Intervention de Xavier Niel

Commission d'enquête Concentration dans les médias — Réunion du 18 février 2022 à 9h30
Audition de M. Xavier Niel fondateur et actionnaire du groupe iliad

Xavier Niel, fondateur et actionnaire du groupe Iliad :

J'ai aujourd'hui quatre grandes activités qui vivent chacune de manière indépendante et qui sont chacune en croissance.

La première est celle des télécommunications. J'ai créé mon premier opérateur de télécommunications il y a 35 ans. J'avais tout juste 18 ans. Je suis originaire d'une ville qui s'appelle Créteil, en banlieue parisienne. Je viens d'une famille moyenne française. J'ai eu la chance de faire partie des premiers à s'intéresser à la numérisation et à la mise en ligne des choses. Cette activité a grossi avec de nombreux partenariats. Je contrôle aujourd'hui une petite vingtaine d'opérateurs de télécommunications dans le monde, avec toujours une volonté d'expansion. Il y a quelques mois, nous avons racheté le plus grand opérateur de Pologne. Nous continuons de nous développer dans tous ces territoires car le marché français est un marché sur lequel croître ou gagner significativement des parts de marché est difficile. Nous allons donc au-delà de nos frontières, plutôt en Europe. Nous nous développons aussi aux États-Unis et ailleurs.

J'ai une deuxième activité qui est l'immobilier. Pendant longtemps, le sujet des nouvelles technologies semblait un secteur présentant des problèmes et l'argent que j'ai pu gagner dans les télécommunications, au début, a été réinvesti dans l'immobilier. A ce titre, nous avons créé plusieurs foncières et avons financé de nombreux entrepreneurs, jusqu'à prendre une participation d'un peu plus de 20 %, au début du confinement, dans le groupe Unibail Rodamco Westfield. Nous continuons de développer cette activité en achetant régulièrement des actifs. Encore une fois, le marché français est significatif. Le marché parisien est lui-même significatif et assez grand. Nous avons donc énormément de travail et de potentiel de développement. Nous nous y attelons, et commençons aussi à sortir de ces frontières.

La troisième activité est également indépendante. Ce ne sont pas des groupes de sociétés qui appartiennent à une holding : ce sont réellement des activités indépendantes, avec des dirigeants différents et des actionnariats généralement différents. J'ai eu la chance, au travers de l'entrepreneuriat, à partir de 17, 18 ou 19 ans, de réussir au moins financièrement ma vie. A partir de ce moment-là, n'était-il pas logique de se demander comment je pouvais aider d'autres à avoir cette même chance et pousser d'autres personnes vers l'entrepreneuriat ? J'ai ainsi commencé à financer des start-ups, il y a 25 ou 30 ans. Nous avons ensuite estimé qu'il fallait aider notre écosystème français, alors que nous avions débuté par l'international. L'écosystème des start-ups françaises était faible. Aujourd'hui, nous finançons essentiellement des start-ups françaises. Nous finançons 100 à 150 start-ups chaque année en France dans tous les secteurs. Pour continuer d'aider cet écosystème, nous avons notamment décidé de la création de l'Ecole 42, école gratuite, à Paris, qui accueille 4 000 élèves. Je crois que nous avons aujourd'hui 40 à 45 écoles dans le monde, sur le même modèle. J'espère que nous allons en ouvrir quelques dizaines cette année. C'est le modèle d'une école gratuite, ouverte à tous, dans laquelle on ne pose pas de questions sur le passé de nos étudiants. Nous leur apprenons un métier et si vous sortez de cette école à Paris, vous avez une rémunération, y compris si vous avez 40 à 50 ans. Si vous avez décroché de l'école à 14 ans, on vous apprend ce métier des nouvelles technologies, à faire du code informatique. Après, vous avez une demande incroyable. Il y a peut-être 30 demandes de stage par élève pour les élèves de ces écoles, ce qui veut dire la garantie certaine d'un emploi bien rémunéré.

Avec la même idée d'aider l'entrepreneuriat, nous avons lancé une autre initiative, Station F, à Paris, qui n'est pas destinée à être rentable. Il s'agit du plus grand incubateur du monde, fondé sur la même idée : comment pousser des jeunes vers l'entrepreneuriat ? Nous accueillons physiquement un millier de start-ups chaque année dans ce lieu. Nous continuons d'essayer de développer le lieu avec de nouvelles surfaces autour. Nous nous sommes rendu compte qu'il se posait un problème de logement et avons ajouté des immeubles, autour, dans lesquels se trouvent 600 logements.

La quatrième activité a trait à la presse et plus généralement à la communication audiovisuelle. Dans cette activité, j'ai créé mon premier journal à l'âge de 20 ans. Ce n'était donc pas il y a vingt ans mais il y a un peu plus longtemps. Depuis cette date, j'ai toujours été éditeur de journaux. J'ai financé un grand nombre d'initiatives qui ont existé, dont celles qu'on me reproche parfois. Ce sont des journaux qui vont, politiquement, de l'extrême gauche à l'extrême droite. Mon avis politique ne compte pas : je souhaite que ces journaux soient indépendants, car c'est une condition de leur développement. Je les ai financés avec ce principe, sans les contrôler. Puis est arrivée à partir des années 2 000 l'histoire du Monde. Le Monde était vu comme étant en difficulté, avec un risque potentiel d'une prise de contrôle, complexe, soufflée par l'État. Matthieu Pigasse est venu me voir en me disant « il faut qu'on fasse quelque chose ». Nous sommes allés voir Pierre Bergé, qui nous a dit « je fais cela avec vous ». Nous avons alors pris le contrôle du Monde, qui était en difficulté. Par la suite, j'ai continué dans un certain nombre de médias que vous avez cités.

Lorsque nous sommes arrivés, Le Monde vendait moins de 300 000 exemplaires. Aujourd'hui, il vend 500 000 exemplaires. En dix ans, nous avons porté sa diffusion à des niveaux jamais atteints dans son histoire. En 2010, il comptait 300 journalistes. Aujourd'hui, il a 500 journalistes. Notre idée de départ était simple : si vous achetez un journal, que vous voyez les difficultés et que vous vous séparez d'un certain nombre de journalistes, vous allez moins vendre, ce qui va vous obliger à vous séparer de nouveau d'un certain nombre de journalistes et ainsi de suite. Notre pari, avec Matthieu et Pierre, a donc consisté à faire l'inverse : augmentons le budget alloué aux rédactions de façon à permettre au journal de bien fonctionner. Garantissons aux journalistes un cadre qui leur permettra d'écrire ce qu'ils veulent et cantonnons-nous à l'économie. En d'autres termes, confiez-nous la gestion économique et prenez la gestion éditoriale. Ce partenariat a été conclu avec une entité (le pôle d'indépendance, dont nous reparlerons sûrement) et a plutôt bien fonctionné. Lorsque nous sommes arrivés en 2010, le groupe Le Monde perdait 32 millions d'euros. Je crois qu'en 2021, il a dégagé une marge d'EBITDA de 22 millions d'euros. Nous avons donc complètement changé la donne.

Il y a un dernier sujet dont vous n'avez pas parlé : avec Matthieu Pigasse et Pierre-Antoine Capton, un brillant producteur, nous nous sommes associés pour créer la société Mediawan autour d'un concept assez simple : tout repose sur la créativité. Le moteur de la réussite économique d'une société de production repose sur la créativité. Cela permet d'avoir un impact sur le rayonnement de la France si nous sommes capables de créer des producteurs. Cette créativité vient du cerveau des hommes. Nous avons donc essayé d'agréger dans une entité un grand nombre de producteurs indépendants, qui étaient généralement petits, avaient de mauvaises conditions de distribution. Nous les avons aidés à porter leurs projets dans la durée, à financer ces projets et à acquérir des droits d'adaptation pour peser face aux gros acteurs du marché. Evidemment, quand vous êtes un petit producteur et que vous allez voir TF1 ou Netflix, ces acteurs savent que vous êtes dépendant d'eux, ce qui réduit votre capacité de négociation. Mediawan est devenu un des trois leaders européens. La production marche incroyablement bien en France. Nous sommes en train de produire des leaders européens et des leaders mondiaux, bien que notre part de marché reste extrêmement modeste. Nous avons acquis environ 70 sociétés en Europe mais la part de marché de Mediawan reste faible. Je crois qu'une personne que vous avez entendue disait qu'il existait 4 000 petits producteurs en France. Excusez-moi d'avoir été un peu long. Je suis prêt à répondre à vos questions.

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