Intervention de Stéphane Sautarel

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 mars 2022 à 9h00
Contrôle budgétaire – situation financière et perspectives de la sncf– communication

Photo de Stéphane SautarelStéphane Sautarel :

rapporteur spécial. – Les perspectives financières de la SNCF ainsi que celles du modèle économique du secteur ferroviaire reposent très largement sur le contrat de performance de SNCF Réseau. Le contrat actuel, mort-né, devait être actualisé en 2020. Les négociations se sont éternisées et un projet a été diffusé en fin d’année dernière seulement. Les acteurs sont unanimes pour en dénoncer les insuffisances. Il ne porte absolument aucune vision et aucune ambition stratégiques. Il balaie nombre d’engagements pris par l’État, notamment dans la stratégie nationale pour le développement du fret ferroviaire. Les trajectoires d’investissements dans les infrastructures sont grandement insuffisantes et en complet décalage avec les objectifs de report modal affirmés par le Gouvernement. Par ailleurs, le redressement financier de SNCF Réseau repose sur des trajectoires d’évolution des péages peu réalistes et probablement insoutenables pour les régions qui les dénoncent.

Ses relations financières compliquées avec les régions, l’ouverture à la concurrence et les conséquences de la crise nous amènent à considérer avec la plus grande attention la situation de SNCF Voyageurs. D’autant plus que, dans le modèle actuel, elle est le principal financeur de SNCF Réseau, par les péages, mais aussi par ses résultats qui viennent abonder le fonds de concours dédié au programme de régénération. Pour affronter la crise, SNCF Voyageurs a considérablement réduit ses dépenses d’investissement. Cette décision pourrait déclencher un cercle vicieux susceptible de menacer sa compétitivité. Et pourtant, la situation aurait pu être plus grave si les régions et Île-de-France Mobilités (IDFM) n’avaient pas assumé, presque à elles seules, les conséquences de la crise sur le solde d’exploitation des activités TER et Transilien.

Les perspectives financières de SNCF Voyageurs sont assombries par le poids grandissant des péages, les plus élevés en Europe : 45 % des coûts d’exploitation du TGV avant la crise ! Ce phénomène illustre l’ambivalence des relations financières entre SNCF Réseau et SNCF Voyageurs. La principale ressource de SNCF Réseau, dont l’augmentation dynamique est la condition de son rétablissement financier, devient insoutenable pour SNCF Voyageurs et menace ses perspectives financières. Ce modèle de financement n’est plus soutenable, tout comme la cohabitation des deux sociétés au sein d’un groupe intégré.

Structurellement déficitaire jusqu’en 2021, Fret SNCF connaît une situation et des perspectives très dépendantes des aides que l’État consacre au transport ferroviaire de marchandises. Pour la première fois depuis de très nombreuses années, Fret SNCF a dégagé une marge opérationnelle et un flux de trésorerie d’exploitation positifs en 2021. Cette amélioration est le résultat des efforts de performance réels de la société, notamment en termes de baisse d’effectifs, ainsi que des nouvelles aides accordées par l’État, notamment en faveur des wagons isolés. Cependant, et compte tenu du déséquilibre financier historique de la société, nous attendrons de voir si cette tendance se confirme.

En ce qui concerne la politique d’aménagement ferroviaire du territoire, là aussi le bât blesse. L’État se désengage du financement des petites lignes et les objectifs de renouvellement recommandés par le rapport Philizot ne seront pas tenus. S’agissant des trains d’équilibre du territoire de jour comme de nuit, si, d’un côté, l’État est prompt à annoncer des objectifs ambitieux, de l’autre, les financements ne suivent pas et nous attendons toujours la nouvelle convention.

La « TGV dépendance » du modèle ferroviaire qui, dès avant la crise, ne reposait que sur les seules 50 % de LGV rentables, est aujourd’hui une source de fragilité. Outre « l’accident industriel » lié à la crise, la perte structurelle de la clientèle affaires, peut-être supérieure à 20 %, affectera la profitabilité du TGV. C’est, de l’aveu même de la SNCF, la « tendance post-crise la plus dangereuse ». Dans ce contexte, l’opérateur a décidé d’amplifier sa stratégie visant à miser sur les volumes au détriment des marges. Elle passe notamment par le développement de l’offre Ouigo. Si elle est probablement adaptée à la situation actuelle, cette stratégie n’est pas sans risque et il est dangereux de faire reposer tout l’édifice du ferroviaire en France sur la réussite de ce pari commercial.

Au-delà même de ce sujet de dépendance financière au TGV, le modèle français de financement du réseau, à la différence de nombre de ses partenaires européens, repose très majoritairement sur le gestionnaire d’infrastructure qui doit en couvrir le coût complet et non le seul coût marginal des circulations. Ce modèle induit une lourde pression financière sur SNCF Réseau, mais aussi, et surtout, les péages les plus élevés en Europe. La trajectoire prévisionnelle, prévue dans le projet de contrat de performance, et nécessaire pour équilibrer la situation financière de SNCF Réseau dans le cadre actuel, pourrait ne pas être soutenable pour les régions et/ou être invalidée par l’ART. Ce modèle de financement constitue un frein à l’ouverture à la concurrence et pénalise la compétitivité de la mobilité ferroviaire.

Nous faisons le constat que ce modèle est dans l’impasse et qu’il est nécessaire de le réviser en profondeur. Nous recommandons de s’inspirer des systèmes en vigueur chez nos voisins pour faire évoluer les équilibres financiers entre l’État, les régions et la SNCF, dans la perspective de diminuer les péages et les prix des billets afin de rendre possible un essor véritable du secteur ferroviaire.

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