Intervention de Bertrand Greco

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 14 février 2022 à 15h30
Audition de Mme Vanessa Boy-landry journaliste à paris match Mme Juliette deMey et M. Bertrand Greco reporters au journal du dimanche et M. Olivier Samain ancien journaliste à europe 1 et ancien délégué du syndicat national des journalistes d'europe 1

Bertrand Greco, coprésident de la SDJ du Journal du dimanche :

Dans le dernier communiqué auquel faisait référence Juliette, nous disions notre inquiétude face à l'éventuel rapprochement de notre rédaction avec CNews, chaîne du groupe Bolloré, à la faveur de l'OPA de Vivendi sur Lagardère. Nous exprimions également nos craintes et notre vigilance dans un contexte de reprise en main brutale d'Europe 1 et notre attachement à la ligne éditoriale du Journal du dimanche et à son indépendance. Notre journal n'a jamais été un média d'opinion et nous pensons qu'il se mettrait gravement en danger s'il le devenait.

Une autre crainte nous anime sur d'éventuelles synergies avec d'autres médias du groupe. Nous croyons que chaque titre, terme que nous préférons à celui de marque, doit garder son identité propre. La spécificité du Journal du dimanche et de sa ligne éditoriale ne sont pas interchangeables avec celles d'Europe 1 et de CNews, comme ses journalistes.

Les interventions, plusieurs fois par semaine, de notre nouveau directeur Jérôme Béglé à l'antenne de CNews dans des émissions de débat ne sont pas de nature à nous rassurer. Nous avons soulevé ce point avec lui dès son arrivée. Nous appréhendons plus largement une raréfaction du pluralisme de l'information, découlant d'un fonctionnement qui se ferait en vase clos et de la possibilité de voir le même événement, la sortie d'un livre par exemple, traité à l'identique sous forme de package dans les différents médias du groupe, un groupe industriel dont les intérêts économiques se déploient aussi dans l'édition, le transport ou la logistique. Nous pouvons nous demander si des sujets seront interdits.

Enfin, notre inquiétude porte sur l'emploi. Nous avons vu des départs massifs et douloureux chez nos confrères de Canal Plus, d'itélé et plus récemment d'Europe 1. Nous relevons que depuis plusieurs mois, il n'existe plus de société des rédacteurs à Europe 1, ce qui nous semble assez emblématique.

Cependant, depuis la montée en puissance de Vincent Bolloré au capital du groupe Lagardère, nous n'avons, à ce jour, pas constaté de changements manifestes au sein du Journal du dimanche en dehors de ceux qui ont été évoqués à la direction du journal ou de l'apparition récente de nouvelles signatures. Nous restons néanmoins en alerte sur le risque de banalisation des valeurs d'extrême droite dans nos colonnes.

Pour terminer, nous avons listé quelques préconisations pour tenter de préserver la sérénité des journalistes et l'indépendance des médias dans ce contexte de concentration :

- il serait judicieux de créer un statut juridique pour les rédactions. Les entreprises de presse ne sont pas des entreprises comme les autres, le rôle des médias est central dans une démocratie. L'exemple du fonctionnement du Monde nous paraît intéressant et il est pertinent que la rédaction puisse valider le choix de son directeur sur la base d'un projet éditorial ;

- il serait utile de mieux faire connaître et respecter les chartes de déontologie dont tous les journaux sont censés être dotés depuis la loi sur la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias de 2016 ;

- nous préconisons la création d'une instance déontologique propre à chaque rédaction qui accueillerait des personnes extérieures et qui pourrait pointer de potentiels conflits d'intérêts, d'éventuelles pressions et autres dérives liées au contenu du journal ;

- nous soumettrons également à votre réflexion la création d'un défenseur des droits des journalistes ;

- enfin, nous proposons la création d'un statut protecteur pour les sociétés des journalistes et leurs représentants. En effet, comme Juliette l'a souligné, à la différence des élus syndicaux, les membres du bureau des SDJ ne bénéficient d'aucune protection juridique. Nous avons pu constater ces dernières années que le rôle, le fonctionnement voire les statuts d'une SDJ pouvaient être attaqués dans certaines circonstances par la direction. Cela nous semble inacceptable dans une période où son rôle de vigie sera crucial.

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