Intervention de François Sauvadet

Délégation aux Collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 17 février 2022 à 9h00
Audition de M. François Sauvadet président de l'assemblée des départements de france adf

François Sauvadet, président de l'Assemblée des Départements de France (ADF) :

Le Sénat est à l'origine de nombreuses avancées dans la loi 3DS, auxquelles nous avons préféré participer en travaillant avec vous, plutôt que de récuser l'ensemble du texte, bien qu'il ne soit pas le grand texte de simplification et d'efficacité de l'action publique que nous attendions. Les améliorations ont concerné plusieurs thèmes : les gestionnaires de collèges, les routes, l'habitat inclusif, un sujet qui va prendre de l'importance avec le vieillissement de la population. Rendez-vous compte qu'avec la loi NOTRe, alors que nous gérons les laboratoires départementaux qui garantissent la sécurité sanitaire de nos élevages, nous ne pouvions plus intervenir dans les groupements de défense sanitaire (GDS) ! Il y avait une incompréhension aussi avec les régions qui revendiquaient la présidence de l'ARS, et nous, qui sommes responsables du médico-social, n'avions même pas un strapontin dans la nouvelle organisation de la gestion des ARS. Heureusement, le gouvernement a compris qu'il nous fallait au minimum une vice-présidence. Cela dit, en raison de ses avancées, je me réjouis que cette loi insatisfaisante ait tout de même été votée.

Quel que soit le futur président de la République, un sujet essentiel va se poser : comment s'organiser pour mieux agir pour les Français et mettre fin à l'incompréhension sur notre capacité à agir ? Ma conviction profonde est que le nombre de nos maires est une chance pour la France. Dans ma circonscription, qui compte pratiquement 350 communes et qui fait la moitié d'un département, lui-même 4ème département français par la superficie, j'ai pu mesurer la chance d'avoir ces relais locaux pendant la crise des gilets jaunes, puis la crise sanitaire. A cet égard, on n'échappera pas à la nécessité de revoir le socle de compétences. Les citoyens ont le sentiment que leur vote, même local, n'a aucun impact sur leur vie. Ce problème démocratique français pose directement la question de l'efficacité de l'action publique

Quand j'ai été élu président des départements de France, nous avons mobilisé l'ensemble des conseillers et conseillères départementaux en organisant des Assises, pour mettre en valeur cette force territoriale qui a été redécouverte à l'aune des crises successives. Plus on éloigne le pouvoir de décision de nos compatriotes, puis on fragilise la démocratie. Le maire et le président des départements de France sont « à portée de baffe », et ce contact avec le peuple nous permet de savoir ce qu'il attend de nous. Aujourd'hui, nous avons besoin d'une clarification des chefs de file. Il en faut un et un seul, avec, autour, une périphérie à 360° qui intègre toutes les problématiques, avec tous les intervenants. L'idée qu'on va dédier une compétence avec un financement et que ce problème sera réglé pour la France est révolue. Il faut revoir les lois NOTRe et MAPTAM.

Regardez les transports scolaires. Sur le papier, tout est beau : à la région, la mobilité ; aux communautés de communes, quelques compétences ; aux départements, la carte scolaire. Concrètement, j'essaye, dans mon département, de maintenir les collèges territoriaux. J'organise une carte scolaire avec les maires, et puis j'appelle le président de région : « Allô, monsieur, madame la présidente de région, comment fait-on pour le transport scolaires ? « On ne finance pas ! », répond la région. Que peuvent y comprendre nos compatriotes ? « Mettez-vous d'accord ! », nous demandent-ils avec raison. Mais que pouvons-nous faire ? Autre sujet, les EHPAD. Un livre vient de paraître et on vient nous voir pour nous demander ce que nous faisons. Mais nous n'avons pas la main sur les EHPAD ! Qui sait que les contrôles sont diligentés par l'agence régionale de santé (ARS) ? Et où était l'ARS pendant la crise du covid ? A maintes reprises, je les ai sollicités pour aller faire des contrôles sur la situation dans les EHPAD : il n'y avait personne ! La protection des enfants est du ressort du juge. Comment fait-on lorsque nous lui signalons une victime de faits de prostitution et qu'il déclare les faits non constitués ? J'ai connu dans mon CHU de Dijon des faits de violence en pédopsychiatrie, le personnel s'est mis en déport et le service a été fermé. Que fait-on des jeunes ? La réponse aux problèmes psychiatriques n'est pas rendez-vous, donc l'État vient nous dire « il faudrait recentraliser », comme si les recettes d'antan étaient la réponse aux problématiques territoriales. On se refuse à mettre à plat les problèmes qui se posent à la société française, voilà ma conviction profonde. Il faudra bien, pourtant, répondre aux attentes des Français. Nous avons besoin de chefs de file clairement identifiés. Je veux des chefs de file de l'action médico-sociale, je veux rendre des comptes et que l'État vienne contrôler, parce qu'à force de diluer les responsabilités et de chercher des boucs émissaires partout, on finit par donner le sentiment d'une impuissance publique. C'est mortifère pour la démocratie, parce que les gens ont le sentiment que nous ne sommes pas capables de nous mettre d'accord, alors que la question est celle d'avoir des chefs de file, qui soient en situation de prendre leurs responsabilités. Ce débat-là, mesdames et messieurs les sénateurs, est devant nous. Il faudra l'aborder, non pas simplement sous l'angle des compétences qu'on doit partager. Sur les grands cantons, l'idée de faire grand pour faire plus efficace est une idée mortifère et folle qui n'est plus actuelle. Au contraire, il faut réinventer la proximité, et, au-delà des questions de compétences, s'interroger sur l'exercice des responsabilités. Nous avons un travail de fond à faire. J'en ai parlé avec la présidente des régions, Carole Delga. « L'économie, c'est nous », clame-telle. Qu'est-ce à dire pour le maire de Marigny-le-Cahouët quand il est confronté à des problèmes d'immobilier local ? Les communautés de communes en milieu rural étant exsangues financièrement, on dit qu'on va créer un lien avec la région. Mais ce qui vaut pour Aix-Marseille ne vaut pas pour la communauté de communes de Semur-en-Auxois !

J'entends également dire qu'en ce moment les départements se portent bien financièrement. Permettez que je pèse mes mots : la situation est explosive ! Les droits de mutation qui sont une de leur ressource très importante ont certes augmenté avec l'exode urbain, chez moi de 30 %, mais ce trend ne durera pas, il suffit de regarder les cycles. Dans mon département, les droits de mutation, qui représentent aujourd'hui 100 millions d'euros, sont descendus à 35 millions pendant la crise de 2008. Pour faire face à mon budget de 680 millions, j'ai besoin de 45 à 50 millions d'euros sur ces droits, ou alors, je dois diminuer l'aide aux communes. Or, les départements sont le premier financeurs des communes et des territoires -patrimoine, routes...-. Nos dépenses sont exponentielles, le gouvernement nous met sous tutelle. Chaque fois qu'il y a un problème, il nous dit : « Je suis là, je vous dis ce qu'il faut faire, je vous donne 3 francs 6 sous, et puis c'est vous qui allez payer durablement les additions ». On nous dit que la France va mieux, c'est vrai pour le taux de croissance mais c'est un taux de rattrapage, c'est faux en termes de déficit public, sans compter que le « quoi qu'il en coûte » coûtera, surtout si les taux d'intérêt remontent. Or, nous n'avons plus de marge de manoeuvre. En 2008, quand les droits de mutation sont tombés à 35 millions, nous avions quand même le levier fiscal. Sans ce levier, comment ferons-nous demain si nous devons faire face à une déprime ? Quand j'entends dire qu'il y a de l'argent dans les départements, dont le train de dépenses va en augmentant, je crains le pire. L'actualité fait que nous sommes à la veille de la conférence des métiers du social. Le Ségur de la santé a fait beaucoup d'oubliés et généré de l'incompréhension dans les métiers du social. Dans mon département, j'ai 400 postes vacants dans le métier du social, et je ne les trouve pas ! Il n'y a plus personne pour les services publics de l'enfance, le maintien à domicile, les EHPAD. Nous n'avons pas du tout été associés au Ségur de la santé, qui, d'ailleurs, n'a fait qu'aggraver la situation. Je suis extrêmement critique à l'égard du ministre de la Santé et de cette structuration des ARS avec des sortes de préfets de santé qui se prennent pour des pro-consuls sanitaires.

Nous avons un objectif commun, qui était d'ailleurs le thème de nos assises : « Comment mieux agir pour les Français ? » Quel est le bon périmètre d'action ? Vous avez parlé de la déconcentration. L'État a tendance à considérer les départements comme des services extérieurs de l'État. Il a bien compris une chose, c'est que l'échelon départemental est le bon échelon pour agir. L'échelon territorial sera donc renforcé, vous avez vu qu'aujourd'hui les préfets sont mis à toutes les sauces : dans le domaine de l'eau, ils vont émettre un avis au sein des comités de bassin, qui sont très critiqués, ce qui est d'ailleurs, j'attire votre attention là- dessus, un vrai problème. J'ai présidé un comité de bassin en Normandie pendant quelques années, je peux vous dire qu'ils sont très utiles et que le jour où les élus locaux, les professionnels agriculteurs, etc. ne seront plus impliqués dans les politiques de l'eau, je n'ose pas imaginer ce qui se passera avec un ministère de l'Écologie et quelques hauts fonctionnaires formatés, avec tout le respect que je leur dois, dont le rythme n'est pas tout à fait celui souhaité par les élus locaux, c'est-à-dire un rythme compatible avec la réalité du terrain.

Cette déconcentration était nécessaire, je l'ai souhaitée quand j'étais ministre de la fonction publique, mais en même temps, il ne faudra pas qu'on considère que les départements sont devenus des services extérieurs de l'État, parce que l'idée, c'est ça. Je pense profondément qu'un certain nombre de hauts fonctionnaires français n'ont pas renoncé à l'idée de la suppression des départements, et cela serait un véritable drame. Non pas que je sois départementaliste : j'ai été à la région, et j'ai assez de recul maintenant. Prenons seulement garde à bien conserver nos départements comme structures d'action. Je ne dis pas cela pour préserver des boutiques, mais je pense qu'il y a une identité, une agilité de l'action publique dans les départements grâce à nos services qui sont partout présents - nos services routiers dans tous les cantons, nos assistantes sociales, nos collèges, etc.-. D'ailleurs, quand les régions ont commandé des masques à tout va, d'un seul coup on s'est demandé : comment va-t-on distribuer ces masques ? On était bien content, alors, de trouver les maires et les départements, car c'est nous, qui, avec nos camions, les ont apportés dans les mairies. Nous sommes une chance pour la France !

Il faudra qu'on soit très vigilants ensemble, pour défendre l'idée que nos compatriotes attendent de nous qu'on agisse pour répondre à leurs questions et aux problèmes qu'ils vivent au quotidien. C'est cela la question de fond : « Comment mieux agir pour les Français ? » Quel est le bon échelon pour agir ? Je ne souhaite pas prendre les compétences des régions, simplement qu'on nous permette d'agir dans l'autonomie et la liberté. Aujourd'hui, j'ai le sentiment d'être entravé. Rendez-vous compte, je suis propriétaire d'une ressource « eau » dans mon département. J'ai le droit de produire de l'eau brute mais, tenez-vous bien, je n'ai pas le droit de produire de l'eau potable. Cette ressource représente 30 % de la ressource en eau de la métropole dijonnaise et le département manque d'eau ! Il faudra se saisir de ces sujets essentiels. La loi climat est mortifère pour les problématiques de développement territorial : aujourd'hui, on va chercher de l'eau à la campagne, on la ramène en ville, elle va coûter moins cher en ville, et le prix de l'eau va exploser dans les campagnes où elle sert aux élevages ! La conférence des métiers du social a lieu demain, j'ai dit au premier ministre que je ne souhaitais pas que l'on refasse les erreurs du Ségur de la Santé, qui n'a même pas accordé la prime santé aux médecins coordonnateurs des EHPAD. Depuis, j'ai demandé à ce que la prime soit étendue à tout le monde, nous travaillons avec le gouvernement pour avancer sur ce sujet. Sur tous ces sujets, je vous dis ma disponibilité totale pour travailler ensemble.

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