Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénatrices et Sénateurs, je voudrais tout d'abord vous remercier de m'accueillir pour cette audition sur des sujets qui touchent à la fois au corps préfectoral et à ses relations avec les collectivités territoriales, et plus largement à l'organisation de l'administration territoriale, dans une période de changements, avec des perspectives de suppression du corps préfectoral, en tout cas sur le plan statutaire.
Comme vous l'avez rappelé, le corps préfectoral est une institution ancienne, qui a toujours été maintenue par les régimes qui se sont succédés, la représentation de l'État au plan territorial et l'administration départementale demeurant sa mission principale jusqu'à la décentralisation, avec d'autres compétences et attributions, notamment des missions régaliennes tenant à la sécurité et à la charge de représenter le gouvernement, tous ministères confondus, y compris pour la partie des administrations déconcentrées échappant à son autorité hiérarchique. Je pense notamment aux services des finances publiques, aux services académiques ou aux militaires, qui ne sont pas placés sous l'autorité du préfet, sauf quand une réquisition intervient dans les cas de crise. Cette permanence des missions s'inscrit néanmoins dans des cadres qui ont été modifiés au fil des années. Les modifications les plus récentes sont celles intervenues depuis le début des années 2000 en ce qui concerne la réorganisation des services de l'État : révision générale des politiques publiques (RGPP), modernisation de l'action publique (MAP), Réforme de l'administration territoriale de l'État (RéATE), qui ont mis en place une nouvelle articulation de ces services. Depuis la modification du décret de 2004 par le décret du 17 février 2010, l'autorité des préfets de région sur les préfets de département a sans doute fait évoluer l'équilibre des relations entre ces deux niveaux d'administration locale. Je note que vous n'avez pas évoqué dans vos propos le rôle que joue le préfet de zone en matière de gestion de crise, et qui lui aussi évolue, dans le sens d'un élargissement de ses attributions en matière de coordination. Cette évolution concerne y compris la mise en oeuvre des politiques publiques, qui en théorie ne relève pas de sa responsabilité, en particulier en matière de lutte contre l'immigration, où sa fonction est amenée à prendre de l'importance compte tenu de la capacité des préfets de zone à travailler sur des espaces frontaliers importants, mais également dans la profondeur des territoires, compte tenu de la taille de la plupart des zones de défense et de sécurité.
Aujourd'hui, cette organisation de l'administration préfectorale est articulée principalement sur ce pivot qu'est le préfet de département, dans sa relation avec les départements et le préfet de région. Cette relation a été modifiée par le décret de 2010, qui a créé une forme d'autorité hiérarchique du préfet de région sur le préfet de département. À cette époque, la réorganisation de l'administration territoriale était déployée, avec pour objectif principal de créer ces DDI, dont vous avez rappelé le caractère transversal. Certains ministères avaient exprimé une crainte relative au fait que la cohérence de l'action publique soit diluée dans cette interministérialité de l'organisation des services déconcentrés, et que chaque préfet adapte à sa main les politiques publiques pour les décliner au niveau local. Pour éviter ce risque et rassurer la communauté interministérielle, le Premier ministre a décidé de mettre en place un principe d'autorité hiérarchique des préfets de région sur les préfets de département. Le premier ne participe toutefois pas à la nomination des seconds, mais est amené à les évaluer, notamment au titre de la fixation de leur régime indemnitaire. Cette autorité qui avait été instituée dans le décret de 2010 avait pour objectif de garantir, par les instructions que donne le préfet de région au préfet de département, la cohérence de la mise en oeuvre d'une politique publique à l'échelle d'une région, pour éviter, comme dans certains territoires, la situation de préfets de département délivrant des autorisations au titre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), alors même que les politiques mises en oeuvre au niveau régional commandaient que ces installations soient plutôt réduites. Pour assurer cette cohérence, il a été prévu que le préfet de région puisse donner des instructions au préfet de département voire, le cas échéant, attraire à son niveau certaines des attributions des préfets de département pour les assumer au niveau régional. Depuis 2010, rares ont été les cas de mise en oeuvre de ces dispositions. La plupart du temps, le rapport collégial du préfet de région avec les préfets de département permet de garantir cette cohérence des politiques publiques et d'éviter que de telles discordances ne justifient que des instructions soient données. Néanmoins, dans les faits, ce nouveau fonctionnement de l'État territorial est inscrit dans les habitudes. Le rythme des comités de l'administration régionale (CAR), qui est en général mensuel, permet aux préfets de région, avec les préfets de département et les chefs de services déconcentrés de l'État, de partager les enjeux de la mise en oeuvre des politiques publiques au niveau local. De fait, cette collégialité fonctionne dans des conditions satisfaisantes et garantit la bonne cohérence des politiques publiques, le préfet étant, aussi bien au niveau départemental que régional, à la charnière de la verticalité des politiques ministérielle et de l'horizontalité des territoires. Le rôle des préfets de région est donc, au-delà de leur rôle d'arbitre dans la répartition des moyens de l'État, de veiller au respect de cette cohérence. Il s'agit de l'une des innovations majeures de la réorganisation de l'administration territoriales de l'État (RéATE), qui perdure et s'est déployée sans difficulté particulière.
Vous évoquiez en outre l'organisation territoriale de l'État. Depuis la RéATE, l'organisation est théoriquement interministérielle au niveau départemental, et ministérielle au niveau régional. Ce schéma, issu des travaux consécutifs à la RGPP et mis en oeuvre entre 2008 et 2010 au titre de la RéATE, a été légèrement déformé par une interministérialisation de fait des directions régionales. Ce nouvel équilibre modifie le rôle des préfectures. Avant ces réformes, les préfets de département et de région incarnaient cette interministérialité au niveau territorial. Désormais, elle est assumée par l'organisation des services déconcentrés de l'État, au niveau départemental comme régional. Plus que jamais, le rôle des préfets, au niveau départemental et plus encore au niveau régional, est de faire vivre cette interministérialité dans un double rapport vertical (vers les ministères) et horizontal (vers les territoires). Cette organisation souple permet à l'État territorial d'assumer les responsabilités qui sont les siennes, en donnant plus d'agilité que l'organisation antérieure, strictement ministérielle.
En ce qui concerne la gestion des moyens de l'État, entre 2010 et 2019, le Premier ministre assumait le pilotage des DDI. Les tensions qui avaient entouré la mise en oeuvre de cette organisation se sont néanmoins apaisées. Ce fonctionnement fluide a permis au Premier ministre, en novembre 2019, de décider de confier au ministère de l'Intérieur la responsabilité de l'administration territoriale et de compléter cette évolution interministérielle par des moyens budgétaires et de gestion des effectifs des DDI. Une des grandes difficultés auxquelles les préfets et les chefs de services déconcentrés de l'État étaient confrontés résidait dans la compartimentation des moyens sur des programmes ministériels qui interdisaient de facto, dans une direction constituée de fonctionnaires venant de plusieurs ministères, de pouvoir faire évoluer un agent de catégorie C d'une fonction de secrétariat vers une autre attribution, lorsque celui-ci relevait de deux ministères différents. Le Premier ministre, en lien avec l'ensemble des ministères, a ainsi décidé de simplifier cette architecture, de confier au ministère de l'Intérieur la gestion de l'administration territoriale et de créer un programme nouveau, le programme 364, sur lequel est gérée aujourd'hui la plus grande masse des moyens de l'État territorial au niveau départemental et régional. Ce programme étant confié au ministère de l'Intérieur, les effectifs des DDI, emplois fonctionnels compris, ont été transférés en 2020 à ce dernier. Cette gestion se fait aujourd'hui en bonne harmonie avec les ministères, dans des conditions qui semblent garantir une plus grande agilité au niveau local. En 2021, une réforme supplémentaire est intervenue, avec la mise en place de secrétariats généraux communs (SGC), dans l'objectif de rechercher des économies dégagées par la mutualisation de structures de gestion au niveau départemental. Ils ont été installés à compter du 1er janvier 2021. L'organisation territoriale continue d'évoluer de façon classique, avec la création récente de directions régionales des entreprises, de l'emploi, du travail et de la solidarité (DREETS), ce qui a impliqué la révision de certaines DDI et la fusion de directions régionales, comme les directions régionales de la jeunesse, de la santé et de la cohésion sociale (DRJSCS) et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). La mise en oeuvre de cette organisation est désormais effective.
Vous évoquiez en outre la question des agences. Nous avons effectivement constaté depuis quelques années une accélération de cette forme de filialisation de l'État territorial. Des organisations comme l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe), les ARS ou l'Office de la biodiversité traduisent une évolution qui entend donner à certaines politiques publiques un cadre de mise en oeuvre différent, organiquement distinct des services territoriaux de l'État, avec pour certaines d'entre elles une autorité fonctionnelle plus ou moins affirmée et des relations parfois plus distendues, qui amènent à se poser la question de la cohérence de l'action de l'État, à la fois en termes d'affichage des politiques publiques, de lisibilité du rôle des opérateurs au regard des politiques ministérielles et de cohérence par rapport à l'action qui peut être menée au niveau territorial par les préfets de département ou de région. Une réflexion est ainsi en cours, qui viserait à affirmer de façon plus forte l'autorité fonctionnelle des préfets lorsque ces agences sont amenées à intervenir au niveau départemental ou régional, afin de rendre cette cohérence plus lisible pour les services de l'État et pour ses partenaires. Il semble en effet souhaitable d'affirmer, par une politique de communication et des logos mais également par cette autorité fonctionnelle, que l'État doit être cohérent dans toutes ses composantes.
Dans les relations avec les services centraux, les moyens technologiques ont offert l'occasion à un certain nombre d'administrations de reprendre à leur niveau la mise en oeuvre de certaines politiques publiques et de privilégier des formes d'action passant par des appels à manifestation d'intérêt ou des appels à projets nationaux qui ne sont plus instruits ni décidés au niveau local. Il s'agit d'être vigilant, pour que cette forme d'intervention ne prenne pas un caractère systématique. Cette action doit privilégier la décision et la mise en oeuvre au niveau local, dans un cadre dont la cohérence est garantie par le préfet de région, mais avec le contrôle, l'évaluation et la définition des stratégies au niveau national.
Vous m'avez également interrogé sur le rôle des sous-préfets. Il me semble qu'il s'agit d'un élément d'efficacité de l'État et de sa capacité à s'adresser à ses partenaires, dans la profondeur des territoires, à commencer par les collectivités territoriales, à l'avenir desquelles il importe de veiller. Les sous-préfets d'arrondissement correspondent à une réduction du rôle de la préfecture à l'échelle de l'arrondissement, et les 240 arrondissements au niveau national maillent un territoire dont la carte n'a pas évolué depuis la réforme Poincaré en 1926, qui a été complétée par la création d'arrondissements urbains ou périurbains. Ce périmètre peut être modifié à la main des préfets de région pour tenir compte de la carte des intercommunalités. Ces arrondissements sont aujourd'hui indispensables, bien que les moyens qui leur sont confiés soient très limités, sauf pour les sous-préfectures très importantes. Le sous-préfet, quant à lui, a la responsabilité de dénouer la complexité des politiques publiques et d'incarner la profondeur de l'État dans les territoires. Ce rôle doit être maintenu.
Depuis le début des années 2000, tous les services de l'État ont été confrontés à la difficulté de la réduction de leurs moyens, qui peut être estimée entre 25 et 30 %, avec non pas une suppression significative du nombre de missions, mais une évolution des conditions dans lesquelles elles sont remplies. Le numérique et l'efficience plus importante des systèmes d'information ont certainement permis de compenser, dans une certaine mesure, les diminutions d'effectif. Les services de l'État ont une préoccupation constante de maintien d'une capacité d'expertise au niveau territorial pour accompagner les projets des collectivités locales. Cette fonction de conseil auprès des élus est essentielle et difficile à quantifier, puisqu'elle n'est pas dévolue à un service particulier mais largement mise en oeuvre au quotidien par les préfets, sous-préfets et services de l'État.
Vous me posiez la question, Madame la Sénatrice, de la disparition de l'ATESAT. Celle-ci correspondait d'abord à des missions de maîtrise d'oeuvre qui peuvent être assez aisément externalisées par les communes auprès d'un certain nombre de prestataires privés, si elles n'ont pas été assumées par des agences départementales, comme l'ont fait certains départements. Le rôle de l'agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) est aussi d'accompagner les collectivités dans des projets complexes. Enfin, cette contrainte a été rendue nécessaire par l'amoindrissement des moyens de l'État. Nous n'avons pas, au niveau départemental, la capacité de poursuivre des missions d'assistance technique en maîtrise d'oeuvre compte tenu de l'attrition des moyens. En revanche, la fonction de conseil et d'appui se poursuit sur les sujets complexes. C'est pourquoi les préfets et sous-préfets ont un rôle à jouer, en partenariat étroit avec les maires et les conseils départementaux et régionaux.
Vous m'avez en outre interrogé sur le contrôle de légalité. Celui-ci correspond à la faculté confiée à tout citoyen qui a intérêt à agir, à titre individuel ou collectif, de former un recours contre une délibération après avoir, le cas échéant, formé un recours gracieux contre les décisions prises par une collectivité. La transmission de la délibération à la préfecture permet sa mise en oeuvre effective. Le préfet dispose ensuite d'un délai de deux mois pour réaliser le contrôle de légalité correspondant et, le cas échéant, saisir le tribunal administratif. Dans l'organisation des préfectures, cette fonction n'occupe pas un grand nombre de fonctionnaires (de l'ordre de 4 % des effectifs en ce qui concerne les Bouches-du-Rhône). Pour autant, la fonction de conseil n'est pas réduite à ces effectifs, ce conseil étant mis en oeuvre à tous les niveaux.
Le rôle du préfet de zone est également important, même s'il se déploie sur des zones territoriales très vastes, qui lui donnent une responsabilité en matière de répartition des moyens qui sont délégués en appui au préfet de département. Ils ne donnent pas de responsabilité particulière au préfet de zone en matière de pilotage des crises, sauf lorsque celles-ci excèdent, par leur ampleur, la responsabilité d'un préfet de département. Le préfet de zone a, depuis quelques années, une responsabilité de coordination générale en matière de politique migratoire. En effet, le ministre de l'Intérieur lui demande aujourd'hui d'assurer une régulation des placements dans les centres de rétention administrative (CRA) pour optimiser les conditions d'occupation de ces structures.
S'agissant de l'avenir et de la relation du corps préfectoral avec les territoires, depuis 1800, l'institution préfectorale a toujours conservé des fonctions de représentation et d'incarnation de l'État au niveau territorial, le préfet étant le seul fonctionnaire dont les missions sont définies dans la Constitution. Ces fonctions ont vocation à perdurer, de même que cette relation singulière avec les élus locaux et les collectivités territoriales, qui participent de l'efficacité de la mise en oeuvre des politiques publiques.
En termes de points d'attention, vous m'avez interrogé sur la mise en oeuvre d'un principe d'autorité hiérarchique, en particulier sur des directions ou services de l'État qui ne sont pas placés sous l'autorité directe du préfet, comme les directeurs départementaux ou régionaux des finances publiques ou les recteurs et directeurs académiques. Cette question peut être soulevée par souci de cohérence de l'État territorial. Un principe doit à mon sens être rappelé : l'unicité du commandement de l'État territorial, comme de l'État national, en situation de crise. Celle-ci doit être fermement réaffirmée dans la mise en oeuvre des moyens confiés aux préfets au niveau départemental puis zonal, et également dans le principe de déconcentration. La tentation peut être grande, du fait des possibilités offertes par les systèmes d'information, de piloter la crise depuis le niveau national. Le pilotage opérationnel de la crise doit en l'occurrence être au plus près du lieu où elle se produit, soit le niveau départemental. Cette responsabilité doit demeurer celle du préfet et de l'autorité civile qui a la responsabilité de la direction des forces de l'ordre. Il semble important d'en faire un principe intangible de l'organisation de l'administration déconcentrée.
Enfin, des perspectives de réforme du corps préfectoral se font jour. Cette institution est relativement récente, puisque si la fonction préfectorale est plus que bicentenaire, les corps n'existent que depuis l'immédiat après-guerre. Cette réforme vise à supprimer la notion de corps, au sens statutaire, tout en maintenant les fonctions de représentant de l'État incarnées par le préfet ou le sous-préfet. Cela n'emporte d'ailleurs pas nécessairement de modification du nom de l'association. Il importera de garantir deux éléments. D'abord, il s'agira de garantir le professionnalisme des sous-préfets et des préfets amenés à exercer ces fonctions sur le territoire, ce qui suppose de veiller, dans l'organisation des carrières, à garantir l'acquisition d'un savoir-faire relatif à l'entretien des relations avec l'ensemble des partenaires locaux. Cette acclimatation à l'administration territoriale n'est pas antagoniste de la diversité des recrutements. De tous les corps de la haute fonction publique, le corps préfectoral est ainsi peut-être le plus accueillant, puisque le recrutement par l'ENA est largement minoritaire. La majorité du corps est aujourd'hui recrutée par détachement ou par intégration de fonctionnaires venant d'autres horizons ministériels et d'autres fonctions publiques, voire de personnes qui ne sont pas originaires de la sphère publique. Par ailleurs, l'association a exprimé la préoccupation d'une animation qui soit encore assurée par le ministère de l'Intérieur, considérant que cette dualité de missions incombant au corps préfectoral (être le représentant de l'État et du gouvernement d'une part, et être l'incarnation de l'interministérialité de l'État au niveau territorial et celui qui détient l'autorité civile sur les services chargés de la sécurité de nos concitoyens d'autre part) doit être garantie, quelle que soit la nouvelle organisation. Le ministère de l'Intérieur, qui a la double responsabilité d'être le ministère des sécurités et de l'administration territoriale, doit garantir le maintien de cette dualité.
Cette réforme importante ne doit pas altérer les principes sur lesquels a été construite cette incarnation symbolique du rôle du préfet pour dialoguer avec les acteurs au niveau local et de cette continuité de l'action publique au niveau territorial. Les préfets et les sous-préfets n'ont ni droit de grève, ni droit syndical et sont soumis à une stricte obligation de loyauté, donc à un devoir de réserve renforcé. Tous ces éléments doivent se retrouver dans le futur statut d'emploi, dont l'élaboration est actuellement en cours entre le ministère de l'Intérieur et le ministère de la Fonction publique.