Intervention de Robin D'Angelo

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 17 février 2022 : 1ère réunion
Audition de M. Robin d'aNgelo et Mme Marie Maurisse journalistes ayant enquêté sur le milieu de la pornographie

Robin D'Angelo :

Merci. Je présente davantage mon enquête comme une immersion que comme une infiltration. Je me suis toujours présenté comme un journaliste aux personnes que j'ai interviewées, ce qui m'a permis de les côtoyer et de les accompagner sur des tournages, parfois en jouant le figurant. C'était la contrepartie : je devais leur servir à quelque chose sur le tournage. C'est ce qui m'a permis de documenter ce qui s'y passait. J'ai fréquenté ce milieu pendant un peu plus de deux ans.

A l'origine, j'ai voulu écrire ce livre car, à mes yeux, les médias donnaient toujours la parole aux mêmes personnes lorsqu'il fallait évoquer la pornographie : les stars du X, les producteurs les plus en vue, mais jamais toutes ces femmes inconnues qui vont faire trois ou quatre scènes dans leur vie. Ce sont pourtant bien elles qui remplissent le flux de ces tubes porno. La plupart de ces actrices anonymes ne sont pas du tout dans une dynamique de carrière. Je voulais recueillir leur parole et comprendre leur parcours. Comment en arrivaient-elles à faire trois ou quatre scènes, qui peuvent parfois les poursuivre très longtemps ? Voilà ma démarche.

De fil en aiguille, j'ai souhaité m'intéresser aux hommes, qui sont le moteur de cette industrie. La plupart des femmes que j'ai rencontrées dans ce milieu évoluaient déjà dans l'univers sexiste qui est le nôtre. Il existe une hiérarchie entre hommes et femmes dans la sexualité. La plupart d'entre elles, par leur parcours de vie, essayaient d'en tirer profit. J'ai par exemple recueilli le témoignage assez poignant d'une jeune femme qui me disait qu'elle avait, depuis quinze ans, une réputation de « fille facile » dans sa petite ville, que tout le monde venait toujours l'ennuyer, parce qu'elle avait démarré sa sexualité assez jeune. Arrivée dans le monde du porno, elle a trouvé une forme de soupape, puisque tout ce qui lui était reproché dans la société était ici normalisé. Quand elle est entrée dans ce secteur, elle en était assez contente. Tous les parcours pouvant amener des femmes dans le porno m'ont intéressé.

La façon dont les hommes - y compris le consommateur - dans le milieu de la pornographie vont se servir de cette domination patriarcale et en abuser pour faire de l'argent ou trouver de la gratification sexuelle m'a semblée centrale. Le sujet de la pornographie doit à mon sens être largement abordé par le prisme des hommes.

La plupart de ces femmes trouvent juste le moyen de retourner le stigmate ou de gagner de l'argent avec des traumatismes qu'elles ont subis. La fréquence des abus sexuels est omniprésente. La plupart des actrices que j'ai rencontrées y ont été exposées dans leur jeunesse. Certaines m'indiquaient qu'après avoir démarré leur vie sexuelle par un viol ou des viols répétés, coucher avec un homme qu'elles ne désirent pas pour de l'argent ne leur fait strictement rien. Au contraire, cet acte est rémunérateur. Elles ne voient pas où est le problème. C'est ainsi qu'elles se racontent elles-mêmes.

Partant de ce point de vue, j'ai décidé d'interroger les hommes également, pour comprendre pourquoi eux-mêmes ne voient aucun problème à se servir de cet état pour monétiser le sexe et obtenir de la gratification sexuelle sans aucun intérêt et aucun respect pour leur partenaire.

Je me suis également intéressé au système économique de ce porno français. Je l'ai surtout développé dans les enquêtes ayant suivi mon ouvrage. On y observe réellement une hiérarchie, matinée de cynisme, entre les diffuseurs et les producteurs. Dans ce circuit, les diffuseurs font tout pour ne pas être légalement responsables des producteurs. Ils savent très bien que certaines vidéos sont tournées dans des conditions déplorables, avec des abus. Ils mettent tout en oeuvre pour ne pas être responsables. Je pense évidemment à Dorcel ou à Jacquie & Michel, qui installent des barrières. Ils essaient aujourd'hui de développer un marketing autour de vidéos éthiques, en mettant en place une charte. Comprenez bien que des années durant, ces sites ont bien été informés du fonctionnement de leurs producteurs. Ils ont réussi à se protéger légalement en n'étant pas directement liés à ces derniers. Une réflexion me semble nécessaire quant à l'interaction entre la responsabilité des plateformes qui diffusent et celle des producteurs.

Ensuite, il me semble essentiel de ne pas faire du porno un monde à part de notre société. C'est simplement une loupe sur les abus qui existent partout ailleurs. J'ai réalisé mon enquête pendant l'affaire Weinstein. Toutes les actrices que j'ai interrogées me disaient « Mais tu crois que ce n'est pas pire dans le cinéma traditionnel ? C'est exactement la même chose ». Évidemment, je ne vais pas reprendre ces propos à mon compte, mais il faut tout de même bien garder en tête que ces abus se retrouvent partout. Les pratiques mises en valeur dans ces films ne sont finalement qu'une illustration et une sexualisation des rapports sociaux qui existent partout dans la société. On le voit notamment beaucoup dans les scènes dites interraciales, entre des hommes noirs et des femmes blanches. Y sont alimentés tous les stéréotypes racistes existant ailleurs dans la société. Simplement, ils sont sexualisés pour en faire un objet masturbatoire. Ce n'est absolument pas différent de ce qu'on voit ailleurs.

S'attaquer au porno en cherchant à l'interdire ne fonctionnerait pas. Il est très facile de contourner cette interdiction et d'accéder à un film avec un VPN par exemple. Déjà, comment allons-nous définir la pornographie ? Interdisons-nous les représentations sexuelles ? À mon avis, il ne sera pas possible de trancher ce débat. Finalement, la marge de manoeuvre se trouve dans le reste de la société, en faisant prendre conscience des dynamiques patriarcales qui existent partout et qui se retrouvent illustrées dans la pornographie.

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