Intervention de Jean-François Longeot

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 23 février 2022 à 9h00
Paquet « ajustement à l'objectif 55 » — Échanges de vues sur les travaux préparatoires de la commission des affaires européennes relatifs à la proposition de résolution européenne

Photo de Jean-François LongeotJean-François Longeot :

président. – Je remercie les rapporteurs Denise Saint-Pé et Guillaume Chevrollier pour ces éléments. Je vous rappelle que si ce texte résulte d’un compromis entre nos trois commissions, c’est bien en définitive celle des affaires européennes qui sera formellement habilitée à adopter la proposition de résolution. Je tiens une nouvelle fois à saluer le travail effectué par nos rapporteurs qui, malgré une configuration inhabituelle, ont su trouver un texte équilibré en vue de son examen.

M. Stéphane Demilly. – La présidence française du Conseil de l’Union européenne est une opportunité évidente pour orienter au mieux l’agenda européen en matière environnementale et démontrer la capacité de la France à être une force de proposition en la matière.

Le paquet « Ajustement à l’objectif 55 » visant à mettre en œuvre la « loi européenne sur le climat » constituera, en quelque sorte, la clé de voûte de la présidence française. En effet, les textes qui en découleront auront un réel impact sur nos concitoyens, nos entreprises, nos moyens de transport, et plus généralement notre économie. Il est donc important que le Sénat puisse faire connaître sa position au travers d’une proposition de résolution européenne, et je salue ici le travail de l’ensemble des commissaires qui ont travaillé sur le sujet.

Certaines des mesures du paquet concernent spécifiquement le domaine des transports, dont le verdissement, nous le savons, sera déterminant dans la lutte contre le changement climatique. Je voudrais revenir sur le nouvel objectif en matière d’utilisation de biocarburants dans le secteur de l’aviation, évoqué par la proposition de résolution. J’estime que les acteurs de ce secteur ont besoin de moyens supplémentaires pour s’engager pleinement dans un processus de transition écologique. L’industrie aéronautique française est un de nos fleurons industriels capables de soutenir cette transition nationale et de s’aligner sur les objectifs du Pacte vert.

Je m’interroge sur la manière dont la présidence française du Conseil de l’Union européenne saura concrètement appuyer le développement des biocarburants dans le secteur des transports. J’imagine que ces éléments feront demain l’objet de nos discussions, à l’occasion de notre réunion commune.

M. Jean Bacci. – Ces travaux nous amènent à constater les efforts considérables qu’il reste à mener en matière de décarbonation, tout secteur confondu.

Je souhaiterais faire deux remarques.

La première porte sur les véhicules électriques. Si ce moyen de transport est propre sur le plan de l’utilisation, il reste pourtant loin de satisfaire le monde rural, qui souffre d’un manque de disponibilité de points de recharge. J’attire également votre attention sur le fait que l’empreinte carbone de la production des batteries est équivalente à celle du véhicule électrique lui-même.

Ma seconde remarque concerne la prise en compte des aléas naturels, en particulier les risques d’incendies, dont le nombre augmente sur notre territoire. À ce sujet, j’aimerais, si vous me le permettez, vous soumettre quelques chiffres pour illustrer mes propos.

Durant l’été 2021, sur le pourtour méditerranéen, ce sont environ 220 000 hectares de forêts qui sont partis en fumée. On sait par ailleurs qu’un hectare de forêt méditerranéenne capte 32 tonnes d’équivalent CO2 (eq. CO2) par an, quand un hectare de forêt brûlé dégage 46 tonnes.

À horizon 2030, l’impact brut des feux de forêts de l’année 2021 est ainsi estimé à 73 millions de tonnes (eq. CO2). Dans l’hypothèse où la catastrophe de 2021 venait à se répéter tous les ans d’ici 2030, ce serait donc plus de 657 millions de tonnes eq. CO2 qui seraient non stockées ou relâchées dans l’atmosphère, un chiffre à comparer à l’objectif de stockage par les puits de carbone de 310 millions de tonnes eq. CO2 d’ici 2030, prévu par la Commission européenne dans ce paquet « Ajustement à l’objectif de 55 ». Voilà, mes chers collègues, de quoi mettre utilement ces chiffres en perspective.

Mme Marta de Cidrac. – Je voudrais également rendre hommage aux rapporteurs de notre commission, qui ont su faire preuve d’une grande ouverture d’esprit eu égard à un certain nombre de points difficiles à arbitrer. Je me félicite d’un travail effectué en bonne collégialité, en vue de notre réunion commune de demain, qui devrait aboutir au vote définitif de cette proposition de résolution.

Je souhaitais plus largement revenir sur une notion motrice de votre travail, à laquelle je suis particulièrement attachée : l’acceptabilité. Comme cela a été évoqué à plusieurs reprises, le champ couvert par les douze propositions du paquet « Ajustement à l’objectif 55 » est particulièrement large. C’est pourquoi il est important pour nous de nous positionner vis-à-vis de l’ensemble de nos concitoyens qui, ne l’oublions pas, pourraient être lourdement impactés par nos éventuelles propositions. À ce titre, je me réjouis que la notion d’acceptabilité ait été amplement intégrée à la version finale du texte. Nous sommes arrivés sur un certain nombre de sujets à un point d’équilibre, et j’espère que nos collègues commissaires s’exprimeront demain dans le sens du compromis trouvé entre nos trois commissions.

M. Ronan Dantec. – Au vu de la complexité de ce paquet, je voudrais rendre hommage à ce travail, qui constitue un véritable tour de force.

Je souhaite aborder deux points. Le premier concerne la tonalité générale positive du texte, qui reconnaît à quel point les décisions prises par l’Union européenne allaient profondément bouleverser nos économies. Je dois l’avouer, je craignais que nous soyons plus timorés sur ce point, la France n’étant, à mon avis, pas encore suffisamment consciente des implications d’une réduction de 55 % des émissions de CO2 à horizon 2030 par rapport à 1990. Une partie importante de la puissance économique de l’Union sera entièrement orientée vers cette mutation, et je me réjouis que le texte ne remette pas en cause les grands objectifs environnementaux de l’Union européenne, en cohérence avec la position de notre commission lors de l’examen, en 2021, de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. De même, il est heureux que le texte ne revienne pas sur la fin du véhicule thermique en 2035. Le diable se cache dans les virgules : il me faudra prendre le temps de procéder à une lecture attentive du texte. Toutefois, je le répète, la tonalité générale du texte me semble positive.

J’en viens à mon second point. Vous l’avez dit, Monsieur le président, ce texte est le fruit d’un compromis, nourrit des apports des autres commissions concernées. Néanmoins, il me semble important que nous prenions conscience que le nucléaire n’est pas une énergie comme les autres, a fortiori aux yeux d’une partie de l’Union européenne. Comme vous pouvez le constater, un grand nombre de phrases de la proposition de résolution tentent pourtant de placer le nucléaire au même niveau que les énergies renouvelables. Je regrette cet aspect du texte. Permettez-moi de vous dire que si vous êtes un citoyen allemand vivant à proximité d’une centrale nucléaire française, les risques que vous assumez sont tels que le nucléaire ne peut être considéré comme une énergie comme les autres. Les nuages ne s’arrêtent pas aux frontières, vous le savez bien. Cette approche est symptomatique du tabou français visant à ne pas prendre en compte, dans notre propre stratégie, le rapport des autres pays européens à l’énergie nucléaire. Il s’agit en tout cas d’un point auquel le groupe écologiste ne peut adhérer, et il serait irréaliste d’espérer trouver un compromis sur ce sujet d’ici demain.

À mon sens, les biocarburants sont également problématiques, car ils ne seront jamais en capacité de remplacer structurellement les carburants conventionnels fossiles, que ce soit dans les secteurs de l’aérien et du transport maritime. Le texte est illusoire sur ce point : il suffit d’une simple règle de trois entre les besoins de ces secteurs et les capacités de production des biocarburants pour s’en rendre compte. Le passage du texte mentionnant la possibilité de s’appuyer sur toutes les générations de biocarburants est regrettable, si on considère que certaines générations présentent un bilan carbone plus polluant que celui du kérosène. Cette phrase du texte devrait pouvoir être supprimée.

Enfin, je suis convaincu que le système européen d’échanges de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (SEQE-UE) saura faire émerger un prix de l’aérien suffisamment dissuasif pour encourager le report vers le rail sur des distances moyennes, un développement du rail en faveur duquel notre commission a souvent pris position. S’il est aberrant de prendre l’avion sur de telles distances, il est vrai que la question de l’attractivité des prix du ferroviaire reste un des principaux nœuds du problème.

M. Jean-Claude Anglars. – Je voudrais simplement intervenir sur un point souligné par nos rapporteurs. Les mutations décrites par la proposition de résolution en matière de normes d’émissions des véhicules représentent une véritable révolution.

Ramenées au territoire aveyronnais, ces mutations ont des conséquences sociales importantes. Ce sont, par exemple, 1300 salariés de l’usine d’injecteurs diesel haut de gamme, Bosch, implantée à Rodez, qui se retrouvent sans emploi entre le mois de novembre 2020 et le mois de février 2021. 333 familles sont confrontées au même sort, à la suite de la fermeture de la fonderie automobile « Sam » située à Decazeville. C’est pourquoi je me réjouis du contenu de la proposition de résolution à ce sujet, car l’accompagnement de ces familles par la formation professionnelle s’avère plus que nécessaire.

Mme Angèle Préville. – Je remercie également les rapporteurs pour ce travail accompli sur des sujets particulièrement complexes. Je souhaitais revenir sur la question des biocarburants, et abonder dans le sens des propos de Ronan Dantec. Les biocarburants proviennent de végétaux, leur combustion émet naturellement du CO2 stocké, qui vient s’accumuler au stock important de gaz à effet de serre déjà présent. L’utilisation des biocarburants ne constitue donc pas une solution crédible.

Ma seconde remarque concerne l’extension du champ d’application du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières d’ici 2026, un point sur lequel il est nécessaire d’aller plus vite. C’est notamment le cas pour les textiles, dont l’importation à plus de 90 % menace la compétitivité et donc le développement de ce secteur d’activité en Europe. Il nous faut aller plus vite sur ce point.

M. Jacques Fernique. – Cette proposition de résolution européenne porte des points forts intéressants, et montre que les lignes bougent. Elles bougent en particulier sur la prise en compte des bouleversements industriels qui s’annoncent et sur la nécessité d’éviter que ces mutations ne se traduisent par du désastre social, moyennant un accompagnement en matière de formation et de reconversion professionnelles.

En revanche, le texte pourrait être musclé par l’inscription de la nécessité de reconnaître et d’accompagner le rôle clés des territoires. Ces derniers sont directement concernés par une grande partie des avancées du paquet, en particulier au niveau des bassins de vie et des intercommunalités. Il faudra trouver un moyen de soutenir financièrement les actions territoriales sur le plan climatique. À cet égard, je crois que le fonds de cohésion sociale est un outil pertinent.

M. Olivier Jacquin. – Je remercie nos rapporteurs pour ce travail intéressant. J’en profite également pour signaler la qualité du déplacement d’une délégation de notre commission à Bruxelles, le 10 février dernier, où nous avons pu utilement échanger avec M. Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, en charge du « Pacte vert ». Ce déplacement nous a permis de bénéficier d’une vision sur l’action européenne en la matière.

S’agissant du secteur des transports, il est intéressant de l’intégrer à un marché carbone, dans le respect du principe du pollueur-payeur, en vue de donner un signal prix aux acteurs du secteur. Toutefois, il ne faudrait pas, comme cela a été fait en France, augmenter les taxes sans accompagner en amont les populations devant faire face à l’augmentation du prix du carbone.

Sur la question des carburants alternatifs, je vais aller dans le même sens que mes deux voisins, Ronan Dantec et Angèle Préville. Ayant moi-même travaillé dans le domaine des transports, je suis extrêmement étonné de la persistance du mythe de l’innovation, qui donne l’impression que la rupture technologique sera de nature à nous faire complètement changer de direction. On a pu constater le poids de ce mythe sur différents sujets, en particulier concernant la production d’hydrogène. On sait pourtant que la production d’un kilowattheure d’hydrogène nécessite trois kilowattheures d’énergie. Ainsi, même si cette énergie mobilisée était non fossile, les quantités requises poseraient des problèmes considérables de disponibilité des ressources. Faire ainsi croire que l’on pourra remplacer le pétrole par l’hydrogène est donc illusoire, d’autant que les énergies fossiles ont souvent des utilisations spécifiques et ne sont pas toujours remplaçables par des alternatives évidentes. Ces éléments nous invitent à faire preuve de pragmatisme et de réalisme.

Je souhaiterais compléter le raisonnement de ma collègue Angèle Préville en soulignant les faibles rendements énergétiques des biocarburants : certaines générations présentent un besoin d’intrants conséquent. Il nous faut donc privilégier les biocarburants les plus vertueux.

Concernant le nucléaire, ce sujet me tient particulièrement à cœur, étant moi-même voisin d’une centrale frontalière du Luxembourg. Le changement de doctrine auquel nous assistons est stupéfiant. Je fais référence à un article excellent publié récemment dans le journal Le Monde, montrant que l’énergie nucléaire n’est pas un gage de souveraineté. Les liens de dépendance persistent sur le plan des matières fissiles, à l’image de l’uranium, qui est produit par un petit nombre de pays. Par ailleurs, pour avoir visité, en 2018, les installations de Fukushima dans le cadre d’un déplacement organisé par notre commission, j’ai été particulièrement marqué par la problématique des accidents nucléaires, une réalité que nous avons tendance à oublier au fil du temps.

Étant également voisin de la commune de Bure, je constate un parallèle entre la problématique des déchets ramenée au nucléaire, et celle du carbone ramenée aux énergies fossiles. Nous avons tendance à transmettre aux générations futures des problèmes que nous ne savons pas résoudre. Il en est ainsi des énergies fossiles et du carbone associé à leur combustion, comme du nucléaire et de ses déchets. Quid de ces « poubelles souterraines » radioactives, dont l’avenir est plus qu’incertain ?

président. – Je propose que les rapporteurs apportent des réponses à ces questions, tout en précisant qu’un certain nombre de sujets évoqués ici ne relèvent pas de notre commission, mais de la commission des affaires économiques.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion