Intervention de Jean-Jacques Michau

Commission des affaires économiques — Réunion du 24 février 2022 à 8h30
Paquet « ajustement à l'objectif 55 » — Examen d'un projet de proposition de résolution européenne

Photo de Jean-Jacques MichauJean-Jacques Michau, rapporteur :

Madame la présidente, mes chers collègues, comme vous le savez, notre mission d'information a été instituée au début du mois de février et rendra ses conclusions d'ici l'été. Pour autant, nous suivons très attentivement la très dense actualité du secteur de l'énergie, notamment nucléaire. Aussi, il est apparu indispensable d'entamer nos travaux par un point d'étape sur la sécurité d'approvisionnement électrique. Naturellement, ce point d'étape sera complété par des travaux, plus longs et plus complets, au cours de la suspension.

Pour réaliser ce point d'étape, nous avons auditionné les acteurs essentiels sur le sujet : le groupe EDF, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et Réseau de transport d'électricité (RTE) - ce dernier ayant la charge de l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité. De plus, notre commission a organisé un cycle d'auditions plénières sur la « souveraineté énergétique », l'automne dernier. Enfin, son groupe d'études « Énergie » a reçu, dans le cadre de ses auditions mensuelles, le Médiateur national de l'énergie (MNE), sur la « flambée des prix des énergies », la Commission de régulation de l'énergie (CRE), sur les marchés électriques et gaziers, RTE, sur la place de l'énergie nucléaire d'ici 2050, ainsi que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie - Agence de la transition écologique (ADEME-ATE), sur la place des énergies renouvelables d'ici cette même date. L'ensemble de ces éléments nous permet aujourd'hui de disposer d'un panorama assez complet de l'état de notre sécurité d'approvisionnement électrique.

Cet hiver, et au-delà, RTE a placé la France en situation de « vigilance particulière » sur ce plan.

La situation du système électrique est, en effet, critique.

Les arrêts de réacteurs sont nombreux cet hiver : 12 d'entre eux sont arrêtés mi-février, 4 autres le seront fin février et 8 autres le seront début mars. EDF évalue la capacité nucléaire française à 45 gigawatts (GW), mi-février, tandis que RTE anticipe un niveau se situant entre 38 et 46 GW, en février, et entre 35 et 43 GW, en mars.

Ces arrêts sont dus à l'impact de la crise de la Covid-19 sur le programme d'« arrêts de tranche » du groupe EDF, c'est-à-dire des arrêts pour maintenance ou rechargement. Ils s'expliquent aussi par des contrôles liés à la découverte d'un important phénomène de « corrosion sous contrainte », c'est-à-dire de fissures sur l'acier de certaines tuyauteries. De ce fait, 5 réacteurs sont l'objet de contrôles et 6 autres le seront sous 3 mois. Je précise que le groupe EDF développe actuellement une méthodologie, qui pourrait permettre de faciliter ces contrôles et par conséquent de limiter leur impact sur la disponibilité du parc nucléaire. Pour autant, le groupe a révisé sa prévision de production d'énergie nucléaire, pour la fixer entre 295 et 315 térawattheures (TWh) en 2022 : c'est un minimum historique !

Si la situation du parc nucléaire n'est donc pas satisfaisante, la diversification du mix électrique n'est pas d'un grand recours cet hiver. En effet, RTE considère la production d'énergie éolienne faible voire nulle, la capacité des batteries limitée et celle des effacements de consommation inconnue.

À l'inverse, les conditions météorologiques sont, pour lui, plutôt favorables.

Les effets et les risques résultant de cette situation sont lourds.

Tout d'abord, cette situation nuit à notre transition énergétique. Par un décret du 5 février 2022, le Gouvernement a, en effet, facilité le recours aux centrales thermiques fossiles, dont celles à charbon, au mépris de son engagement de sortie de telles centrales d'ici 2022, fixé par la loi « Énergie-Climat », de 2019. Selon RTE, 390 à 470 heures d'électricité ont déjà été produites par ces centrales, début février.

De plus, cette situation nuit à notre indépendance énergétique. Selon RTE, la France a importé de manière « quasi-systématique » depuis novembre, avec des pics proches des capacités techniques maximales, fin décembre. De 2019 à 2020, la crise de la Covid-19 avait d'ailleurs conduit à une baisse de 7 % des exportations et à une hausse de 22 % des importations. 43 jours d'importation ont également été dénombrés en 2020 contre 18 en 2019.

Cette situation emporte de lourds risques pour les consommateurs d'énergie. Si RTE n'identifie pas de risque de « black-out », c'est-à-dire de coupure généralisée, il estime que le recours à des mécanismes post-marché est « probable en cas de vague de froid, de situation de très faible production éolienne ou de forte dégradation supplémentaire de la disponibilité du parc de production et, quasi-certain, si ces facteurs se combinent ».

Pour mémoire, ces mécanismes post-marché consistent en des appels aux gestes citoyens, le recours au service d'interruptibilité, une baisse de tension sur le réseau ou encore des coupures ciblées.

Cette situation va persister, à court, moyen et long termes.

RTE a ainsi placé la France en situation de « vigilance particulière » jusqu'en 2024. Cela s'explique par une conjonction de facteurs, dont la rénovation du parc nucléaire, l'attrition des centrales à charbon et les retards des projets éoliens et solaires et du chantier de l'European Pressurized Reactor (EPR) de Flamanville 3. C'est dans le Grand Ouest que cette situation est la plus tendue.

Selon RTE, la France devrait retrouver des marges de manoeuvre d'ici 2030, si les objectifs fixés par la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) sont atteints. Cependant, l'engagement simultané des pays européens dans la réalisation du paquet « Ajustement à l'objectif 55 », qui suppose de doubler la production d'électricité européenne, peut être une source de difficultés supplémentaires.

D'ici 2050, l'atteinte de l'objectif de « neutralité carbone » devrait aussi peser sur le système électrique. Pour RTE, la consommation d'électricité doit augmenter de 60 %, dans son scénario de référence, et jusqu'à 90 %, en cas de réindustrialisation, par rapport à aujourd'hui. De plus, les réacteurs existants vont arriver en fin de vie, avec un « effet falaise » à compter de 2040. À cela s'ajoutent de nouveaux risques pour le parc nucléaire liés, par exemple, à sa résilience climatique ou à sa cyber-résilience.

Enfin, le déploiement de nouvelles capacités de production électrique est limité par la capacité industrielle des filières nucléaires et renouvelables, l'absence de stockage ou l'artificialisation des sols, limitant l'intégration des énergies renouvelables, et l'approvisionnement en minerais, composants essentiels des panneaux solaires, des pales d'éoliennes, des batteries électriques et des électrolyseurs d'hydrogène.

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