Je suis professeur à l'université Paris-Saclay, au Laboratoire interdisciplinaire des sciences du numérique (LISEN), et je vais vous présenter le projet BETA, fruit de la collaboration entre plusieurs universités. La France est assez avancée sur les technologies relatives à l'autisme avec, en particulier, des fondations privées qui ont aidé en ce sens. Depuis une vingtaine d'années, de nombreuses technologies numériques ont été développées dans ce domaine. Elles peuvent concerner l'éducation, l'entraînement des capacités sociocognitives et l'assistance dans la vie ordinaire. Par exemple, les autistes ont souvent une tablette pour communiquer avec des pictogrammes. Cette avancée a un impact concret. Ces outils sont aussi utiles pour tout ce qui a trait à l'environnement et notamment la communauté de l'autisme, qui implique les parents et les professionnels : les médecins et les personnels paramédicaux - ergothérapeutes, psychomotriciens, orthophonistes et psychologues.
Les technologies numériques ont de réels atouts pour la prise en charge des troubles du développement. Elles créent un environnement prévisible et rassurant pour l'enfant. Il y a beaucoup de stimulations que nous pouvons contrôler ; ainsi nous pouvons gérer les problèmes d'attention. Elles permettent également de leur proposer un apprentissage et un entraînement riches. Or, la richesse des stimulations est importante pour la plasticité cérébrale. L'outil est également utile comme médiateur des demandes sociales : certains thérapeutes passent par un ordinateur. Les tablettes et smartphones ont un avantage certain en termes de portabilité.
Il ne faut pas non plus oublier les risques. En population générale, l'utilisation excessive par l'enfant ou l'adolescent emporte des risques de sédentarité et d'obésité, ou des problèmes d'isolement ; l'utilisation des technologies numériques peut devenir pathologique. Cela peut entrainer des dénis de traitement dans la prise en charge de l'autisme : si la tablette convient à l'enfant, on risque de ne lui proposer plus d'autres apprentissages qui lui seraient pourtant bénéfiques. Le numérique est un tout : il faut connaître ses atouts et ses risques. L'obsolescence rapide des technologies est aussi à considérer. C'est un problème pour l'évaluation car un essai clinique peut prendre un ou deux ans et la technologie peut être devenue entretemps obsolète. De manière générale, si l'on ne peut proposer de technologies efficaces, il y a un risque de gaspillage des ressources alors que d'autres apprentissages n'auront pas été faits. Or l'enfance est une période critique pour l'apprentissage : des solutions pertinentes doivent donc être proposées.
Il y a huit ans, j'ai publié avec des collègues une méta-analyse de toutes les études concernant des technologies d'entraînement pour les personnes atteintes d'autisme. Elle a permis d'avoir une vision globale de l'efficacité de ces technologies, avec une certaine puissance statistique. Nous nous sommes concentrés sur les études de bonne qualité, c'est-à-dire contrôlées, voire randomisées. La méta-analyse a montré un effet significatif. Nous avons exclu toutes les publications qui n'étaient pas de qualité suffisante : elles étaient nombreuses, signe que l'efficacité de certaines technologies n'est pas rigoureusement démontrée. Nous n'avons trouvé aucune étude de robotique de qualité suffisante pour figurer dans l'analyse. Leur potentiel est réel mais les preuves manquaient pour bon nombre d'applications.
Globalement, on observe une prolifération des aides numériques disponibles sur le marché, dont bien peu sont validées scientifiquement. Nous avons de ce fait voulu proposer un cadre d'accompagnement pour les personnes qui en ont besoin. Nous avons utilisé une méthode DELPHI, méthode utilisée en sciences humaines pour la construction d'un consensus entre experts. Nous avons donc recruté des experts de l'autisme : des personnes atteintes, des parents, des cliniciens et des chercheurs. Plusieurs questions devaient être étudiées : celle de l'efficacité, mais aussi la robustesse, l'engouement que suscite la technologie et sa fiabilité. Nous nous sommes rendu compte que le type de preuve qui doit être recherché dépend de la question soulevée. La preuve scientifique était importante mais ce n'était en fait pas le seul type de preuve nécessaire pour établir le genre de recommandations que nous visions.
Si vous voulez en savoir plus, nous avons créé un site Internet qui présente le projet. Nous avons aussi voulu donner un label sur la qualité et l'accessibilité des preuves relatives aux technologies en créant une base de données qu'il faudra mettre à jour. Cette initiative pourrait être utile aux associations et aux centres de ressources pour guider la communauté de l'autisme sur ces dispositifs.