Intervention de Hervé Maurey

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 mars 2022 à 9h00
Contrôle budgétaire – situation financière et perspectives de la sncf– communication

Photo de Hervé MaureyHervé Maurey :

rapporteur spécial. – Nos travaux nous ont convaincus que le mode de financement des infrastructures et la performance de SNCF Réseau constituent le nœud gordien de l’équilibre économique de la SNCF et du système ferroviaire.

Le réseau français présente un état de dégradation et de vieillissement inquiétant. Le sursaut intervenu après le rapport alarmant de 2005 sur le dépérissement des infrastructures a laissé place à une stagnation en euros courants autour de 2,7 milliards d’euros et donc, en réalité, à une réduction de l’effort de renouvellement du réseau depuis 2016. Cette réduction est d’autant plus préoccupante que le rapport de 2005 et ses actualisations estimaient le niveau d’investissements nécessaires à au moins 3,5 milliards en euros constants ! C’est cette même trajectoire de renoncement que nous promet le projet de nouveau contrat de performance de SNCF Réseau, puisque la trajectoire des investissements prévus dans la régénération des infrastructures est établie en euros courants et à un niveau bien inférieur à ce que l’ensemble des spécialistes considèrent comme nécessaire. D’autant plus qu’à compter de 2024, 14 petites lignes intègreront le réseau structurant et viendront ainsi en élargir le périmètre. Le projet de contrat de performance assume d’ailleurs explicitement une poursuite de la dégradation du réseau national, en parfaite contradiction avec l’ensemble des engagements pris par ce Gouvernement pour augmenter le report modal et lutter contre le changement climatique. Nous considérons que 1 milliard d’euros d’investissements supplémentaires chaque année pendant dix ans sont nécessaires pour réellement infléchir la tendance à la dégradation de nos infrastructures. À défaut, notre réseau « décrochera » irrémédiablement par rapport à ceux de nos voisins et les engagements du Gouvernement de diminution des émissions de CO2 des transports ne seront pas tenus.

Nous avons été particulièrement étonnés de constater qu’à la différence de nos partenaires européens, il n’existait aujourd’hui ni programmation sérieuse ni financement des projets de modernisation du réseau. Je vous rappelle qu’il existe deux principaux programmes de modernisation. La commande centralisée du réseau (CCR) doit considérablement optimiser la gestion des circulations, en remplaçant les 2 200 postes d’aiguillage actuels par une quinzaine de tours de contrôle ferroviaires. L’archaïsme du système d’aiguillage en France est tel qu’un tiers des 1 500 postes d’aiguillage du réseau structurant sont encore actionnés à la main ! 40 % des 13 000 postes affectés à la gestion des circulations pourraient être économisés, ce qui représente quand même 5 000 postes, ce n’est pas rien ! Le système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS) est quant à lui un système de signalisation européen, interopérable, qui permet d’augmenter la fréquence de circulation des trains et donc la performance du réseau. Cette technologie est notamment cruciale pour le développement du fret ferroviaire mais aussi pour l’ouverture à la concurrence.

Alors que ces programmes doivent permettre des gains de productivité significatifs et sont indispensables pour développer la mobilité ferroviaire, la France accuse un retard considérable promis à se creuser dans des proportions importantes si l’État continue d’ignorer cet enjeu. S’agissant de la CCR, la plupart de nos partenaires ont équipé entre 70 % et 100 % de leur réseau, quand notre calendrier de déploiement doit s’étaler jusqu’en 2040, voire en 2050 ! Pour l’ERTMS, la France a pris des engagements au niveau européen qu’elle ne respectera pas et la Commission européenne nous considère comme l’un des plus mauvais élèves du continent. La France devient un obstacle au développement de l’interopérabilité ferroviaire en Europe. En freinant ainsi le développement d’un espace ferroviaire européen, elle maintient, par la même occasion, l’une des principales barrières à l’entrée du marché français.

La principale explication de ce retard vient du fait que, à la différence de nos partenaires européens, l’État n’a prévu aucun financement pour ces programmes. Actuellement, le gestionnaire d’infrastructure en est réduit à amputer l’enveloppe destinée à la régénération du réseau. Je rappelle que cette enveloppe est déjà très insuffisante. Fixer à la SNCF des objectifs de retour à l’équilibre financier sans intégrer l’enjeu de la modernisation du réseau est un non-sens. À ce titre, le projet de nouveau contrat de performance de SNCF Réseau a plutôt les allures d’un contrat de contre-performance !

Les coûts de déploiement de ces programmes sont élevés, estimés à 15 milliards d’euros pour la CCR et 20 milliards d’euros pour l’ERTMS. Ils doivent néanmoins être relativisés par les gains de performance et les bénéfices socio-économiques qu’ils induiront, jusqu’à 10 milliards d’euros par an si l’enveloppe de régénération du réseau est bien réévaluée en parallèle. Ces programmes ne sont pas envisageables sans un soutien public ambitieux.

La situation financière structurellement dégradée du gestionnaire d’infrastructure reste encore aujourd’hui la principale faiblesse du modèle économique ferroviaire même si la reprise de la dette a allégé le poids de ses frais financiers, qui représentaient 1,3 milliard d’euros. Ce fardeau s’en trouve allégé à condition que la dette ne se reconstitue pas. Le modèle de financement actuel de SNCF Réseau, qui repose essentiellement sur les recettes des péages, est extrêmement vulnérable aux chocs conjoncturels. Sans une subvention exceptionnelle de l’État, attribuée dans le cadre du plan de relance ferroviaire, le programme de régénération des infrastructures n’aurait pas pu être assuré. Toutefois, le plan de relance n’a compensé que les effets du premier confinement. Or les conséquences de la crise sur la circulation des trains et les recettes de SNCF Réseau ne se sont pas limitées à cette seule période. En aucun cas ce déficit ne doit conduire à limiter encore davantage les ambitions de régénération déjà très insuffisantes. Il est nécessaire d’évaluer les pertes occasionnées sur les ressources de SNCF Réseau pour, le cas échéant, prévoir un dispositif destiné à préserver ses capacités d’investissement.

Au cours de nos travaux, nous avons pu constater que l’organisation et le fonctionnement de SNCF Réseau demeuraient empreints d’archaïsmes. Cet opérateur souffre de la comparaison avec ses homologues européens. Sa productivité a stagné depuis vingt ans et, par rapport à la moyenne européenne, trois fois plus d’agents sont nécessaires pour faire circuler un train en France. Les coûts d’entretien, de maintenance et de renouvellement sont également supérieurs aux standards européens. Ainsi, la viabilité de long terme du modèle économique ferroviaire n’est pas atteignable sans une amélioration très significative de la performance de SNCF Réseau. Aujourd’hui, le gestionnaire d’infrastructure s’est concentré sur ses fournisseurs en optimisant sa politique d’achats, mais il n’a toujours pas mis en œuvre de vrais gains de productivité industriels. Nous avons été surpris d’apprendre qu’il ne disposait toujours pas de comptabilité analytique.

Le projet de contrat de performance prévoit un objectif de 1,5 milliard d’euros de gains d’efficience entre 2017 et 2026 contre 1,6 milliard d’euros fixés en 2018. Comme vient de le signaler l’Autorité de régulation des transports (ART), ces objectifs restent insuffisamment documentés et objectivés. Par ailleurs, le moins que l’on puisse dire, c’est que l’État complique largement l’équation en plaçant SNCF Réseau devant des injonctions contradictoires. La première d’entre elles étant d’exiger des gains de performance ambitieux tout en lui refusant toute possibilité de financements pour le programme qui porte les principaux gisements en la matière, à savoir, la commande centralisée du réseau.

Ce dernier exemple illustre l’impasse du modèle de financement actuel de SNCF Réseau, dont l’atteinte des objectifs financiers repose, d’une part, sur des gains de performance très incertains faute de financement de la modernisation du réseau et, d’autre part, sur une trajectoire d’augmentation des péages et sur un rationnement des investissements dans les infrastructures absolument mortifère pour le ferroviaire.

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