J'ai beaucoup entendu ces questions lorsque j'ai fait la promotion de mon ouvrage, de la part de lectrices notamment, surtout de mamans, de femmes et de mères s'inquiétant de cette pornographie banalisée et visible partout.
Je vais reprendre vos sujets dans l'ordre. Par rapport au contrat de travail, oui, pour les personnes que j'ai interrogées, c'est un travail même si ce n'est pas mon avis. Les femmes comme les hommes qui font cela le font pour de l'argent. Si cela peut paraître étrange pour des personnes comme nous, qui ne monnayons pas nos performances sexuelles, c'est bien un travail comme un autre pour ces individus. Nous devons donc l'envisager ainsi. Il faudrait donc qu'il y ait un contrat de travail, ce qui n'est pas nécessairement le cas sur les tournages amateurs. Tout n'est pas nécessairement écrit. Généralement, il n'y a qu'un échange de messages ou une discussion orale. Ce que l'actrice doit faire ou non n'est pas écrit noir sur blanc. Les producteurs passent des messages indiquant qu'ils cherchent, par exemple, une « beurette de 35 ans pour tournage X, Paris 18e ». Ils diffusent ces annonces dans des journaux partout dans le pays et attendent que quelqu'un y réponde. Il n'y a donc pas toujours de contrat de travail. Ces tournages ne sont pas vraiment déclarés. Tout cela n'est pas clair. S'il y avait un contrat de travail, une obligation de tout noter, les débuts et fins de tournage, etc., tout serait plus simple. Il serait possible de réellement encadrer ces scènes. Dans ce type de tournage, il n'y a rien de tout cela. Il faudrait commencer par ce point et renforcer les contrôles.
Quand j'assistais à ces tournages, les producteurs étaient un peu attentifs. Ils s'assuraient de l'identité des acteurs et surtout de celle de l'actrice. Si je n'avais pas été là, je ne sais pas s'ils auraient été aussi regardants. Ils m'ont indiqué procéder à ces vérifications en cas de contrôle. En réalité, la police spécialisée dans le domaine n'était pas informée du tournage de scènes pornographiques dans un appartement parisien tel jour à telle heure.
Je pense donc qu'il faudrait mieux encadrer le secteur. Comment le faire ? Je n'en ai malheureusement aucune idée. Quels effectifs mettre en place ? Comment forcer les professionnels à déclarer leur activité et à mettre en place des règles ? Je ne le sais pas exactement.
Ensuite, on peut être opposé à la pornographie éthique. Il existe un courant de pensée et de personnes tout simplement opposé à la pornographie, considérant que ce n'est pas un bien culturel, que ce n'est pas un divertissement et que c'est par essence mauvais. Avec ce point de vue, bien sûr qu'il ne peut exister de pornographie éthique.
Pour autant, si on pense que la pornographie existe depuis la nuit des temps, pratiquement depuis l'âge des cavernes et qu'il s'agit d'un divertissement faisant partie de la composante humaine, alors oui, il existe une pornographie éthique, c'est-à-dire une manière de fabriquer du cinéma X conforme à toutes les sexualités, respectueuse du droit des acteurs et des actrices. Un scénario est plus ou moins établi. On laisse les acteurs et les actrices agir et commencer leurs relations sexuelles devant la caméra. Ils font un peu ce qu'ils veulent, dans le sens qu'ils souhaitent. Cela peut commencer par une relation lesbienne, avant de s'ouvrir à d'autres pratiques. Tout cela se fait plus lentement, plus naturellement. Les acteurs se voient plusieurs jours avant. Ils ont des relations après. Surtout, le regard féminin est important. Vous avez dû entendre parler du male gaze, le regard masculin. Traditionnellement, la pornographie était faite par des hommes plutôt âgés, plutôt blancs, avec une vision du sexe extrêmement genrée, sexiste et patriarcale. La pornographie éthique prend mieux en compte le désir féminin. Si c'est une femme derrière la caméra, elle ne va pas filmer la femme de la même manière que le ferait un réalisateur américain classique. Je crois donc personnellement en cette pornographie éthique, bien qu'on puisse considérer que la pornographie en elle-même peut ne pas être une bonne chose. Je conçois ce point de vue, partagé par beaucoup de féministes d'ailleurs.
Enfin, vous évoquiez l'accès à la pornographie. En tant que mère, en tant que femme, je peux en être inquiète. J'ai lu énormément d'études sur le sujet. Les enfants voient très jeunes - plus jeunes qu'avant - des images violentes sur Internet. Une scène pornographique sur Youporn est évidemment extrêmement violente pour un enfant. Elle peut être néfaste pour son développement. Comment l'empêcher ?
Le Royaume-Uni a voté il y a quelques années une loi de censure assez radicale. Les diffuseurs de pornographie sur Internet sont obligés de mettre en place un contrôle avec la carte de crédit. Si vous êtes à Londres, en théorie, si vous tapez Youporn.com, vous ne tombez sur aucune image pornographique. Vous devez entrer vos documents d'identité, voire votre carte de crédit, qui atteste en réalité de votre âge. Une fois que vous avez entré ces informations, vous avez accès aux contenus du site. Cette loi de censure a suscité des débats, notamment sur la liberté de consommer ce qu'on souhaite. Elle a tout de même été votée. Elle n'a toutefois pas encore été mise en place sur le plan technique. Le pays y travaille pourtant depuis des années mais le système est très compliqué à mettre en place. Il faut un outil empêchant chaque personne d'accéder au site, en installant un pare-feu. Le Royaume-Uni peine encore à le faire. Je sais que des débats ont eu lieu en France pour reproduire ce type de dispositif, Emmanuel Macron l'avait abordé lors de sa campagne en 2017. Il est toutefois très difficile de le mettre en place techniquement.
En dehors de ce système, les associations assurent de la prévention. Si nous partons du principe que les enfants auront de toute façon accès à ces images, il est important d'en parler avec eux et de ne pas considérer que c'est interdit ou tabou. Il faut les prévenir, leur expliquer que c'est du cinéma, que ce n'est pas la réalité, que ce n'est pas comme ça qu'on fait l'amour. Beaucoup de personnes interviennent dans les écoles pour aider cette prévention mais rien n'est clair ni institutionnalisé. Tout dépend des établissements scolaires, des villes. Généraliser cette prévention permettrait à mon sens d'ouvrir la parole des jeunes sur ce qu'ils ont vu, de lancer le débat entre eux. J'accueille toutes ces idées, qui me semblent être le moyen le plus simple et efficace d'aider la jeunesse à vivre avec cette pornographie.