Intervention de Denise Saint-Pé

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 23 février 2022 à 9h00
Paquet « ajustement à l'objectif 55 » — Échanges de vues sur les travaux préparatoires de la commission des affaires européennes relatifs à la proposition de résolution européenne

Photo de Denise Saint-PéDenise Saint-Pé :

rapporteure. – Venons-en à la proposition de la Commission européenne visant à instaurer un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, projet porté par la France depuis de nombreuses années. Nous nous félicitons de cette avancée, qui pourrait contribuer, dans les secteurs couverts, à protéger les industries européennes dans leurs efforts de décarbonation et permettre l’extinction progressive des quotas gratuits au titre du marché carbone européen.

La résolution formule plusieurs propositions concernant le périmètre du mécanisme. Nous estimons tout d’abord que de nouveaux secteurs exposés à un risque de fuites de carbone pourraient être couverts à l’occasion de la clause de revoyure prévue par la Commission européenne en 2026, dès lors que l’intensité carbone des produits importés peut être évaluée. Nous pensons notamment aux produits chimiques organiques, à l’hydrogène et ou encore aux polymères.

Nous appelons également à étudier l’opportunité d’une extension du mécanisme à certains produits finis, en plus des produits de base actuellement couverts. Nous considérons en effet que les entreprises exportatrices européennes pourraient souffrir en l’état du dispositif d’une perte de compétitivité, en raison d’une augmentation du prix des produits de base couverts par le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. L’intégration de certains produits finis, pour autant qu’elle soit conforme aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, pourrait résoudre ce problème en protégeant les industries européennes.

Nous nous sommes également penchés sur le calendrier d’entrée en vigueur du mécanisme et de l’extinction complète des quotas gratuits, pour l’heure prévue en 2036. On peut s’interroger sur la pertinence de ce calendrier au regard de l’indispensable accélération de la décarbonation des industries européennes au cours de la décennie et du souhait de favoriser la construction de filières industrielles innovantes. Nous rappelons également que l’Organisation mondiale du commerce pourrait interdire le cumul des protections commerciales au titre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, d’une part, et de l’allocation de quotas gratuits, d’autre part, si le calendrier d’extinction des quotas gratuits n’était pas assez ambitieux.

Enfin, il nous a semblé essentiel de rappeler que le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières devait constituer un outil de la diplomatie climatique de l’Union européenne. Nous appelons donc la Commission européenne à utiliser la période transitoire précédant l’entrée en vigueur du mécanisme en 2026 pour rapprocher le marché carbone européen des systèmes équivalents dans le monde. Nous estimons également que des aménagements pourraient être prévus pour les pays les moins avancés, en particulier ceux du continent africain, afin d’apaiser la crise de confiance, constatée lors de la COP26, entre pays développés et pays en développement. Nous jugeons enfin opportun de prendre en compte les effets de ce mécanisme sur les États voisins de l’Union européenne, et le cas échéant, de les accompagner dans leurs politiques de décarbonation.

Il nous reste enfin à aborder le volet transport de ce paquet climat.

Commençons par le sujet le plus sensible : la révision des normes d’émissions des véhicules. La Commission européenne propose d’interdire la vente des véhicules thermiques neufs en 2035, en se fondant sur les recommandations faites par l’Agence internationale de l’énergie qui considère ce calendrier indispensable pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. La loi d’orientation des mobilités de 2019 a certes prévu une interdiction des véhicules thermiques neufs en 2040 en France. Mais nous notons depuis le vote de cette loi une accélération de la transition vers les motorisations électriques par les constructeurs français et européens, comme l’a rappelé Jean-Baptiste Djebbari lors de son audition par notre commission la semaine passée. Il nous a donc semblé raisonnable de soutenir l’échéance de 2035 proposée par la Commission européenne. La proposition de résolution recommande toutefois d’autoriser à titre dérogatoire la vente de véhicules hybrides rechargeables neufs au-delà de cette date et jusqu’en 2040, à la condition – toutefois – d’encourager largement l’usage de carburants durables par ces véhicules. Nous avons également jugé nécessaire de préciser que la filière automobile devra être accompagnée par le biais d’un soutien à la formation professionnelle, voire à la reconversion des salariés qui pourraient être affectés par cette transition. Nous estimons enfin que les objectifs de déploiement des bornes de recharge proposés par la Commission européenne devront être accrus pour répondre aux besoins de nos concitoyens.

Venons-en maintenant aux mesures relatives au transport aérien. La résolution accueille favorablement les propositions de suppression progressive d’ici 2027 des quotas gratuits et d’exonération de taxation du kérosène dont bénéficie actuellement le transport aérien. Nous soutenons également la proposition d’obligation d’incorporation de biocarburants. Nous avons jugé ces propositions conformes à la volonté législative exprimée par la loi « Climat et résilience », qui a souhaité instaurer une tarification carbone appropriée pour ce secteur, en privilégiant sa mise en place au niveau européen. Toutefois, dans l’éventualité où des risques de fuites de carbone venaient à se réaliser du fait de ces mesures, la proposition de résolution invite la Commission européenne à étudier l’opportunité, à l’avenir, de mesures de protection adéquates et proportionnées, s’appuyant par exemple sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.

Nous soulignons par ailleurs la nécessité de mesures complémentaires pour accélérer le report modal vers le train, notamment par une évolution de la réglementation européenne permettant d’instaurer un prix minimal de vente des billets d’avion, comme l’avait souhaité Philippe Tabarot dans la loi « Climat et résilience ».

Nous formons également le vœu que les moyens accrus du Fonds d’innovation bénéficient à la recherche et au développement en faveur de la décarbonation du transport aérien, notamment en appui du développement d’une filière d’incorporation de biocarburants.

Il me reste enfin à aborder les problématiques du transport maritime. Là aussi, le regard que nous portons aux propositions de la Commission européenne est globalement favorable, que ce soit au sujet de l’extension du marché carbone au transport maritime, ou de la fin de l’exonération de fiscalité dont le pétrole lourd utilisé dans le transport maritime bénéficie.

Nous souhaitons même que les négociations permettent d’accroître les objectifs de baisse de l’intensité carbone de l’énergie utilisée à bord des navires, proposés par la Commission européenne.

Voici les grandes lignes de la proposition de résolution dont nous débattrons demain, concernant les sujets relevant directement de la compétence de notre commission. Le président Longeot l’a dit : ce texte est le résultat d’un compromis entre trois commissions. Nous avons été particulièrement vigilants au maintien de la cohérence climatique de la résolution.

Nous sommes maintenant à votre disposition pour répondre à vos éventuelles questions.

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