de qualité de vie et d'attention à notre environnement. Au-delà du patrimoine monumental, existe un patrimoine paysager, vernaculaire... C'est dans ce contexte que des politiques favorables au patrimoine au sens large, environnemental comme monumental, matériel comme immatériel, doivent être aujourd'hui menées.

Pour accompagner ce mouvement, de nombreux outils existent. Nous les avons recensés, mais ils sont dispersés et peu lisibles. Parfois, les acteurs eux-mêmes ignorent leur existence ! Le programme Europe Créative, d'abord, est en très forte progression, puisqu'il est doté de 2,44 milliards d'euros pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027, soit 63 % de plus que pour la période 2014-2020. L'Union soutient également la recherche sur le patrimoine par l'intermédiaire du programme Horizon Europe. Les fonds régionaux apportent une contribution très importante, mais dispersée. Le Fonds européen de développement régional (Feder) a aidé, par exemple, à restaurer la baie du Mont Saint-Michel.

Les dépenses en faveur de la culture représentaient, pour la période de programmation 2014-2020, environ 4,7 milliards d'euros, soit 2,3 % du total du Feder. La Cour des comptes européenne a toutefois estimé en 2020 que « les investissements de l'Union dans les sites culturels gagneraient à être mieux ciblés et mieux coordonnés. » Au cours de la période 2010-2017, les montants investis au titre du Feder dans les sites culturels représentèrent plus de 25 % de tous les investissements publics culturels dans environ un tiers des États membres, et plus de 50 % au Portugal et en Grèce. Toutefois, la Cour des comptes européenne relève que les investissements dans les sites culturels ne sont pas considérés comme une priorité du Feder. En effet, celui-ci soutient un autre objectif du traité, la cohésion sociale, économique et territoriale. Nous revendiquons l'ajout explicite du patrimoine : il va de soi, pour nous, qu'il contribue à cette cohésion.

Dans notre pays, ce sont les régions qui sont chargées de ces fonds. Nous saluons et soutenons les efforts importants et croissants qu'elles déploient pour accompagner les projets patrimoniaux depuis qu'elles gèrent ces fonds. Cela nécessite une expertise et une ingénierie complexe, que les élus et les collectivités peuvent apporter, mais aussi des structures dédiées, notamment associatives, comme les Relais Culture Europe, via des conventionnements avec les collectivités et les opérateurs, comme on l'observe, par exemple, dans la région Normandie.

La Commission européenne vient de mettre en ligne un guide interactif de financement, dénommé CulturEU. Nous déplorons toutefois que ce guide ne soit disponible à ce jour qu'en anglais. Les services de la Commission nous ont assuré qu'une traduction était en cours. Nous demandons instamment que ce guide soit traduit intégralement en français pendant la présidence française. Il est significatif - et regrettable - que le montant des fonds disponibles au titre du Feder pour les projets patrimoniaux n'y soit pas mentionné.

Le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et l'axe nommé Leader (Liaison entre actions de développement de l'économie rurale) permettent aussi de soutenir des actions patrimoniales en milieu rural. Des projets de coopération transfrontalière entre les partenaires de différentes collectivités européennes sont également possibles dans le cadre du programme Interreg. Le programme LIFE (instrument financier pour l'environnement et le climat), enfin, est consacré à la lutte contre le changement climatique. Doté d'un budget total de 5,4 milliards d'euros pour la période 2021-2027, il peut également financer des actions en faveur du patrimoine culturel et naturel.

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