Intervention de Vanessa Boy-Landry

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 14 février 2022 à 15h30
Audition de Mme Vanessa Boy-landry journaliste à paris match Mme Juliette deMey et M. Bertrand Greco reporters au journal du dimanche et M. Olivier Samain ancien journaliste à europe 1 et ancien délégué du syndicat national des journalistes d'europe 1

Vanessa Boy-Landry, présidente de la SDJ de Paris Match :

Je vous remercie de me permettre d'exposer devant vous l'expérience qui est la mienne en tant que journaliste à Paris Match, journal du groupe Lagardère. J'y travaille depuis 20 ans en tant que journaliste société/santé et je suis présidente de la SDJ depuis deux ans, récemment réélue.

Notre SDJ a été créée en mars 1999, à l'époque de Roger Thérond, l'ancien directeur emblématique de Paris Match. Lors de sa création, elle s'est donnée pour mission de veiller au maintien des traditions de qualité, d'indépendance et de liberté de Paris Match ainsi qu'au respect de son identité, issue d'une histoire longue de plus de 70 ans qui inclut désormais le numérique.

Paris Match c'est l'album de famille des Français, on y raconte l'histoire contemporaine à travers des hommes et des femmes, des photos et des textes. C'est « le poids des mots, le choc des photos » avec un savant mélange chaque semaine de sujets glamour, d'enquêtes, de reportages, de récits et d'interviews.

Depuis cette création notre SDJ est intervenu avec force et publiquement au cours de deux épisodes. Le premier, en juin 2006, pour l'éviction de notre directeur de la rédaction Alain Genestar, après une couverture parue en août 2005 présentant Cécilia Sarkozy et son nouveau compagnon. Alain Genestar a été démis de ses fonctions par la direction du groupe Lagardère. Nous nous y sommes opposés publiquement au nom de l'indépendance de la rédaction et de la liberté éditoriale de Paris Match. Pour la première fois de son histoire, le journal s'est mis en grève mais, malgré notre intervention, Alain Genestar a été remercié.

Le second temps fort de notre SDJ est plus récent. Il s'agissait, au cours des deux dernières années de préserver l'identité de notre journal. En octobre 2019, Arnaud Lagardère a nommé comme directeur de la rédaction Hervé Gattegno dont le projet bousculait les fondamentaux de Paris Match, notamment avec chaque semaine l'introduction d'un éditorial, donc une prise de position du journal, signé par la direction. Paris Match est devenu plus politique, plus polémique. À la suite d'un éditorial commentant une décision de justice concernant Nicolas Sarkozy, membre du conseil de surveillance puis du conseil d'administration du groupe Lagardère, la SDJ s'est désolidarisée publiquement de son directeur. En effet, dans son éditorial, il critiquait le fonctionnement de la justice et qualifiait de peine infamante le jugement visant l'ancien président de la République. Les membres de la SDJ, quasi unanimes, ont considéré que cette prise de position portait atteinte à notre journal et à sa rédaction.

Notre SDJ a aussi des échanges réguliers avec la rédaction, la direction du journal auprès de laquelle elle remonte les interrogations et les remarques des rédactions print et numérique. Nous menons également une réflexion collective avec les autres SDJ. Il nous est arrivé plusieurs fois de soutenir des confrères, de nous positionner publiquement pour défendre la liberté d'informer, notamment au moment de la sécurité de la loi sur la sécurité globale.

Garantir l'indépendance des journalistes des médias détenus par des groupes dont les enjeux sont industriels est une question majeure qui nous concerne. Le groupe Lagardère a et a eu de multiples activités. Il a détenu une quarantaine de titres, plusieurs radios des maisons de production, un groupe d'édition, il a même vendu des missiles et a été un acteur important dans l'aéronautique avec EADS. Démantelé au fil des années, le groupe est aujourd'hui recentré sur le retail avec ses fameuses boutiques dans les gares et les aéroports, l'édition et les médias. Si demain l'OPA de Vivendi est effective, nous serons collectivement très attentifs à ce que l'identité des titres, leur savoir-faire et leur indépendance éditoriale soient préservés. Il en va de la qualité de l'information délivrée et de son pluralisme.

Nous avons à coeur de défendre l'exercice de notre métier. Être journaliste, c'est délivrer une information vérifiée, honnête et pluraliste mais nous manquons de protection. La démocratie dans laquelle nous vivons porte cette responsabilité, celle de créer un système de règles, un mode de fonctionnement qui garantissent l'indépendance des journalistes, l'absence de conflits d'intérêts et le respect de règles éthiques.

La rédaction de Paris Match et ses confrères des autres SDJ réfléchissent à des pistes qui pourraient être des garde-fous, peut-être de nature à inspirer une évolution de la législation sur les médias. Une existence juridique pourrait ainsi être accordée aux rédactions. En effet, celles-ci sont aujourd'hui représentées par les SDJ dont le rôle n'est pas garanti par la loi, qui n'ont aucune existence légale si ce n'est le statut d'association de la loi 1901. Les SDJ pourraient être dotées d'une personnalité juridique, pour que les rédactions soient des personnes morales face à l'actionnaire et qu'elles disposent de droits, comme celui de valider la nomination d'une directrice ou d'un directeur de la rédaction proposée par l'actionnaire, avec pourquoi pas la possibilité d'un droit de veto sur une éventuelle révocation décidée par l'actionnaire.

Dans le prolongement de la loi du 14 novembre 2016 qui prévoit la rédaction d'une charte de déontologie dans les médias d'informations générales et politiques, la constitution d'un comité d'éthique pourrait être rendue obligatoire dans les titres de presse. Pour faire vivre sa charte de déontologie, une rédaction pourrait s'appuyer sur un comité composé de membres de la SDJ, de la direction et d'administrateurs dont l'indépendance est garantie.

Enfin, je rejoins mes confrères sur ce point, il serait souhaitable que les représentants des SDJ qui s'exposent en prenant la parole au nom de tous puissent bénéficier d'un statut de salarié protégé et d'heures de délégation au même titre que les représentants du personnel, non seulement pour les protéger de discriminations ou de sanctions arbitraires, mais aussi pour éviter l'écueil, dans les enjeux importants que nous connaissons, de voir les SDJ s'affaiblir, voire disparaître faute de candidatures. C'est une réalité que nous constatons déjà.

Ce qui se joue aujourd'hui dans nos débats est un enjeu de démocratie. L'image des journalistes est profondément dégradée, certains d'entre nous sont violentés, notre crédibilité est remise en cause par nos lecteurs, nos auditeurs, nos téléspectateurs, par les citoyens dans leur ensemble, qui suspectent une connivence entre la presse, les journalistes et les élites qu'elles soient politiques ou économiques.

Au sein de la rédaction de Paris Match et notamment au sein de la SDJ, nous souhaitons vous faire prendre conscience, Mesdames et Messieurs les sénateurs, mais aussi aux actionnaires présents et futurs, que la crédibilité de leurs journalistes et donc de leurs titres est un bien très précieux, une richesse qui n'a pas de prix. C'est la seule sur laquelle on doit s'appuyer lorsqu'on décide, groupe industriel ou pas, de faire de l'information.

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