Intervention de Françoise Belet

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 24 février 2022 : 1ère réunion
Table ronde sur l'application de la loi sauvadet

Françoise Belet, déléguée nationale de l'Association des administrateurs territoriaux de France (AATF), en charge de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes :

Je représente l'AATF, Association des administrateurs territoriaux de France. Association des hauts fonctionnaires territoriaux de France, puisque nous regroupons les hauts fonctionnaires de la fonction publique territoriale. Je suis très heureuse de retrouver mes collègues des différents versants de la fonction publique, et notamment les réseaux féminins de l'administration avec qui nous oeuvrons au quotidien. Nous avons beaucoup parlé de la fonction publique d'État. J'ai entendu que la fonction publique territoriale avait été à la traîne. Nous essaierons d'en discuter un peu plus avant, notamment du point de vue des résultats de la loi Sauvadet. Je vous expliquerai aussi ce que nous faisons dans notre association et nos réseaux en matière d'égalité professionnelle, avant d'émettre quelques propositions.

L'an dernier ont été célébrés les dix ans de la loi Copé-Zimmermann, qui s'applique au secteur privé. Dix ans après l'adoption de la loi Sauvadet, il est certain que les quotas fonctionnent également dans le public, y compris dans la fonction publique territoriale. Le dernier rapport annuel de la DGAFP portant sur l'année 2019 en atteste. L'objectif de féminiser les emplois supérieurs de la fonction publique est en très bonne voie.

Nous le savons, les employeurs doivent respecter une proportion minimale de personnes de chaque sexe pour les primo-nominations, à hauteur de 40 % depuis 2017. Le dernier rapport montre des progrès considérables en termes d'accès des femmes aux responsabilités en primo-nomination. Ces quotas fonctionnent notamment parce qu'ils sont obligatoires et assortis de pénalités. En cas de non-atteinte des objectifs, elles doivent être versées par les employeurs en fonction du nombre d'unités manquantes. Elles sont très importantes, puisqu'elles visent à faire respecter l'application de la loi. En 2019, la fonction publique territoriale a été condamnée à verser 1,350 million d'euros de pénalités. La fonction publique d'État a quant à elle versé plus de deux millions d'euros. Ce n'est pas négligeable.

La loi Sauvadet a aussi parfois des effets pervers en visant l'équilibre de chaque sexe. Parce qu'elle avait nommé trop de femmes, l'agglomération de Bourg-en-Bresse a d'abord été condamnée à verser une pénalité pour une unité manquante, s'élevant à 90 000 euros. La ville de Paris s'est également vu imposer une pénalité, encore plus importante, pour la même raison. C'était paradoxal puisque la loi avait pour objectif de favoriser l'accès des femmes aux postes à responsabilité. Notre ministre de la fonction publique a fait preuve de bon sens, puisque les poursuites contre ces collectivités ont finalement été abandonnées.

Malgré ces épiphénomènes, de grandes avancées ont pu être observées. Dans la fonction publique territoriale, nous atteignons près de 47 % de femmes en 2019, en hausse de 14 points par rapport à 2018. Les collectivités de plus de 80 000 habitants, au nombre de 353, étaient à l'époque concernées par le rapport. Depuis la loi d'août 2019, nous sommes passés à un seuil de 40 000 habitants.

Aujourd'hui, 34 % des emplois supérieurs de la fonction publique territoriale sont occupés par les femmes, contre 26 % seulement en 2014. Les chiffres sont assez éloquents. Sont ici concernés les postes de directeurs généraux adjoints (DGA), de directeurs généraux des services (DGS) et de directeurs généraux des services techniques. Ce sont les postes de plus haut niveau dans la fonction publique territoriale. En 2019, 51 % de primo-nominations de directeurs généraux adjoints concernaient des femmes. Ces emplois sont désormais occupés à 40 % par des femmes.

Mes collègues ont évoqué l'accès aux postes à plus hautes responsabilités, où se prennent les décisions. Effectivement, il reste des progrès à faire à ce niveau. Les postes au plus haut niveau de la hiérarchie, à savoir les postes de DGS, ne comptent que 29 % de femmes. Nous devons tout de même noter une progression de quatre points par rapport à 2018. Des collègues DGS sont plutôt optimistes quant au fait que des femmes vont continuer à être nommées à ces postes.

S'agissant de la direction générale des services techniques, métier traditionnellement occupé par des hommes, nous sommes arrivés à 44 % de femmes, en augmentation de 27 points entre 2018 et 2019. J'ai beaucoup travaillé sur la question de l'élargissement des choix professionnels, vers les métiers techniques et scientifiques. Ce chiffre semble attester d'un mouvement vers les métiers techniques. C'est une bonne nouvelle assez significative sur l'ouverture des métiers du technique aux femmes.

Le processus est compliqué à apprécier dans les collectivités, puisqu'il suit un cycle de cinq nominations sur plusieurs années. Toujours est-il que les bons chiffres de 2019 ont vraiment changé la donne sur la fonction publique territoriale.

Les résultats sont bons sur les territoires, pourtant ce n'était pas gagné d'avance. Nous avons dû affronter des résistances plus ou moins explicites. J'ai organisé bon nombre de débats « pour ou contre les quotas » dans des formations ou réunions. Les participants y sont rarement favorables. Les femmes auraient peur d'être nommées au seul motif qu'elles sont des femmes. Ce n'est à mon sens pas un argument. C'est plutôt de l'ordre de l'imaginaire surtout dans la fonction publique. En effet, qu'il s'agisse des concours d'administrateurs territoriaux ou civils, les femmes se présentent aux mêmes concours et formations que les hommes. Le procès en incompétence n'a pas lieu d'être puisque la compétence entre les femmes et les hommes est la même. Ensuite, que se passe-t-il lors des recrutements ? L'égalité est-elle toujours de mise ? C'est une autre question.

Je partage ce qui a été dit plus tôt, nous aimerions disposer de chiffres plus récents. Pour autant, les derniers rapports de la DGAFP me semblent très lisibles et détaillés. Ils nous demandent un peu moins un travail d'archéologie que par le passé. Ils sont très intéressants.

Évidemment, les chiffres restent des chiffres. Pourtant, ils doivent avoir une visée transformatrice. Il est important de disposer de statistiques lorsqu'on compte les femmes pour qu'elles comptent vraiment. Nous n'en disposons pas depuis très longtemps. Dans les collectivités, il était souvent très compliqué d'avoir des chiffres significatifs dans les bilans sociaux, en entrant dans les détails d'accès à la formation, de prise en compte d'autres critères tels que les questions d'âge... Enfin, nous commençons à disposer de ces données. C'est une bonne nouvelle.

Un appel à projets « égalité professionnelle », issu de l'accord interprofessionnel de 2018, est financé en partie avec les fameuses pénalités. Malgré les montants importants versés par les collectivités, les collectivités territoriales n'étaient pas éligibles à ce fonds, J'y voyais un évident problème d'équité ou plutôt d'iniquité. Lors du dernier congrès de l'AATF, j'avais interpellé Amélie de Montchalin à ce sujet. Enfin, la circulaire du 16 décembre dernier permet aux collectivités d'accéder à cet appel à projets. J'espère que de nombreux projets en émaneront. L'information a été donnée en décembre 2021 et le délai de réponse a été établi à un peu plus d'un mois, soit début février 2022. Il se trouve que beaucoup de collègues du terrain sont actuellement mobilisés par la crise sanitaire et ont indiqué qu'ils ne seraient pas en mesure d'y répondre pour cette première année.

La loi porte ses fruits malgré un démarrage assez lent. Nous observons également une poursuite de la volonté politique autour de ces sujets.

Dans la continuité de la loi Sauvadet, la loi de 2019 n'est pas, elle non plus, sans importance. Elle comporte un chapitre entier dédié aux questions d'égalité professionnelle, portant notamment sur l'instauration des plans d'action. Sur les territoires, l'obligation pour les collectivités de publier un plan d'action lorsqu'elles comptent plus de 20 000 habitants est très importante, puisqu'elle permet à ces dernières d'entrer dans le concret des mesures. Nous pouvons mener des actions d'analyse sur les questions de rémunération, de sexisme ou de conciliation des temps de vie. Les plans d'action permettent d'aller au-delà des seuls quotas, qui peuvent entraîner des résistances ou être un peu rébarbatifs. Cette loi de 2019 est extrêmement importante en ce sens. Ici même, nous avons animé l'an dernier, avec la sénatrice Marta de Cidrac, un séminaire sur la mise en place des plans d'action dans les territoires.

Je l'ai rappelé, ce sujet constituait la grande cause du quinquennat. Il représentait un cadre général stimulant.

Sur les territoires, les labels Égalité jouent également un rôle important. Un certain nombre de collectivités de différentes tailles ont candidaté au label Égalité de l'Afnor. Au-delà de chiffres froids, les témoignages que nous avons reçus attestent qu'ils permettent d'objectiver les situations et de sensibiliser, y compris auprès des managers. Je suis convaincue que l'égalité professionnelle est aussi très profondément une question managériale.

À l'AATF, comme dans d'autres associations, nous faisons des propositions aux candidats à l'élection présidentielle. Nous demandons, nous aussi, une transposition de l'Index de l'égalité professionnelle, (dit Pénicaud) au secteur public, y compris aux collectivités territoriales. Nous avons bien compris qu'un souci, lors de l'adoption de la loi Rixain, avait empêché ce point de passer cette fois-ci mais c'est le premier élément que nous mettons en avant dans nos demandes aux candidats. Nous recommandons également un élargissement de la loi Sauvadet à l'ensemble des postes de direction, au-delà des directions générales. Nous souhaitons également que son seuil d'application soit relevé aux collectivités de plus de 20 000 habitants, seuil actuel pour les plans d'action.

Nous comptons en notre sein un réseau de correspondants Égalité. Nous travaillons en partenariat avec d'autres associations, dont le Laboratoire de l'égalité ou le collectif 2GAP, qui tiendra d'ailleurs ses premières assises le 7 mars prochain. J'en profite pour insister sur l'importance de la solidarité, entre les réseaux féminins du public notamment. L'AATF travaille depuis longtemps avec Administration moderne. Cette solidarité est très importante. Nous travaillons en continu et organisons des concertations régulières qui nous donnent une force pour agir, une dynamique importante, qui prend de l'ampleur. Je participe également à 2GAP. Notre association figure parmi sa trentaine de membres fondateurs issus des secteurs public et privé.

L'AATF organise également chaque année, depuis l'année dernière, un « mois de l'Égalité », que nous nous efforçons de dédier à des sujets très concrets et pratiques, sur des formats d'ateliers. L'an dernier, par exemple, nous avons ainsi mis en place un atelier sur le budget sensible au genre. J'ai aussi organisé une rencontre sur les femmes hautes fonctionnaires, avec Elsa Favier, qui a écrit sa thèse sur les femmes énarques, ainsi qu'un certain nombre d'autres séminaires. Cette année, notre premier séminaire portera sur la « parentalité parité », sur demande de certains administrateurs. Nous y évoquerons entre autres la qualité de vie au travail ou la question de la garde des enfants. Si nous parlons souvent d'hétérosexualité normée, il existe aussi des couples de parents du même sexe. Comment s'organisent-ils ? Notre société évolue. Nous avons vraiment envie d'échanger sur ces sujets, sur la gestion des temps, sur le télétravail. Nous organiserons en outre une rencontre avec des femmes DGS, qui ne sont pas uniquement des quotas, mais aussi de vraies personnes. Quelles sont leurs relations avec les élus ? Quelles difficultés rencontrent-elles ? Nous reviendrons aussi sur la question des plans d'action. Des élèves de l'Institut national des études territoriales (Inet) ont mené une enquête et nous rendrons compte de ses résultats.

Monsieur Jacquemart, vous êtes sociologue, j'aimerais vous faire part d'un problème : dans la fonction publique territoriale, nous n'avons pas de connaissances, pas d'enquête approfondie. J'apprécie personnellement beaucoup l'ouvrage auquel vous avez participé Le plafond de verre et l'État, qui a été pour moi une révélation, ainsi que la thèse d'Elsa Favier que je trouve d'une richesse extraordinaire. Pour autant, nous ne disposons pas de données qualitatives d'ampleur dans la fonction publique territoriale, bien que nous commencions à disposer de chiffres précis. Nous avons besoin d'une enquête sur nos spécificités : la relation aux élus, le mode de recrutement... D'où viennent les femmes dirigeantes ? Quels sont leurs profils, leur histoire, leurs influences ? Lors de la première réunion que j'ai organisée, au Conseil économique et social, Laure Bereni et Catherine Marry, chercheuses au CNRS, ont présenté leurs travaux relatifs à la haute fonction publique d'État. Depuis trois ans, l'association et moi-même pensons qu'un travail similaire devrait être mené sur la fonction publique territoriale.

Parmi les autres propositions, nous avons aussi parlé de viviers. Une amie de 41 ans n'a pas pu s'inscrire au dispositif Talentu'elles car il n'est ouvert qu'aux femmes de moins de 40 ans. Je prône l'intergénérationnel. Les carrières des femmes sont souvent plus lentes, pour des raisons qui nous sont connues. Elles doivent elles aussi pouvoir être intégrées aux viviers. C'est bien de penser à l'accompagnement des jeunes générations mais il faut à mon sens prendre en compte les carrières des femmes sur toute la durée.

Enfin, il me semblerait intéressant que nous disposions aussi de hautes fonctionnaires à l'égalité dans les grandes collectivités. Elles permettent selon moi de construire un réseau, de faire un relais. Elles sont une force.

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