Intervention de Jean-François Husson

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 mars 2022 à 9h00
Élaboration composition pilotage et mise en œuvre des crédits du plan de relance – Audition de M. Pierre Moscovici premier président de la cour des comptes pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

rapporteur spécial de la mission « Plan de relance ». – Je remercie la Cour des comptes pour ce rapport fourni et détaillé sur un enjeu majeur pour l’action publique : l’accompagnement de notre économie au sortir d’une crise inédite.

Ce plan de relance est d’une ampleur sans précédent : 100 milliards d’euros, c’est environ trois fois plus que le montant engagé en 2009 et 2010. Il a été annoncé en 2020, avec l’objectif d’accroître le PIB de 4 points cumulés sur la période 2020-2025, ce qui correspond à peu près à son coût sur la même période.

L’année dernière, l’effet multiplicateur, de 0,7 à 0,8, ne paraissait pas très élevé, notamment parce qu’un tiers de l’effort prenait la forme d’une baisse des impôts de production pour l’ensemble des entreprises, mais son intérêt économique est indéniable.

S’agissant des autres mesures du plan de relance, vos analyses confirment que nombre d’entre elles ont manqué de ciblage : elles auraient dû être plus sélectives, notamment vers les secteurs qui auraient sans doute pu créer une meilleure dynamique de relance, compte tenu des sommes engagées.

Le plan de relance français est l’un des plus verts de l’Union européenne, avec 50 % des crédits alloués à la transition écologique.

Il a connu une vitesse de décaissement relativement élevée, comme en Allemagne mais contrairement à l’Espagne et l’Italie. Cette rapidité de mise en œuvre a été permise par la reprise pour partie de mesures existantes, comme MaPrimeRenov’, et qui manquaient parfois de financement – je pense notamment au soutien du secteur ferroviaire.

J’ai ainsi une certaine crainte sur la dilution des dépenses.

Les effets d’annonce ont été nombreux, au risque de faire croire que la publication d’un appel à manifestation d’intérêt suffirait à donner de l’activité aux entreprises. En outre, le risque existe d’un manque de sélectivité dans les dépenses financées, avec de possibles effets d’aubaine et une conditionnalité insuffisante.

À cet égard, pensez-vous que certains projets ont bénéficié de crédits de la relance alors qu’ils auraient été réalisés dans le même calendrier sans cette aide publique spécifique ? Vous avez évoqué de tels effets d’aubaine, mais pourriez-vous être plus précis ?

Alors que le plan de relance prévoyait de supprimer 80 000 passoires thermiques en 2021 grâce à MaPrimeRénov’, vous notez que cette prévision a été ramenée à 2 500, un objectif de 20 000 étant fixé pour 2022. Ce recalibrage confirme d’ailleurs les analyses dejà faites par la Cour des comptes en septembre dernier. Le Gouvernement se félicite du nombre de personnes qui souscrivent à ce dispositif et je puis apprécier l’effet d’entraînement de MaPrimeRénov’sur l’activité économique et l’emploi dans le bâtiment, mais je crains que cet effet ne soit bien moindre que l’impact annoncé pour l’amélioration de la performance énergétique des logements, qui est pourtant une nécessité absolue pour les prochaines décennies.

S’agissant du financement européen partiel du plan de relance, un versement de 7,4 milliards d’euros vient en effet d’avoir lieu, après un premier versement de 5,1 milliards d’euros reçu en août dernier. Toutefois, ce financement s’accompagne de contraintes administratives fortes : les versements sont liés à la réalisation de 175 cibles et jalons et à l’atteinte de cibles quantitatives, ce qui me paraît parfaitement fondé mais cela met aussi en jeu un dispositif d’audit et de contrôle parfois relativement lourd pour l’État, et davantage encore pour les organismes et administrations locales peu habitués aux financements européens ou dotés de moindres moyens.

D’une manière générale, pour évaluer une politique économique, il faut en isoler les effets et disposer d’indicateurs dès le début de sa mise en œuvre. Or votre rapport montre que les dispositifs labellisés « relance » ont des points de chevauchement avec certains dispositifs d’urgence, mais aussi avec des dispositifs d’investissement et des dépenses ordinaires des ministères, et même avec le plan France 2030.

En outre, pour certains secteurs, l’effet de relance risque d’être vite dilué dans les effets des nouvelles crise : hausse des prix de l’énergie et difficultés d’approvisionnement que nous connaissons depuis l’an dernier et conséquences de la guerre en Ukraine. Cela va conduire à la mise en place d’un plan de résilience réactivant semble-t-il certaines mesures d’urgence, même si elles pourraient être davantage ciblées.

Dès lors que l’objectif de retour à l’activité économique à son niveau d’avant-crise a été atteint dès la fin de l’année 2021, vous estimez que la mise en œuvre des crédits subsistants devrait désormais donner lieu à une plus forte sélectivité. Qu’entendez-vous par là précisément ? Devrait-on arrêter certains dispositifs pour lesquels subsistent des crédits non utilisés ? Aménager les critères de sélection définis au démarrage du plan ?

S’agissant des indicateurs, vous montrez que le Gouvernement n’a mis en place qu’un outil de suivi limité et loin d’être exhaustif, nommé « Pilote relance ». Voici ce que la Cour des comptes écrivait il y a douze ans, au sujet du plan de relance mis en œuvre à la suite de la crise financière : « Le dispositif de pilotage retenu a privilégié l’efficacité d’exécution sur le système d’informations, ce qui rend complexe l’évaluation du plan de relance ». Rien n’a changé, il semble qu’on apprenne assez peu du passé…

Dans ces conditions, pensez-vous que l’impact spécifique du plan de relance pourra être un jour bien évalué ? Pourra-t-on véritablement tirer les leçons d’un dispositif qui aura mobilisé 100 milliards d’euros ?

Enfin, nous avions souligné l’insuffisante prise en compte de la territorialisation lors de la présentation du plan. Le Gouvernement a quelque peu déconcentré la gestion de certaines mesures.

Vous recommandez de publier au premier semestre de cette année un bilan d’ensemble du déploiement territorial des mesures. Nous ne pouvons que partager cette recommandation, car il faut mieux contrôler la mise en œuvre du plan de relance et, surtout, lui donner de la chair et une réelle visibilité au niveau local. Mais ce bilan d’ensemble peut-il être réalisé, si le suivi local n’est pas assuré dans tous les territoires de la même manière ni avec le même degré de précision ?

Par ailleurs, les collectivités territoriales ont été appelées à cofinancer des mesures, sous des formes très diverses d’un territoire à un autre. De quelle manière pourrait-on dresser un bilan de la participation des collectivités locales au plan de relance ?

En d’autres termes, arrivera-t-on à dresser un bilan consolidé du plan de relance, alors qu’aucune méthode organisée et précise n’a été définie au départ ? Quels seront les critères d’évaluation retenus : niveau d’investissement atteint, plus-value des crédits de relance, amélioration de la compétitivité, effet d’accélération, créations d’emploi ? Je crains que l’on ne rencontre quelques difficultés à obtenir une telle évaluation consolidée au niveau national, tous les territoires ne disposant pas des mêmes outils de suivi. Rien ne serait pire que de constater qu’un territoire a oublié dans la relance des espaces importants – je n’ose préjuger de leur caractère urbain ou rural. Il faudrait aussi examiner quelles filières auront été aidées, au regard des objectifs annoncés.

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