Intervention de Marie Maurisse

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 17 février 2022 : 1ère réunion
Audition de M. Robin d'aNgelo et Mme Marie Maurisse journalistes ayant enquêté sur le milieu de la pornographie

Marie Maurisse :

Bonjour. Merci pour l'invitation et bravo pour votre travail, qui m'apparaît essentiel. Il était temps de s'intéresser à cette question.

J'ai enquêté pendant plus de deux ans sur le sujet. Mon livre a été publié en 2018. J'avais pour objectif de me faire une idée assez globale de la pornographie, en tant que secteur économique d'abord. Je suis avant tout journaliste économique, raison pour laquelle je voulais en premier lieu m'intéresser aux mutations dans ce secteur, qui, d'un point de vue économique, est finalement un secteur comme un autre : c'est du contenu qui est vendu.

Je me suis rendue en France, aux États-Unis, en Hongrie et en Espagne. J'ai ainsi pu avoir des visions différentes selon l'endroit où je me trouvais.

Il est compliqué de résumer si rapidement ce que j'ai pu constater. Pour autant, il existe un point sur lequel tout le monde s'accorde : la pornographie est un secteur en crise depuis plusieurs années maintenant.

Par le passé, de grosses entreprises faisaient leur travail de manière classique, comme de grandes productions de cinéma. Le secteur était concentré entre les mains de quelques groupes. De ce fait, le milieu était assez lucratif. Les consommateurs payaient les films qu'ils achetaient ou louaient. C'était assez cher. Les personnes qui travaillaient dans le milieu bénéficiaient de conditions de vie relativement bonnes. On pouvait gagner de l'argent. Les abus existaient mais ils étaient, selon moi, assez encadrés et limités. En outre, les acteurs et actrices étaient plus connus et moins nombreux. Ils avaient une voix par le biais des syndicats. J'ai l'impression qu'ils étaient mieux défendus, notamment aux États-Unis. De nombreuses lois y ont été mises en place pour contrôler et encadrer ces pratiques, notamment sur les tarifs, la manière dont ils étaient rémunérés (à la journée), ce qu'ils pouvaient faire ou non, le respect de leur envie d'accepter telle ou telle pratique. Tous ces éléments étaient mieux contrôlés.

Avec l'arrivée des sites Internet, tout cela a volé en éclats. Ils ont transformé le secteur économique, dans lequel les acteurs d'avant ne gagnent plus autant d'argent. Les consommateurs paient beaucoup moins pour consommer de la pornographie, voire plus rien. Il y a donc beaucoup moins d'argent. Tout est beaucoup plus disséminé. Il y a beaucoup plus de petits producteurs isolés, qui produisent leurs petits films et les diffusent sur Internet. Tout est beaucoup plus diffus. Les personnes travaillant dans ce secteur sont alors moins unies. Leur parole est moins organisée et collective pour essayer d'imposer des règles et des chartes. Nous avons plutôt affaire à une série d'individus faisant tous des choses différentes. Nombreux sont ceux qui franchissent des limites morales, éthiques et légales. Ce constat est le même partout.

Aux États-Unis, j'ai pu observer une forte place des syndicats et des associations défendant les travailleuses du secteur. Il y a davantage de procès en cours. Il y a quelques années, quand je m'y suis rendue, un certain contrôle était encore assuré. J'ai rencontré des agents d'actrices qui semblaient assez carrés.

Parmi les femmes avec lesquelles j'ai pu échanger, certaines étaient très connues, d'autres moins. Toutes me disaient constater une baisse de qualité dans les tournages. Aujourd'hui, en une journée, elles font beaucoup plus de choses que par le passé. Elles doivent tourner plus de scènes qu'auparavant, ce qui est plus fatigant et éprouvant. Les tarifs ont également diminué. Pour pouvoir continuer à travailler, ces personnes, payées à la journée, doivent élargir leur spectre de possibilités. Une actrice qui refusait certaines pratiques - la sodomie, par exemple - est aujourd'hui poussée à les accepter.

Par le passé, une actrice suffisamment connue pouvait se permettre de fixer des limites. Dans les agences gérant les actrices aux États-Unis, chacune dispose d'une fiche listant ce qu'elle accepte ou non de faire. Elles m'ont indiqué être confrontées à une pression de plus en plus forte pour faire un maximum de choses devant la caméra. La présence importante de syndicats ou de personnes encadrant le secteur dans le pays n'empêche donc pas une pression informelle pesant sur les actrices, pouvant expliquer la banalisation de pratiques assez extrêmes, telles que les « gorges profondes ». Je ne dresserai pas de description large de ce que l'on trouve sur ces sites, je pense que vous en êtes déjà informés. Voilà pour les États-Unis.

La situation m'a semblé mille fois pire à Budapest, qui a émergé comme place de pornographie parce que tout était devenu trop contraignant et trop cher aux États-Unis, m'ont dit les spécialistes. À Budapest, tout est plus simple et plus souple. La pornographie y est légale. Toute une industrie s'y est mise en place, avec des agences, des studios où sont filmées les scènes. On y trouve une main d'oeuvre à volonté de jeunes femmes très peu chères, originaires des pays de l'Est, notamment de la Russie, qui viennent gagner leur vie de cette manière. Des hommes vont les chercher directement dans leur pays d'origine. Des sortes de castings sauvages y ont lieu. Les filles sont ramenées à Budapest où elles signent des sortes de contrats. Techniquement, certaines pratiques sont interdites mais les contrôles sont très peu fréquents. Tout se fait sous le radar. J'ai recueilli des témoignages assez extrêmes de jeunes filles mineures dont la première relation sexuelle s'est déroulée devant une caméra. Des producteurs et acteurs connus pour des pratiques extrêmes se rendent là-bas car ils savent qu'ils ne seront pas inquiétés. Typiquement, sur ces tournages, même lorsque la fille sait qu'elle va faire de la pornographie, la situation dérape lorsqu'elle arrive sur le plateau de tournage. Elle se retrouve à faire des tas de choses qu'elle ne souhaitait pas faire, dont elle n'était pas informée, y compris des scènes assez violentes. C'est très traumatisant pour ces femmes. À Budapest, je n'ai à l'époque pas constaté d'encadrement spécifique en la matière.

Je laisserai mon confrère développer sur la France puisqu'il a beaucoup travaillé sur ce sujet. J'ai moi aussi un peu enquêté sur le secteur amateur en France. J'ai assisté à des scènes surréalistes. Des femmes très précaires, en grande difficulté économique et sociale, étaient présentes sans savoir ce qu'elles faisaient là, sans savoir comment elles avaient atterri là, parce qu'elles avaient besoin d'argent. Elles faisaient ça pour quelques dizaines d'euros. Elles sont abusées, bien qu'elles aient techniquement donné leur accord. C'est un cercle infernal. Les scènes sont extrêmement violentes.

J'avais demandé un peu partout à réaliser des interviews avec des brigades chargées de contrôler ces tournages en France. Je sais qu'elles existent. Je n'ai eu aucune réponse, aucun retour des instances contactées.

En assistant à ces tournages, j'ai compris que les producteurs étaient attentifs au contrôle de l'âge, qu'ils vérifiaient bien la carte d'identité de la personne pour s'assurer qu'elle ait au moins 18 ans. Ils semblaient très prudents à ce sujet, de ce que j'ai pu constater.

En dehors de cet élément, il n'y avait absolument aucune règle, aucun contrôle, pas même concernant le port du préservatif. Souvent, la femme se retrouve seule face à des groupes d'hommes. C'était d'une violence très difficile à observer pour une journaliste.

Je n'identifie qu'un seul point positif dans cette situation. Internet a permis aux actrices de développer leur propre marque en ligne. Certaines disposent de leur site Internet et de leur propre chaîne sur Chaturbate ou autres sites de live. Elles organisent des rendez-vous en direct avec des clients. Tout se passe à travers la caméra. Le rapport sexuel n'est pas réel. Grâce à ces plateformes, elles gagnent plus d'argent et complètent ainsi les revenus perdus dans le cinéma X classique. Certaines vivent comme une vraie libération le fait d'être indépendantes et de ne plus avoir d'intermédiaires entre elles et le public. Cela renforce leur propre identité et leur respect d'elles-mêmes. Plusieurs filles que j'ai rencontrées se sentent comme des entrepreneuses, comme des femmes développant leur propre marque et leur propre produit. Ce produit, c'est elles-mêmes, mais c'est ainsi qu'elles le vivent.

Tout cela a également permis l'émergence d'une pornographie féministe, qui reste de niche - on parle à peine de quelques pourcents sur le marché global -, mais qui se développe tout de même. Elle commence à infiltrer les conférences internationales sur le sujet, ou les festivals. Nous pouvons y voir du positif. J'ai rencontré une des réalisatrices les plus importantes dans ce domaine en Espagne. Les manières de travailler sont complètement différentes. Le script est développé en partenariat avec les acteurs et les actrices. Tout est LGBTQ+ et les pratiques ne sont donc pas nécessairement extrêmement hétérogenrées. La pénétration n'y est pas systématique. Les actrices sont beaucoup plus libres de dire ce à quoi elles consentent ou non. On parle de pratiques n'ayant rien à voir avec tout le reste. Ce marché reste toutefois extrêmement confidentiel pour l'instant. C'est l'avènement d'Internet qui a permis sa naissance. Tout n'est donc pas négatif de ce point de vue. Pour autant, le secteur reste en crise, avec les conséquences que l'on connaît.

Je suis ouverte à toutes vos questions. J'ai résumé très rapidement la situation. L'avis de Robin sera peut-être différent.

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