Mes chers collègues, comme vous le savez, nous avons décidé de travailler au premier semestre 2022 sur le thème de la pornographie. Nous nous penchons à la fois sur le fonctionnement et les pratiques de l'industrie pornographique, les conditions de tournage, les représentations des femmes et des sexualités véhiculées ainsi que sur l'accès, de plus en plus précoce, des mineurs aux contenus pornographiques et ses conséquences en matière d'éducation à la sexualité.
La presse s'est récemment fait l'écho de graves dérives dans le milieu pornographique français - avec des pratiques de plus en plus violentes et dégradantes et des mises en examen pour viols de plusieurs acteurs et producteurs. Ces dérives nous ont confortés dans notre choix de cette thématique de travail.
Il s'agit selon nous d'un véritable sujet de société. D'après les chiffres récents dont nous disposons, on dénombre en France aujourd'hui vingt millions de visiteurs uniques de sites pornographiques par mois. Selon un sondage Opinionway de 2018, réalisé auprès de jeunes de 18 à 30 ans, 75 % des jeunes hommes et 20 % des jeunes femmes déclarent regarder des vidéos pornographiques au moins une fois par semaine.
En outre, 80 % des mineurs ont déjà vu des contenus pornographiques et, à 12 ans, près d'un enfant sur trois a déjà été exposé à de telles images.
Nous sommes quatre sénatrices rapporteures pour mener ces travaux : Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et moi-même.
Pour la bonne information de toutes et de tous, je précise que cette réunion fait l'objet d'un enregistrement vidéo, accessible sur le site Internet du Sénat en direct puis en VOD.
Nous accueillons aujourd'hui deux journalistes qui ont enquêté sur le milieu de la pornographie et ont publié des ouvrages sur le sujet : Robin D'Angelo, journaliste d'investigation indépendant et auteur de Judy, Lola, Sofia et moi, publié aux Éditions Goutte d'Or en 2018, que l'on ne peut d'ailleurs plus se procurer en librairie ; et Marie Maurisse, journaliste d'investigation, correspondante en Suisse du journal Le Monde et auteure de Planète Porn - enquête sur la banalisation du X, publié aux Éditions Stock en 2018, connectée en visioconférence.
Je vous souhaite la bienvenue à tous les deux. Nous allons vous laisser nous présenter vos livres respectifs issus de plusieurs mois, voire années, d'enquête. Vos témoignages seront un éclairage supplémentaire pour aborder diverses questions que nous nous posons dans le cadre de nos travaux.
Nous nous interrogeons tout d'abord sur les changements entraînés par la massification de la pornographie en ligne, accessible à tous gratuitement et aisément, en un clic, via ce que l'on appelle « les tubes pornos », qui sont des plateformes de diffusion de vidéos X gratuites. Quelles évolutions avez-vous pu constater dans les pratiques des professionnels du secteur ainsi que dans les contenus proposés ? Ces contenus sont-ils effectivement de plus en plus extrêmes et dégradants et quelle est, selon vous, la proportion de vidéos violentes et humiliantes ?
S'agissant des conditions d'exercice des personnes filmées, nous sommes intéressés par les témoignages que vous avez pu recueillir, par le profil et le parcours des personnes que vous avez rencontrées, hommes et femmes, et par ce qu'elles ont pu vous dire de leurs motivations, du respect ou non de leur consentement, et plus généralement des pratiques du secteur. Nous nous intéressons également au modèle économique sur lequel repose aujourd'hui cette industrie.
En quoi la situation en France est-elle différente de celle à Los Angeles, à Las Vegas, à Budapest ou à Prague, principaux lieux de tournage aujourd'hui ?
Pensez-vous que la distinction entre la pornographie dite « professionnelle » et la pornographie « amateure » a encore du sens aujourd'hui ? Robin D'Angelo évoque pour sa part dans son livre, le porno « pro-am », mélange entre milieu professionnel et milieu amateur. Vous pourrez peut-être nous préciser de quoi il s'agit et pourquoi vous qualifiez l'industrie pornographique d'opaque.
Que penser, en outre, des initiatives de pornographie éthique ou féministe, si tant est que de tels termes aient du sens ?
Nous nous intéressons enfin aux conséquences de l'accès facilité aux contenus pornographiques et d'une consommation accrue de ces contenus, notamment par les plus jeunes, mais pas uniquement. Vous nous direz quel regard vous portez sur ce sujet.
Je laisse sans plus tarder la parole à Marie Maurisse, qui intervient par visioconférence depuis la Suisse.