Intervention de Robin D'Angelo

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 17 février 2022 : 1ère réunion
Audition de M. Robin d'aNgelo et Mme Marie Maurisse journalistes ayant enquêté sur le milieu de la pornographie

Robin D'Angelo :

Je veux revenir sur le sujet des contrats. J'ai été particulièrement choqué par une scène d'une extrême violence où l'actrice m'a ensuite indiqué être battue par son mari, qui l'a presque forcée à faire de la pornographie. Au final, je trouverais incroyablement cynique de donner un contrat de travail à cette femme, de blanchir tout cela légalement en rendant cette activité « propre ».

Aborder le problème du porno par la question des contrats est en décalage avec la réalité d'un tournage porno, qui se passe de la façon suivante : on arrive dans une pièce, avec des gens qui fument des joints, voire qui sniffent un rail de coke. Des acteurs arrivent à la dernière minute. Les actrices attendent dans leur coin, souvent dans une perspective d'argent rapide, et pas d'exercer un travail. Les billets passent de main en main. L'économie est tellement informelle avec des problématiques d'abus qui sont structurelles que l'aborder par la question des contrats me semble cynique et en décalage. Dans les faits, il n'y a que des contrats de droits de diffusion, seul document signé par les actrices. C'est une cession de droit à l'image, souvent assortie de clauses indiquant qu'elles seront payées en tant qu'auto-entrepreneuses et que ce qu'elles réalisent n'est pas un métier, mais uniquement du porno amateur. Cela permet de casser tout lien de subordination et donc d'éviter tout risque d'assimilation à un emploi dissimulé.

La question des contrats rejoint celle du consentement. Nous ne sommes pas tous égaux devant ce dernier. Le consentement d'une jeune femme de 19 ans en rupture familiale et exposée à des violences depuis ses 15 ans n'aura pas du tout la même valeur que celui d'une femme de 35 ans, insérée socialement, qui fait du porno pour son plaisir, si tant est que cela existe. Évidemment que faire un contrat de travail pour cette jeune femme en situation de précarité serait à mes yeux assez cynique. Ce sujet pose la question intrinsèque à la pornographie qui est celle d'une forme de monétisation de la contrainte sexuelle. Veut-on mettre en place un contrat pour en faire un milieu comme un autre ? Toute la question vise à trouver un équilibre entre une réduction des risques pour ces femmes et le positionnement de la société vis-à-vis de cet achat de contrainte.

J'ai été témoin en permanence de cet achat de contrainte. Je me suis ainsi retrouvé sur une scène pour laquelle le producteur n'avait pas précisé à la femme quelles pratiques seraient réalisées, pour la prendre par surprise devant la caméra. Il a commencé à gifler les seins de l'actrice de façon assez forte. Elle a hurlé de douleur. Le sujet a été réglé par une rallonge budgétaire. Je pensais qu'à la fin, l'actrice, qui avait un fort caractère, publierait un avertissement sur Twitter pour inciter les femmes à ne jamais tourner avec ce producteur, indiquant qu'il était un abuseur. Finalement, elle a dit à ce dernier « violent sex is more money ». Cette monétisation de la contrainte et du désir est permanente. Voulons-nous contractualiser cette relation ?

Évidemment, je crois qu'il peut exister une pornographie éthique. Cette question est totalement légitime. Pour autant, il faut comprendre qu'aujourd'hui, les consommateurs de pornographie ne veulent pas regarder une pornographie éthique. La sexualisation des rapports hommes-femmes et du patriarcat se retrouvent dans les scènes représentées, excitantes, reposant sur ce rapport de domination. Forcément, il est différent de fantasmer ce dernier seul dans sa tête et de le faire représenter par des personnes. Tant que ce sera le substrat de l'érotisme actuel, ce sur quoi repose l'excitation de beaucoup de personnes, la pornographie reposera sur cette idée de contrainte et de domination. À l'inverse, avoir des individus qui essaient d'influer sur l'idée de fantasme en créant une pornographie LGBT, en remettant en question toutes ces représentations patriarcales, peut faire partie d'une pornographie féministe et éthique. C'est possible. Simplement, cette pornographie est économiquement marginale. Les quelques réalisatrices réalisant ce type de films ne peuvent absolument pas en vivre. Elles en réalisent un par an, avec des bouts de ficelle, les tournant souvent avec des copains. Finalement, peut-il y avoir une pornographie éthique à partir du moment où il y a une monétisation du rapport sexuel allant contre le désir ? Cela devient compliqué. On pourrait faire une pornographie reposant sur le désir des acteurs. Simplement, elle n'est pas rentable et ne satisfait pas la moitié du public.

Sur la question de l'accès aux mineurs, les sociologues indiquent souvent qu'il n'existe pas réellement d'étude qui montrerait comment la pornographie aurait bouleversé des générations entières. J'ai 35 ans et j'ai accès à Internet depuis mes 15 ou 16 ans. J'ai regardé de la pornographie régulièrement pendant toute mon adolescence. Je ne pense pas qu'elle ait eu un impact néfaste sur ma sexualité. Je crois que nous devons relativiser. Les enfants et adolescents savent très bien que ce n'est pas la réalité qu'ils voient. Il faut en revanche leur expliquer pourquoi ces représentations sexuelles reposent sur un rapport de domination hommes-femmes. Ne prenons pas les enfants pour des idiots. Nous devons leur expliquer le pourquoi de ces fantasmes.

Il faut en outre réfléchir au fait qu'en limitant l'accès à la pornographie, en contrôlant les tubes, on va permettre à des acteurs économiques tels que Jacquie & Michel ou Dorcel, de récupérer les parts de marché qu'ils avaient par le passé, alors même que ces individus adoptent un fonctionnement assez cynique sur la production porno et alimentent tout le circuit dont nous avons parlé.

Ensuite, il existe évidemment des passerelles entre pornographie et prostitution. J'ai recueilli beaucoup de témoignages de femmes en situation de prostitution, à qui un client a proposé de rencontrer une connaissance qui produit du porno. C'est ainsi qu'on passe d'un univers à l'autre. Les producteurs ont pour objectif de toujours recruter de nouvelles femmes pour alimenter en permanence le flux des tubes. Lorsque des sites web tels que VivaStreet publiaient des annonces de prostitution, ils allaient contacter en masse les femmes qui se prostituaient sur ces sites pour les recruter. La passerelle est évidente. D'ailleurs, beaucoup d'actrices pornographiques ne peuvent pas vivre uniquement de ces tournages et officient en tant que gogo danseuses dans des boîtes de nuit, ou se prostituent à côté. Le « travail du sexe » est à 360 degrés. Les liens sont très forts.

Sur le recrutement, j'ai également été frappé de la force des réseaux sociaux. Généralement, quand les producteurs repèrent une jeune femme publiant des photos un peu sexy sur Twitter ou Instagram, ils vont tous se passer son compte et essayer de la contacter en messages privés pour lui proposer des tournages.

Toujours sur cette idée de travail, qui me semble importante, la plupart des femmes que j'ai rencontrées ne sont pas vraiment en recherche d'un emploi régulier leur permettant de subvenir à leurs besoins en général. C'est plutôt un moyen de faire de l'argent rapidement sur des périodes très courtes. Certaines ne se voient d'ailleurs même pas comme actrices pornos en réalité. Elles vont généralement mutualiser des scènes. Les producteurs vont leur proposer de tourner une multitude de scènes à la fois, pour différents diffuseurs. Elles peuvent tourner jusqu'à une dizaine de scènes en une semaine, toutes payées entre 250 et 300 euros, et gagner jusque 3 000 euros sur ce laps de temps, ce qui peut être assez attrayant. Après, elles ne vont peut-être plus jamais faire de porno de leur vie. La majorité des femmes dans le porno vont le faire une ou deux semaines dans leur vie, ce qui relativise cette idée de métier et de travail. J'ai vraiment perçu une économie informelle, marginale, permettant de faire de l'argent rapidement pour de multiples raisons.

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