Intervention de Agnès Arcier

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 24 février 2022 : 1ère réunion
Table ronde sur l'application de la loi sauvadet

Agnès Arcier, présidente de la commission Parité du Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) :

Je vais vous présenter les éléments principaux d'un rapport remis en avril 2021, dont l'étude, le travail et la recherche statistique se sont principalement déroulés en 2020, sur un périmètre plus large que celui des trois fonctions publiques. Il concernait l'ensemble de la sphère publique. Je vais m'arrêter un instant sur le constat large avant de me focaliser sur la fonction publique dix ans après la loi Sauvadet.

Nous pouvons affirmer de manière générale que nous avons progressé. Les dispositifs paritaires ont globalement permis d'avancer. Nous pouvons identifier quatre catégories d'institutions.

Citons d'abord les précurseurs que sont les établissements publics. Ils ressortent généralement de l'article 52 de la loi Sauvadet, qui portait aussi sur les questions de gouvernance et de conseils d'administration. Certains d'entre eux ressortent de la loi Copé-Zimmermann. Après quelques années, l'examen montre que ces établissements publics se sont engagés dans la mise en oeuvre des dispositifs paritaires, avec difficulté. En effet, ces dispositifs sont complexes à mettre en oeuvre en fonction des catégories d'établissements. Nombreux sont ceux qui ne s'y retrouvent pas. Des progrès évidents ont néanmoins été observés dans les chiffres, bien que le secteur manque de suivi. Nous n'avons pu procéder que par sondages et études parcellaires pour obtenir des chiffres.

Ensuite, la deuxième catégorie est celle des ambitieux, qui sont selon nous les trois fonctions publiques, avec une véritable ambition politique portée dès le début, mais qui rencontre des difficultés de mise en oeuvre. Nous n'avons pas pu prendre en compte dans le rapport l'impulsion donnée par Mme la Ministre de Montchalin, puisque nos constats se sont arrêtés à peu près au moment où elle a engagé les actions qu'elle nous a présentées. Les ambitieux se caractérisent par un dialogue social affirmé, par des lois successives, par de nombreux dispositifs de labels, par des chartes et autres outils montrant la volonté d'aller de l'avant. Les résultats n'en ont pas moins été en demi-teinte pendant très longtemps.

Le troisième bloc est celui des respectueux. Il s'agit du monde de l'enseignement supérieur en général, avec des dispositifs paritaires s'appliquant sur les conseils des universités, où la parité est à peu près respectée mais sans réel effet de ruissellement.

Enfin, le dernier bloc est celui des avant-gardistes que sont les autorités administratives indépendantes. Elles nous ont semblé s'être résolument engagées dans la mise en oeuvre des dispositifs paritaires pour atteindre ce que nous pouvons véritablement qualifier de parité. Elles ont fait preuve d'une volonté d'agir sur le sujet de manière systémique et donc d'en faire découler un certain nombre d'initiatives, de politiques de ressources humaines et de traitement de sujets, avec un regard beaucoup plus mixte.

Nous avons eu un dernier regard sur les comités consultatifs, notamment durant toute la période du Covid. Nous avons eu le regret de constater que malgré les dispositifs paritaires dans l'ensemble de la fonction publique, le réflexe paritaire a pu être là - momentanément, nous l'espérons - un peu oublié. En effet, il s'avère que la constitution de la plupart des comités ne respecte pas une parité femmes-hommes.

Si l'on fait maintenant un focus sur la fonction publique, les dispositifs paritaires ont eu un impact réel. Pour autant, nous avons constaté une extrême lenteur pendant des années sur le mécanisme des primo-nominations, qui est celui qui nous intéresse le plus aujourd'hui. Au-delà de l'impulsion très forte qui a pu être donnée sur les années 2019 à 2021, nous devons nous arrêter un instant sur les difficultés structurelles que nous avons observées, qui constituent des obstacles face auxquels l'impulsion doit être permanente pour arriver à avancer sur le chemin de l'égalité.

D'abord, les secteurs techniques restent globalement à la peine. Il est très difficile d'atteindre une progression réelle des femmes dans ce type de fonctions. Il demeure en outre un plafond de verre sur les fonctions de présidence de conseil d'administration, d'autorités administratives indépendantes, d'universités, malgré une progression des chiffres des primo-nominations des grands cadres dirigeants.

Nous avons également constaté une instabilité forte des résultats d'une année sur l'autre. Des progrès sont parfois suivis ensuite d'une forme de régression avant de repartir de l'avant. Nous espérons que les impulsions qui viennent d'être données ne donneront pas lieu à des régressions ultérieures. Pour cette raison, nous pensons qu'il est essentiel de maintenir la pression. Ce n'est peut-être pas seulement une politique de ressources humaines qui peut permettre de la maintenir. Il nous a semblé que la question de la volonté politique devait éventuellement s'inscrire de manière institutionnelle. Certains ministères préfèrent encore payer plutôt qu'agir, c'est vrai. Nous observons en outre des difficultés à développer les viviers, notamment dans les ministères, alors qu'au niveau interministériel, un travail important a pu être réalisé. Il est également nécessaire de soumettre aux règles paritaires toutes les fonctions exécutives des fonctions publiques, et donc d'élargir le champ.

En termes de recommandations, sur les trois fonctions publiques, nous avons d'abord souhaité un portage politique beaucoup plus fort de la question de la parité. Il pourrait se traduire par un comité interministériel inscrit dans le marbre, plus que dans la seule capacité de la ministre à réunir ses collègues. Nous savons néanmoins que même un comité interministériel peut avoir ses insuffisances. Nous pensons également qu'il est très important d'obtenir que les ministres ancrent dans la pratique ministérielle des réunions régulières avec l'ensemble de leurs directeurs d'administrations centrales sur ce sujet, et que cela ne soit pas uniquement une question de dialogue social dans chaque ministère comme cela a été le cas jusqu'à présent. Ce sujet doit aussi être intégré dans les contrats d'objectifs et de moyens des différents établissements publics. Le portage politique inscrit de manière institutionnelle nous paraît essentiel.

Nous avons aussi souhaité une extension du champ des nominations équilibrées. Aujourd'hui, un certain nombre de fonctions n'y figurent pas : magistratures générales et financières, administrateurs des assemblées parlementaires,... Nous ne comprenons pas pourquoi. Nous avons également souhaité qu'il puisse y avoir une mesure en « stock ». Nous serions ravis que le Parlement puisse enfin donner suite aux propositions faites par la ministre.

Nous pensons également qu'il faut désagréger les statistiques telles qu'elles existent aujourd'hui. Avec une présentation grand bloc ministériel par grand bloc ministériel, elles ne permettent pas une vision assez fine. Le travail de la DIESE permettra éventuellement de les désagréger. Nous l'espérons. Nous devons travailler plus finement. Il est trop facile de compenser des secteurs entre eux pour montrer que l'on est bon élève ou qu'on respecte les obligations, mais cela peut être trompeur. Nous pensons aussi qu'il faut parvenir à publier beaucoup plus vite qu'aujourd'hui. Nous avons deux ans de décalage pour obtenir un bilan global de la situation. Nous devons vraiment pouvoir fonctionner en temps réel.

Nous avons également soutenu l'idée selon laquelle il fallait peut-être valoriser ou sanctionner un peu plus et, en tout état de cause, songer à un index de l'égalité pour les fonctions publiques. Nous souhaitons que l'initiative prise par la ministre puisse être poursuivie. C'est en tout cas la recommandation assez claire du HCE.

Enfin, il y a peut-être un enjeu dans le fait de faire toucher du doigt, à l'ensemble des échelons politiques et des différents échelons de la fonction publique, le lien qui existe entre la mixité et la parité dans les fonctions de responsabilité et la transformation publique dont nous avons besoin dans notre pays. Il me semble que ce sujet devrait être mieux compris et appréhendé. Peut-être serait-il bon d'envisager que le comité interministériel régulier que nous appelons de nos voeux, présidé par le Premier ministre, place le sujet sous cet angle. Il doit considérer que la parité n'est pas uniquement un sujet de modernité mais aussi une opportunité de transformer réellement les services publics, en premier chef la fonction publique, pour être plus au service de l'ensemble des citoyens, et donc dans la dimension de redevabilité.

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