Merci de nous accueillir pour donner notre point de vue sur la loi Sauvadet et sur la situation des femmes à des postes de responsabilités dans la fonction publique. Je voudrais commencer par replacer cette loi Sauvadet dans une perspective globale, avec les réformes constitutionnelles et législatives concernant la place des femmes dans les fonctions de direction, dans le secteur public comme privé. Il est extrêmement important de faire ce lien car la question des hommes et des femmes dans ces postes dépasse celle de l'égalité professionnelle. Nous parlons ici véritablement de la construction de la décision publique. S'il est si important de faire ce lien lorsqu'il s'agit de prendre des décisions dans le monde législatif, il en va de même du point de vue de l'exécutif. Nous traitons ici de la redevabilité de celles et ceux qui prennent une décision par rapport aux citoyens.
Pour remettre en perspective toutes les dispositions de la loi Sauvadet, le sujet est donc bien le partage de la décision. Si on partage cette décision, on répond mieux aux attentes du corps social. C'est le même sujet pour l'exécutif, raison pour laquelle les résistances sont si nombreuses. Partager la décision, c'est partager le pouvoir. Il est évidemment très important de disposer d'une série de mécanismes tels que la loi Sauvadet. C'est indispensable pour mettre la machine en mouvement. Au-delà de ce sujet, gardons en tête qu'il s'agit du partage du pouvoir. C'est là où se situent les réticences et les différents obstacles.
Notre association interministérielle Administration moderne a le plaisir de coordonner l'action interministérielle des réseaux professionnels féminins du secteur public. Nous faisons des propositions très en phase avec les recommandations du Haut conseil à l'égalité. Nous observons que la loi Sauvadet a été essentielle pour développer une dynamique, mais que, pour autant, il ne s'agit que d'une première étape. Elle doit être complétée par l'élargissement du champ de la loi Sauvadet. Il est aujourd'hui assez restreint, et un peu amputé dans son efficacité dans la mesure où il prévoit un système de pénalités, qui est aussi un système de contournement pour éviter d'appliquer la règle.
Quels sont les obstacles ? Sont-ils systémiques ? Nous le pensons. En 2017, nous observions, parmi les nominations au ministère de la justice, que si le corps des magistrats était féminisé aux deux tiers, les postes de direction étaient masculins aux deux tiers. Derrière la question du vivier, nous constatons donc des sujets de résistance systémique. De la même façon, nous avons aussi observé cette résistance lors de la loi de 2019 sur la transformation de la fonction publique. Son contenu était le résultat d'un accord avec les partenaires sociaux. Dans le volet d'égalité femmes-hommes n'était pas traitée l'égalité dans les postes de direction. Nous nous sommes aperçus, dans le même temps, que dans le secteur privé, l'égalité professionnelle avançait, mais que, de la même façon, nous n'avancions pas sur l'égalité dans les postes de décision. Du côté du secteur public, les blocages étaient dus à une résistance des employeurs publics eux-mêmes. Avancer sur ces sujets constituait pourtant une opportunité extraordinaire au moment de la loi de 2019.
Face aux obstacles systémiques auxquels nous sommes confrontés, comment réagissent les employeurs publics ? Aujourd'hui, ils perçoivent la loi Sauvadet comme une contrainte plutôt que comme une opportunité. C'est là aussi un sujet sur lequel il est nécessaire de se concentrer et de communiquer pour bien convaincre les employeurs publics qu'il s'agit d'une opportunité. Un certain nombre de secrétaires généraux de ministères ne sont aujourd'hui pas du tout convaincus de l'impact positif de la mixité dans leurs organisations et dans le partage de la décision. Il nous semble très important d'essayer de convaincre ces employeurs publics en développant des études comme cela a été le cas dans le secteur privé. Il est assez facile de prendre comme sujet d'étude une entreprise privée, puisque ses critères de performance sont assez facilement identifiables. Ils sont plus complexes dans une administration. C'est pour cette raison qu'il vaudrait la peine de lancer des études sur le sujet. Elles sont aujourd'hui très rares. Il est majeur de pouvoir les développer si nous souhaitons amener l'ensemble de l'encadrement supérieur de l'État vers l'égalité dans la prise de décision.
Enfin, parmi les obstacles auxquels nous sommes confrontés figure un manque très important de transparence, tant dans les résultats de nos organisations publiques que dans les différentes étapes franchies dans les parcours de carrière des femmes. Les parcours des hauts fonctionnaires vers des postes de direction et des postes de dirigeants ont été conçus par des hommes et pour des hommes. Il est primordial de remettre sur le métier l'étude de ces parcours professionnels. Plus que la question d'un certain nombre de passages obligés, tels que le passage en cabinet, la question de la mobilité pour l'ensemble des fonctionnaires pour pouvoir être nommés à des postes plus élevés reste un sujet majeur. Nous observons en outre un manque de transparence sur les nominations. Certaines ont encore lieu sans jury de recrutement, sans qu'on en connaisse vraiment les critères et objectifs. Il est très important de pouvoir favoriser cette transparence. Marlène Schiappa, à l'époque secrétaire d'État chargée de l'égalité femmes-hommes, avait tenté de répondre à ce problème. Elle avait, en mai2019, pris une décision pour tenter de lutter contre ce marché caché qui continue à exister. Cette décision, qui prévoyait notamment une diffusion aux réseaux féminins de l'administration des postes à pourvoir n'a malheureusement pas été appliquée.
Vous avez tout à l'heure mentionné le réseau 2GAP, Gender & Governance Action Platform, collectif auquel la plupart de nos réseaux ici présents prennent part. J'en suis moi-même présidente. Ce méta-réseau alimente la réflexion sur les propositions à faire pour franchir une nouvelle étape après la loi Sauvadet.
Dans ce cadre, notre association, Administration moderne, a émis quelques recommandations pour le secteur public. D'abord, que l'État soit exemplaire et s'applique à lui-même les quotas et index rendus obligatoires dans le secteur privé. Ces outils extrêmement simples à mettre en oeuvre sont fondés sur la transparence. L'Index Pénicaud est utile, car il comporte un levier réputationnel sur l'organisation concernée par la publication de ces chiffres. Il est très important de pouvoir appliquer le même dispositif sur l'administration publique et de se servir du même levier réputationnel. Nos directeurs et secrétaires généraux, comme les chefs d'entreprises, sont très attentifs à la réputation de leurs services et à la façon dont ils sont pilotés. De la même façon qu'il est rendu obligatoire pour le secteur privé de publier des chiffres le 1er mars - date autour de laquelle cette question est visible - il ne serait pas anecdotique que les chiffres de la fonction publique soient publiés à la même période. Nous disposons quasiment en temps réel des chiffres et pénalités de la loi Sauvadet. Il n'y a aucune raison qu'ils ne soient pas publiés le 1er mars de chaque année. Ils ne sont pas classifiés. Cette mesure peut être prise très simplement.
Le levier réputationnel pourrait également avoir pour effet d'inciter à d'autres pratiques managériales en mesure d'attirer les jeunes dans nos métiers. Nous avons bien un souci en la matière, alors même que nos métiers sont passionnants. Les DRH des différentes administrations ont d'ailleurs bien compris qu'une réflexion devait être menée sur les questions d'égalité femmes-hommes et d'articulation des temps de vie en termes d'attractivité.
Enfin, s'il faut bien entendu mettre en oeuvre des dispositifs qui concernent les femmes, nous devons également en développer à destination des managers hommes dans les services de l'État pour qu'ils soient convaincus de l'opportunité que constituerait une mixité dans la prise de décision. C'est l'un des points sur lesquels nos associations ont émis des recommandations. Nous avons proposé de mettre au coeur des politiques de relance cette politique d'égalité femmes-hommes, dans la mesure où elle a un impact en termes d'efficacité des organisations, qu'elles soient publiques ou privées.