Intervention de Laurence Harribey

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 février 2022 à 9h35
Institutions européennes — Proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif à la transparence et au ciblage de la publicité à caractère politique com2021 731 final et proposition de règlement du parlement européen et du conseil relatif au statut et au financement des partis politiques européens et des fondations politiques européennes com2021 734 final refonte - avis politique et proposition de résolution européenne

Photo de Laurence HarribeyLaurence Harribey, rapporteure :

Première observation, en France, le droit en vigueur encadre précisément les modalités de publicité politique et de propagande électorale, interdisant même cette dernière pendant certaines périodes électorales jugées sensibles. Ainsi, l'utilisation à des fins de propagande électorale de toute publicité commerciale par voie de presse ou par tout autre moyen de communication audiovisuelle pendant les six mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la fin du scrutin est interdite (article L. 52-1 du code électoral). Il en va de même en tout temps pour les émissions publicitaires à caractère politique (article 14 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication).

Dans la presse (y compris la presse en ligne), « tout article de publicité à présentation rédactionnelle (politique ou non) doit être précédé de la mention «publicité» ou «communiqué»?» (article 10 de la loi du 1er août 1986 portant réforme juridique de la presse), « toute publicité doit être identifiée comme telle » et doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est « réalisée ».

Enfin, rappelons que la législation française a posé récemment un cadre destiné à lutter contre la manipulation de l'information en ligne, quel qu'en soit le vecteur (article de presse en ligne, publicité politique en ligne, etc.). Pour rappel, pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d'élections générales et jusqu'à la fin du scrutin concerné, les plateformes en ligne dépassant un certain seuil de visiteurs (plus de 5 millions par mois), doivent informer ces derniers sur l'identité de la personne pour le compte de laquelle l'information a été publiée, sur l'utilisation prévue de ses données personnelles et sur le montant de la rémunération perçue au titre de la publication de cette information. De plus, ces informations doivent être rendues disponibles dans un registre mis à disposition du public (article L. 163-1 du code électoral).

En revanche, il convient de prendre en compte le fait que ce cadre normatif n'existe pas aujourd'hui dans tous les États membres. Dans les faits, les législations sont très variables et parfois assez fragmentaires. Or, à l'heure d'une numérisation croissante des campagnes de publicité politique et des stratégies électorales, cette divergence des législations entre les États membres de l'Union européenne constitue une fragilité à l'égard des tentatives de manipulation de plus en plus fréquentes des comportements électoraux des citoyens.

La proposition de règlement examinée vise donc à établir des normes européennes harmonisées en matière de publicité politique. Elle a deux principaux objectifs :

- premier objectif : définir des règles européennes harmonisées pour encadrer les services de publicité à caractère politique, sur le fondement de l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), relatif à l'établissement et à l'approfondissement du marché intérieur, lequel nous avait initialement interpellés ;

- second objectif : encadrer l'utilisation des techniques de ciblage et d'amplification à des fins politiques, sur le fondement de l'article 16 du TFUE relatif à la protection des données personnelles (article 12).

Au titre du premier objectif, la proposition de règlement institue une « chaîne de responsabilités » applicable aux prestataires de services chargés d'élaborer les publicités politiques, mais également aux commanditaires de ces publicités, appelés « parraineurs » dans le texte, et enfin aux acteurs chargés de la diffusion des publicités politiques, appelés « éditeurs de publicité politique », qu'ils soient une radio, une télévision ou encore un réseau social. En tant que membre de la commission d'enquête sur la concentration des médias, je témoigne du fait que ceux-ci tendent à oublier cet aspect, dans la mesure où ils ne se considèrent pas comme éditeurs, mais plutôt comme diffuseurs. Nous observons ainsi une évolution de fond plaçant chaque acteur au sein de la même chaîne de responsabilités. Lorsque j'ai soulevé cette question à l'adresse du directeur de Facebook dans le cadre de la commission d'enquête, celui-ci est apparu quelque peu embarrassé.

Les principales obligations imposées par le texte reposent logiquement sur les prestataires de services. Je veux citer les plus importantes :

- une obligation de déclaration de leurs publicités politiques (article 5) ;

- une obligation de tenue des registres recensant leurs activités de publicité politique (article 6) ;

- l'accompagnement obligatoire de chaque annonce publicitaire par un certain nombre d'informations (regroupées dans un « avis de transparence ») permettant aux citoyens de comprendre qu'il s'agit d'une publicité politique et d'en identifier «?le parraineur?», à savoir la personne qui en bénéficie (article 7) ;

- une obligation de transmission des informations relatives au contenu de la publicité, au montant perçu au titre de cette activité et à son «?parraineur?» non seulement aux autorités nationales de contrôle, mais également à des « entités intéressées » qui en font la demande : chercheurs agréés, organisations non gouvernementales habilitées, «?acteurs politiques?», etc. (article 11)?;

- et une obligation, pour les prestataires établis dans un pays tiers, de désignation d'un représentant légal dans l'Union européenne (article 14).

Les « parraineurs » de ces publicités politiques, c'est-à-dire leurs commanditaires, seraient soumis à l'obligation de déclaration précitée et devraient accepter que des informations les concernant soient transmises par les prestataires de services agissant pour leur compte, aux autorités de contrôle ou aux « entités intéressées ». En tant que « parraineurs » d'une annonce publicitaire ou d'une campagne publicitaire politique, les candidats aux élections nationales ou locales et les partis politiques nationaux seraient donc soumis à ces obligations (articles 5, 11 et 13).

Quant aux « éditeurs de publicité à caractère politique », ils devraient s'assurer de diffuser une publicité politique avec l'ensemble des informations précitées et, si ces dernières faisaient défaut, s'abstenir de diffuser la publicité concernée (article 7), à l'instar des sous-traitants. Ils devraient également prévoir des mécanismes permettant aux particuliers de signaler une annonce publicitaire qui ne respecterait pas les dispositions des articles précédents (article 9).

Au titre du second objectif, la proposition de règlement interdirait le recours aux techniques de ciblage et d'amplification impliquant un traitement de données à caractère personnel à des fins politiques, sauf exception strictement encadrée, et garantirait, là encore, aux «?entités intéressées?» qui en font la demande, la transmission d'informations (article 13).

Enfin, la liste des informations transmises pourrait être modifiée par la seule Commission européenne, par la voie d'actes délégués prévus à l'article 290 du TFUE (articles 7, 12 et 19). Il est précisé que la Commission pourrait procéder à ces modifications « à la lumière de l'évolution technologique », de « l'évolution du contrôle exercé par les autorités compétentes et des orientations en la matière publiées par les organismes compétents ». Au motif de la rapidité d'évolution sur ces sujets, la Commission européenne recevrait ainsi une capacité déléguée, ce qui nous interroge même si les actes délégués font l'objet d'un contrôle a posteriori.

Comme rappelé par le président Rapin, nous avons d'abord contrôlé ce texte sous l'angle de sa compatibilité avec le principe de subsidiarité, posé à l'article 5 du traité sur l'Union européenne et au protocole II annexé aux traités, avec trois questions principales : la proposition de règlement est-elle nécessaire?? Est-elle fondée sur une base juridique pertinente?? Son dispositif est-il proportionné aux objectifs poursuivis ?

Au terme d'un examen approfondi, nous répondons par l'affirmative à ces questions, tout en souhaitant émettre plusieurs observations qui sont mentionnées dans les projets d'avis politique et de proposition de résolution qui vous ont été transmis.

En effet, à la suite du constat que j'ai déjà effectué, nous pouvons considérer comme regrettable l'absence d'association des Parlements nationaux à l'élaboration de cette réforme, mais nous devons aussi reconnaître que cette réforme répond à une nécessité face aux tentatives de manipulations des scrutins et institue un cadre juridique européen plus protecteur pour les citoyens, ce qui nous paraît important. Si la France s'appuie sur une législation précise et protectrice, il n'en est pas de même dans tous les États de l'Union européenne. Or, une potentielle manipulation par des prestataires de services s'inscrit dans le champ d'application du double principe de la libre prestation de services et du libre établissement. Cela signifie que des personnes installées dans un autre État membre de l'Union européenne, mais provenant d'un pays tiers, peuvent bénéficier de la reconnaissance mutuelle, et donc de la libre prestation de services. Sur ces bases, la constitution d'un cadre juridique européenne encadrant la manipulation est préférable.

Par ailleurs, si la pertinence de la base juridique choisie, à savoir l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatif à l'établissement et à l'approfondissement du marché intérieur, pouvait susciter de légitimes interrogations, la proposition de refonte du règlement n° 114/2014, pour l'essentiel de son dispositif, régule effectivement des prestations de service rattachées au marché intérieur et non l'organisation des scrutins.

Bien sûr, des obligations nouvelles seraient imposées, par « effet de bord » pourrait-on dire, aux candidats aux élections nationales ou locales et aux partis politiques nationaux en tant que « parraineurs » de publicité politique. Le Gouvernement a assuré vos rapporteurs de sa vigilance sur ce point.

Toutefois, et c'est la première observation développée dans nos projets d'avis politique et de proposition de résolution européenne, nous souhaitons que la proposition de règlement soit explicitement complétée afin d'y prévoir que les nouvelles obligations imposées aux «?parraineurs?» de publicité politique n'aient pas d'incidence sur les périodes de campagne électorale, sur les périodes d'interdiction de la publicité politique, ou encore sur la définition des partis politiques nationaux, qui relèvent de la seule compétence des États membres. Si les considérants en font mention, il apparaît nécessaire que le texte du règlement l'énonce également.

Nous souhaitons aussi attirer l'attention de la Commission européenne et du Gouvernement sur la nécessité de préciser la rédaction non aboutie de certaines définitions du texte qui nuit à la compréhension de ce dernier et pourrait fragiliser sa mise en oeuvre. Ainsi, alors que la diffusion d'une publicité politique serait désormais conditionnée à la production d'un «?avis de transparence?» par le prestataire, la liste des informations contenues dans cet avis n'est pas strictement fixée, certaines informations pouvant être transmises «?le cas échéant?». Il convient de mettre fin à cette incertitude.

Enfin, comme nous l'aurions fait dans un avis motivé, nous considérons disproportionnée la délégation prévue pour permettre à la seule Commission européenne de fixer la liste des informations qui seraient transmises par les prestataires de services de publicité politique, par la voie des actes délégués prévus à l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

En effet, les actes délégués sont en principe « des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif ». Or, en l'espèce, la délégation prévue concernerait bien des éléments essentiels de ces dispositions législatives et priverait les parlements nationaux de toute possibilité de contrôle à leur sujet.

Je vous remercie et laisse de nouveau la parole au co-rapporteur, le président Jean-François Rapin.

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