Nous représentons la SDJ du Journal du dimanche qui réunit une cinquantaine de membres sur la soixantaine de cartes de presse du Journal du dimanche, sans compter les nombreux journalistes pigistes qui signent dans nos colonnes plus ou moins régulièrement. Notre rôle, tel qu'il est défini dans notre charte déontologique adoptée en CSE en 2020, est de veiller au respect de l'indépendance journalistique de la publication face aux pressions de tout ordre, de faire entendre le point de vue des journalistes sur tous les problèmes touchant à la rédaction et à la politique éditoriale.
Il nous semblait important de répondre à votre convocation car la défiance à l'égard de la presse ne cesse de croître. Des journalistes sont pris à partie physiquement dans des meetings politiques. Nous sommes notamment interpellés à propos de nos actionnaires auxquels nous sommes soupçonnés d'être inféodés. Il nous semble important de participer à cette audition et pourtant nous avons hésité, pour plusieurs raisons. D'une part, l'OPA de Vivendi sur le groupe Lagardère est imminente mais elle n'est pas encore consommée. Nous sommes en pleine transition et les lignes ne sont pas encore claires. D'autre part, répondre à vos questions nous expose puisque les représentants des SDJ sont des journalistes comme les autres, ni plus ni moins protégés. Nous souhaitons néanmoins essayer de vous éclairer sur quelques points à commencer par l'exercice de notre profession dans un groupe comme Lagardère News.
Le Journal du dimanche a été créé en 1948 et a été racheté par Jean-Luc Lagardère en 1980 pour devenir l'un des titres majeurs du groupe Hachette Filipacchi Médias. À sa mort en 2003, son fils Arnaud a repris les rênes et à recentrer le groupe vers l'édition et le travel retail en se séparant progressivement de la plupart de ses titres de presse. Le Journal du dimanche a connu des mutations importantes qui ont entraîné, comme dans la plupart des autres journaux, une baisse des ventes au numéro avec l'irruption du numérique et la fin du quasi-monopole dominical du Journal du dimanche avec l'arrivée des éditions du dimanche de L'Équipe, du Parisien et de à la presse régionale. Enfin, l'effondrement du nombre de points de vente a un impact particulièrement fort sur le Journal du dimanche qui compte peu d'abonnés et dont la fenêtre de diffusion est très étroite, seulement quelques heures le dimanche matin.
Ce contexte économique tendu a eu plusieurs conséquences dont le poids croissant pris par la publicité dans les rédactions, la précarisation du métier de journaliste qui s'est accélérée et peut accentuer les pressions auxquelles les salariés et les pigistes sont exposés. Les effectifs du Journal du dimanche ont été drastiquement réduits par deux plans de départs volontaires en 2014 et en 2017. Aujourd'hui, la taille relativement modeste de notre rédaction nous rend plus vulnérables. À titre d'exemple, Le Monde compte près de 500 journalistes.
Le Journal du dimanche conserve toutefois l'image d'un journal d'influence, notamment dans les milieux économiques et politiques. Malgré l'érosion des ventes, la force de frappe du titre, sa capacité à sortir des informations exclusives et son côté prescripteur c'est-à-dire le nombre important d'informations reprises dans les autres médias restent intacts.
Vous vous interrogez sur la façon dont s'exercent concrètement les pressions sur la rédaction. En tant que SDJ, représentant les journalistes « de base », nous ne pouvons pas vous dire ce qui se joue en termes de pression exercée au niveau de la direction. Nous ne sommes pas les témoins directs de ces échanges avec l'actionnaire, ni de ceux entre la direction et les rédacteurs en chef qui ne sont pas membres de la SDJ, c'est une particularité du Journal du dimanche. L'idée que l'actionnaire appelle directement les journalistes pour commander tel ou tel sujet ou leur dire ce qu'ils doivent écrire relève du fantasme. Des pressions peuvent exister, elles sont économiques, politiques, publicitaires mais elles s'exercent sans doute de manière plus insidieuse. Nous ne sommes pas non plus à l'abri de l'autocensure. Les seules interventions visibles dans lesquelles nous pouvons percevoir la marque de l'actionnaire sont les changements de direction. Depuis plus de 40 ans, le Journal du dimanche n'a connu qu'un seul actionnaire principal, le groupe Hachette devenu Lagardère. En 25 ans, 9 directeurs se sont succédé à la tête de notre rédaction et ces trois derniers mois, deux changements sont déjà intervenus. Le 26 octobre dernier, Hervé Gattegno a été remplacé par Jérôme Bellay qui a cédé sa place sa place à Jérôme Béglé le 20 janvier.
Le choix d'un directeur n'est pas anodin puisqu'il est en première ligne face à l'actionnaire. Il peut faire écran à d'éventuelles pressions ou à l'inverse si montrer poreux. Face à des situations qu'elles jugent problématique, la SDJ peut choisir de se manifester publiquement à travers des communiqués. C'est arrivé par exemple en 2007 à l'occasion du non-vote de Cécilia Sarkozy au second tour de l'élection présidentielle. L'article avait alors été censuré un samedi soir alors qu'il était en page. La SDJ peut aussi solliciter des explications en interne. Ces dernières années, elle s'est inquiétée auprès de la direction de la saturation de la parole gouvernementale dans nos colonnes ou du traitement jugé parfois peu distancié de l'affaire du présumé financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, par ailleurs membre du Conseil d'administration du groupe Lagardère depuis 2020. Elle peut enfin soutenir d'autres SDJ sur des questions touchant l'ensemble de la profession ou d'autres rédactions, comme celle de Paris Match.
Notre dernière manifestation publique a été le communiqué que nous avons publié il y a moins d'un mois après le énième changement à la tête du journal, pour lequel nous n'avons reçu, à ce jour, aucune explication à ce jour et qui est intervenu à quelques semaines de l'élection présidentielle et en plein OPA.